éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Imprévisibilité
par Yves de Kerdrel
Après l’accélération des changements géopolitiques, commerciaux et numériques liés au début du nouveau mandat de Donald Trump, les chefs d’entreprise de toutes tailles doivent faire face à une imprévisibilité rare qui risque de durer. Avec pour conséquence la chute des transactions financières, le ralentissement des investissements et une révision à la baisse de la croissance.
Le président de la République peut se féliciter de la séquence géopolitique, diplomatique, voire militaire qui a eu lieu au cours des deux derniers mois et qui l’a amené à prendre la parole devant les Français. Sa cote de popularité qui était tombée au plus bas a regagné huit points grâce à ce que les sondeurs appellent "l’effet drapeau". Et il a essayé de pousser encore son avantage en réunissant les 34 chefs d’état-major des pays membres de l’Union Européenne ou de l’OTAN au sein de l’auditorium du musée de la Marine.
Quoi qu’on puisse en penser, la Constitution de la Cinquième République réserve au chef de l’État énormément de prérogatives dans le domaine militaire comme l’a très bien rappelé cette semaine Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense. Il n’a de comptes à rendre à personne en dehors des Français. Et selon un sondage Odoxa – Backbone Consulting 58 % d’entre eux considèrent qu’Emmanuel Macron évalue correctement la menace représentée par la Russie. Mais 30 % pensent au contraire qu’il l’exagère. Si la menace russe inquiète 75 % des Français, elle reste devancée par la crainte du terrorisme islamiste (82 %). Par ailleurs, 81 % des sondés s’inquiètent de l’évolution de la politique américaine sous l’administration Trump.
Wall Street ne sert plus de "corde de rappel" à l’hubris de Trump
Il faut dire que la multiplication des décisions prises par le nouveau locataire de la Maison Blanche a de quoi donner le tournis. Il a déjà signé plus d’une centaine "d’executive orders" - la plupart devant les caméras. Au cours des derniers jours il s’en est pris de nouveau à l’Union Européenne en imposant à compter du 12 mars des droits de douane de 25 % sur tous les produits importés en acier et en aluminium. Ce qui a entraîné une réponse de la Commission européenne sur une série de produits américains pour une valeur de 26 milliards d’euros (dont le bourbon). De fait Donald Trump a répliqué le lendemain en menaçant d’imposer des droits de douane de 200 % sur les champagnes, vins et autres spiritueux.
Face à ces perturbations commerciales qui vont entraîner un regain d’inflation aux États-Unis – lui-même alimenté par l’expulsion de travailleurs clandestins – Wall Street continue de s’inquiéter et pas seulement pour le sort de Tesla. En un mois le Dow Jones a reculé de 9 %, le S & P 500 de 10 % et le Nasdaq de 14 %. L’inquiétude est d’autant plus forte dans les milieux financiers que beaucoup comptaient justement sur la réaction des marchés pour servir de "corde de rappel" à l’administration Trump. Or l’hubris du Président américain est désormais tel qu’il a affirmé n’accorder aucune importance aux humeurs des patrons. Interrogé par Fox News sur les soubresauts boursiers il a balayé d’un revers de main ces inquiétudes en déclarant que "depuis des années, les mondialistes, les grands mondialistes, ont arnaqué les États-Unis" et que désormais, "nous ne faisons que récupérer une partie de cette somme, et nous allons traiter notre pays équitablement".
Conséquence de tout cela : le rythme des fusions et acquisitions aux États-Unis au cours des deux premiers mois de 2025 a été le plus faible depuis la crise financière, avec seulement 1603 transactions signées depuis le début de l’année, soit le rythme d’ouverture le plus lent en volume depuis 2009, selon les données de Dealogic. Le nombre total de transactions a chuté de plus de 19 %, tandis que leur valeur totale a chuté de 29 %, à 249 milliards de dollars, par rapport aux deux premiers mois de l’année dernière.
Révision en baisse de l’investissement des entreprises
La Banque de France a donc révisé son diagnostic sur les performances à venir de notre économie. D’après l’institut d’émission, la progression du Produit intérieur brut en volume devrait s’établir à 0,7 % en 2025, soit 0,2 point de moins que ce qu’il anticipait à la fin de l’année dernière. La principale révision à la baisse porte sur les exportations, affectées par l’incertitude sur les barrières commerciales et une demande mondiale moins dynamique qu’attendu en décembre. Par ailleurs, alors que l’investissement des entreprises était attendu en hausse de 1,3 %, il devrait en fait décroître de 0,5 %.
Les aléas autour de cette prévision demeurent nombreux, en lien avec la situation géopolitique, et notamment les incertitudes autour de la politique commerciale américaine et les éventuelles réponses européennes, a indiqué la Banque de France. "Les risques par rapport à notre projection de PIB restent globalement orientés à la baisse, avec toutefois de nouveaux aléas haussiers qui pourraient venir en fin de période d’un surcroît de dépenses militaires", soulignent ses économistes.
Des ambiguïtés sur le financement de la défense
À quelques jours d’une initiative commune d’Éric Lombard et de Sébastien Lecornu sur le financement de la défense, beaucoup sur la place de Paris attendent que cette journée du 20 mars permette de lever un certain nombre d’ambiguïtés. Un flou important s’est installé car chacun s’envoie des dizaines voire des centaines de milliards d’euros à la figure sans savoir d’où ils viennent. Le plan de 800 milliards d’euros d’Ursula von der Leyen mélange des navets et des radis, de l’argent des états et des fonds possiblement empruntés par l’Union. Quant à Sébastien Lecornu, il annonce vouloir doubler le budget de la défense – donc le porter de 50 à 100 milliards d’euros – alors qu’il n’a pas respecté les termes de la loi de programmation militaire qu’il a lui-même fait voter.
Surtout aucun travail n’a été mené sur ce qu’il faudrait vraiment dépenser, dans quel but, avec quelle doctrine d’emploi et pour répondre à quelles menaces. Georges Clémenceau affirmait que la guerre était une affaire bien trop sérieuse pour la laisser aux militaires. Les politiques qui ont suivi ses conseils dans les années trente n’ont pas été plus avisés en construisant une ligne Maginot aussi coûteuse qu’inutile et en n’écoutant pas les recommandations d’un certain colonel de Gaulle sur l’importance des blindés. À l’heure de la guerre hybride, où l’on s’aperçoit que sans l’aide de Starlink, les drones ukrainiens sont cloués au sol et leur artillerie plongée dans le noir faute de données GPS, l’allocation du budget de la défense doit prendre en compte ces nouvelles menaces cyber, spatiales, et numériques. Alors que certains se demandent quelle ligne de front nous devons être capables de tenir. Mais aurons-nous seulement un jour une ligne de front à protéger que ce soit à nos frontières ou à celles d’un pays allié dont dépendraient nos intérêts vitaux ?
Ne mettons pas l’épargne des Français à toutes les sauces !
Enfin arrêtons de dire que l’épargne des Français ou des Européens doit financer la défense. Oui cette épargne doit s’investir au sein de nos champions industriels comme Airbus, Thales ou Safran dont les technologies sont enviées par le monde entier. Oui cette épargne doit accompagner des PME industrielles pour éviter qu’elles passent sous la coupe de groupes américains. Comme HLD l’a fait brillamment avec Photonis devenu Exosens et comme il faut le faire de toute urgence avec la société corrézienne LMB Aerospace qui fournit des systèmes de refroidissement destinés aux chars Leclerc, aux sous-marins et aux Rafale, mais que convoite l’américain Loar Group. Oui cette épargne doit permettre à des start-up d’éclore pour faire grossir la base technologique de défense.
Mais ce n’est pas cette épargne qui ira financer la solde des militaires ni les commandes passées pour renouveler les têtes nucléaires. L’État doit donc poursuivre d’urgence la remise en ordre de ses comptes publics en intégrant ces nouvelles priorités budgétaires. Et plutôt que d’imaginer un nouveau "quoi qu’il en coûte" il serait plus avisé de se demander avec quel argent – et surtout avec quelle croissance future – nous rembourserons une dette qui ne nous permet plus de jouer avec des milliards que nous n’avons pas.
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