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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Moment stratégique
par Yves de Kerdrel

Emmanuel Macron a qualifié la Russie de menace pour la France lors d’une adresse aux Français, tout en considérant toujours les États-Unis comme un allié. Il a surtout laissé présager de nécessaires efforts à faire par tous pour renforcer notre défense. Le sujet du partage de la dissuasion nucléaire ne fait toujours pas consensus dans l’opinion. Et beaucoup d’éléments à venir dépendent de la mise en place de la future coalition allemande.

09/03/2025 - 06:30 Lecture 11 mn.

"Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix. Il ne tient qu’à nous que nos enfants récoltent demain les dividendes de nos engagements." C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron a conclu, mercredi soir, son allocution aux Français, faite à la veille d’un sommet européen et après plusieurs rencontres avec des chefs d’État engagés dans la résolution du conflit ukrainien. Par des mots assez forts et justes il a su effacer le souvenir humiliant laissé par sa rencontre avec Donald Trump dans le bureau ovale de la Maison Blanche où les deux hommes se passaient la main dans le dos, pendant qu’à New York, l’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies votait contre la résolution destinée à soutenir l’Ukraine et mêlait donc sa voix à celle de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord.

Alors que François Hollande a immédiatement réagi à cette "trahison" en expliquant sur France Inter puis dans une longue interview au journal Le Monde que les États-Unis n’étaient plus nos alliés, Emmanuel Macron a délibérément rappelé que la première puissance mondiale restait bien notre alliée. Ce qui sous-entend : le peuple américain s’est battu pour nous et notre liberté, mais Donald Trump affiche des positions hostiles aux nôtres. Il convient donc de faire un distinguo entre ce qui se passe à Washington et à l’ONU, et ce qui traverse les veines des Américains depuis 1776 et même un peu avant.

 

L’OTAN a disparu avec sa fiabilité

 

Cet exercice d’équilibrisme ne pourra pas durer aussi longtemps que les impôts. À cause de l’OTAN qui est le lieu où se forge désormais l’alliance militaire entre les deux rives de l’Atlantique. Emmanuel Macron avait eu pourtant un regard lucide et prémonitoire, en déclarant dès novembre 2019 dans les colonnes de The Economist, que l’OTAN était en état de mort cérébrale. C’était à l’époque du premier mandat de Donald Trump. C’était aussi à un moment où la Turquie, troisième armée de l’OTAN, commençait à avoir un comportement très inamical à l’égard de la France en Afrique.

Mais comme mon confrère Alain Frachon l’a très bien expliqué il y a quelques jours dans les colonnes du Monde, Donald Trump a mis un dernier clou sur le cercueil de l’OTAN la semaine dernière en expliquant que ce qui se passait de ce côté-ci de l’Atlantique ne concernait pas les Américains. Tout l’édifice de l’Alliance Atlantique est construit autour de l’article 5 de la charte de l’OTAN qui prévoit l’assistance mutuelle. Dès lors que Donald Trump explique urbi et orbi qu’il ne bougera pas le petit doigt si son "ami" Vladimir Poutine s’attaque aux Pays Baltes, à la Pologne ou à la Roumanie (membre de l’OTAN depuis 2004), la fiabilité de l’alliance est réduite à néant. Et l’Alliance n’est plus qu’un simple marché captif pour vendre à certains pays européens du matériel militaire interopérable avec celui des autres pays membres.

 

Quelle doctrine d’emploi pour notre dissuasion ?

 

Une fois cela posé, il y a au moins deux sujets déterminants qui s’ouvrent. Le premier c’est celui de la doctrine d’emploi de notre dissuasion nucléaire. Officiellement elle est destinée à défendre les intérêts vitaux de la France. Donc davantage que ses frontières. Et le Général de Gaulle, lui-même, dès 1964, avait ouvert la porte à une dimension européenne de cette arme. Emmanuel Macron a déclaré mercredi soir que : "répondant à l’appel historique du futur chancelier allemand, j’ai décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen". Cela devra s’inscrire dans le cadre de la revue stratégique qui remplace le livre blanc et que le SGDSN doit mener d’ici l’été. Avec à sa tête, depuis quelques jours, Nicolas Roche, qui était ambassadeur de France en Iran après avoir été, de 2016 à 2019 directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement, au Quai d’Orsay.

Alors que rien ne s’est passé depuis qu’Angela Merkel a déclaré en 2017 Taormina : "Nous Européens nous devons vraiment prendre en main notre destin", il ne faut pas rester silencieux aux appels lancés par le très atlantiste Friedrich Merz à construire une doctrine de dissuasion commune et qui englobe l’arme nucléaire britannique. D’où l’idée de mettre à jour la déclaration de Chequers faite il y a 30 ans entre la France et le Royaume-Uni sur l’interconnexion des "intérêts vitaux" français et britanniques. La presse allemande évoque aussi, connaissant l’état de nos finances publiques, des clauses par lesquelles Berlin pourrait apporter son écot au réarmement français. Car nos 290 têtes nucléaires font pâle figure. Et méritent d’être largement complétées, notamment s’agissant des missiles air-sol moyenne portée, qui peuvent être déployés sur des Rafale ou des Rafale marine depuis le Charles-de-Gaulle.

 

Des financements privés au secours de la défense

 

Le second sujet c’est celui du financement de l’effort de défense du pays. Emmanuel Macron a expliqué que celui-ci ne devrait pas se traduire par une augmentation des impôts. Et comme nous ne sommes pas concernés par la mesure décidée par Ursula von der Leyen permettant d’extourner les dépenses militaires afin de calculer le déficit public pour qu’il reste dans l’épure de 3 % du PIB, il va falloir réfléchir à d’autres moyens. Certains esprits farfelus ont évoqué vendredi la possibilité de passer l’âge de la retraite à 70 ans. Sans doute avec l’idée d’hystériser les relations au sein du "conclave" chargé d’amodier la réforme de 2023…

Les deux possibilités restantes dans l’immédiat, sont d’une part de faire appel au secteur privé. Un évènement est en préparation le 20 mars prochain, à l’initiative de Sébastien Lecornu et d’Eric Lombard avec la participation de grandes banques, d’assureurs, et d’investisseurs de toutes sortes afin de mobiliser les poches profondes au service d’un secteur de l’armement que l’on avait plutôt tendance, jusqu’ici, à regarder en se pinçant le nez. BNP Paribas et ses dirigeants sont très mobilisés dans le cadre de cette initiative. D’autre part, il pourrait être dessiné le contour exact du produit d’épargne qu’Emmanuel Macron a laissé envisager lors d’un échange avec des internautes à la fin du mois de février. Ce qui reviendrait à réinventer les fameux emprunts de guerre qui ont permis à une bonne partie de la France rurale de vendre à temps ses titres russes avant 1917 et de contribuer à l’effort de guerre.

 

Le projet européen menacé d’effacement

 

Dans le domaine de la dissuasion, de son emploi, de l’industrie de défense, de son financement, et de la souveraineté européenne les lignes se mettent enfin à bouger. Seuls restent inflexibles les deux extrêmes du parlement dans leur refus de voir en la Russie un adversaire, et dans leur volonté de soutenir le plan de paix-capitulation préparé pour l’Ukraine par l’administration Trump. Nous n’irons pas jusqu’à dire comme certains que c’est une "constante" de l’histoire de France que de voir le camp des patriotes autodéclarés et des souverainistes courber facilement l’échine devant notre ennemi.

Reste la question existentielle concernant le projet européen. Ce projet qui avance cahin-caha depuis 1951 connaîtrait un sursaut salutaire, grâce à Donald Trump, selon certains de mes confrères. Voir dans le plan d’Ursula von der Leyen de la semaine passée un sursaut est un peu excessif, dans la mesure où l’Europe additionne des choux et des carottes pour arriver à un chiffre théorique de 800 milliards d’euros. N’oublions pas ce que Trump et Poutine ont dit, tous les deux, de l’Europe.

Nous sommes un caillou dans leur chaussure ou dans leur botte. Nous le sommes car nous respectons la liberté d’expression, les contre-pouvoirs, l’économie de marché tempérée par la social-démocratie et non pas parce que nous serions devenus les derniers défenseurs d’un wokisme finissant qui a toujours pignon sur rue à Harvard et à Berkeley. Si certains de nos dirigeants ont pris conscience, cette semaine, de la nécessité de se réarmer, ils n’ont pas encore réalisé le risque d’effacement qui nous menace. Les yeux s’ouvrent enfin. Les lignes bougent aussi. Seul le leadership fait encore défaut pour cristalliser ce "moment" historique.

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