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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Bascule
par Yves de Kerdrel

L’Europe se trouve au pied du mur à un moment où Donald Trump et Vladimir Poutine entendent sceller le sort de l’Ukraine sur son dos. Mais loin de se réveiller, elle fait apparaître ses divisions. Et ce ne sont pas les rodomontades d’Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux où son déplacement ce soir et demain à Washington qui vont, hélas, changer grand-chose.

23/02/2025 - 06:30 Lecture 11 mn.

Dans leur naïveté confondante les chefs d’État européens ne prennent jamais au sérieux les dirigeants des grandes puissances (USA, Russie, Chine). Vladimir Poutine avait annoncé à l’avance qu’il reprendrait la Crimée. Personne ne l’avait cru en Europe occidentale. Il l’a fait. Il avait annoncé qu’il ferait tout pour empêcher l’Ukraine de rejoindre l’OTAN. Si bien que dès que Joe Biden a évoqué cette éventualité, il a foncé sur Kiev, sans toutefois parvenir à atteindre ses objectifs de guerre, se heurtant davantage à la bravoure des Ukrainiens qu’à l’aide de ses alliés européens ou américains.

Tout cela semble se répéter avec Donald Trump. Le président américain avait annoncé qu’il mettrait fin au conflit en Ukraine. Personne ne l’a vraiment pris au sérieux. Surtout personne ne s’attendait à ce que les Américains se présentent face aux Russes comme le souverain germanique Henri IV (futur empereur du Saint Empire Romain) était allé à Canossa supplier le Pape Grégoire VII de lever son excommunication. Or Marco Rubio, le nouveau Secrétaire d’État, puis Donald Trump lui-même se sont dit prêts à accorder à Vladimir Poutine plus que ce qu’il attendait. La possibilité de conserver les territoires occupés. La renonciation de l’Ukraine à une adhésion à l’OTAN. De nouvelles élections en Ukraine afin de faire disparaître du paysage Volodymyr Zelensky. Sans compter le fait que les États-Unis s’opposent désormais à ce que la Russie soit qualifiée "d’agresseur" de l’Ukraine. On croit rêver de la part d’un président américain qui se décrivait comme un maître en matière de deal.

 

Nouvel échec de l’Élysée

 

Il y a une semaine se tenait à Munich la Conférence annuelle sur la sécurité créée en 1963, à l’époque la pire de la guerre froide. Tous les dirigeants européens – sauf Giorgia Meloni et Viktor Orbán – en ont pris pour leur grade de la part du vice-président américain J.-D. Vance. Ce dernier a prononcé une diatribe dirigée contre les gouvernements européens (que l’on peut lire in extenso dans l’édition dominicale du Monde) à la manière du discours donné par Vladimir Poutine dans la même enceinte en 2007. Vance n’a pas mentionné l’Ukraine, mais il a dénoncé la "censure" des élites européennes, le laxisme en matière d’immigration et un mépris de la volonté populaire.

Un discours curieusement salué et applaudi par Mathias Döpfner, le directeur général d’Axel Springer, groupe propriétaire du média Politico. Celui-ci a déclaré que le message que Vance voulait transmettre était que Washington souhaitait travailler avec l’Europe, mais que le continent devait d’abord définir ses valeurs et cesser d’avoir peur de son propre peuple. Ce n’est pas l’interprétation qui a été faite dans les principales capitales européennes où l’on s’est donné rendez-vous pour un mini-sommet d’urgence, lundi dernier, à l’Élysée. Mais aucun communiqué n’a pu être publié à l’issue de cette réunion faute de consensus. Le sujet de l’envoi de troupes est toujours rejeté par l’Espagne, la Grèce, la Pologne et par l’Allemagne – qui décide aujourd’hui de son avenir – même s’il est appuyé par l’Italie et le Royaume-Uni.

 

Défense européenne et dissuasion française

 

Mais le sujet déterminant est celui de la sécurité européenne, compte tenu de l’isolationnisme américain, de la fin du multilatéralisme et des risques que fait courir sur l’Europe cette curieuse alliance de circonstance entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Là encore les Européens ont mis du temps à ouvrir les yeux alors que toute cette bascule géopolitique est en gestation depuis le passage d’Obama à la Maison Blanche. Si les Allemands ont commencé il y a huit ans à relever leurs dépenses militaires, en France, c’est seulement depuis cette année que le budget de la défense représente 2 % du PIB (hors pensions bien sûr). Ce qui équivaut à un peu plus de 50 milliards d’euros. Soit la moitié de l’objectif que s’est fixé l’Allemagne.

Toute la question est de savoir à quoi doivent servir ces dépenses, et surtout avec quel but stratégique. Et derrière tout cela il y a "un éléphant dans la pièce". Il s’agit de la dissuasion nucléaire française. Car à partir du moment où l’Europe ne peut plus compter sur les États-Unis, et où l’article 5 de la charte de l’OTAN – sur l’assistance mutuelle – semble tombé en désuétude, la seule puissance nucléaire qui fait partie de l’Europe, c’est la France. Ce qui veut dire que nos sous-marins nucléaires comme notre arme nucléaire tactique emportée sous les Rafale ne sont plus destinés qu’à protéger les Français, mais éventuellement demain les Estoniens, les Lituaniens, les Roumains ou les Polonais.

 

Redéfinir une doctrine d’emploi pour l’arme nucléaire

 

Immédiatement, à l’Élysée comme à Bruxelles, dans les médias français et à la Bourse de Paris, on a regardé ce changement de paradigme avec ses conséquences budgétaires. L’action Thales a atteint son plus haut niveau historique à l’idée que la Commission européenne apprécie désormais le critère d’un déficit budgétaire limité à 3 % du PIB, exception faite des dépenses militaires. Bien sûr tout cela tombe à pic pour nos comptes publics qui sont encore très loin de cet étiage. Mais cela reste le petit côté de la lorgnette à l’aune du basculement du monde qui s’opère.

Si la dissuasion nucléaire française est caractérisée par son caractère souverain et indépendant, auquel tenait tant le général de Gaulle lorsqu’il lui a donné naissance, elle a acquis progressivement une place singulière au sein de l’OTAN puisqu’elle contribue à la dissuasion de l’Alliance, et revêt donc une dimension européenne, de fait. Ainsi, l’état-major des armées reconnaît que la dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à la sécurité de l’Europe. Cela n’en fait pas pour autant une arme de champ de bataille. Et si les sous-marins basés à l’île Longue doivent désormais patrouiller avec comme vocation de protéger tous les membres de l’Union européenne, il va être urgent de redéfinir une doctrine d’emploi qui fasse consensus. Car ce n’est pas du tout la position d’une grande partie de la classe politique ni celle d’ailleurs du ministère des Armées.

 

Exit la piste d’une dette européenne

 

En lâchant le frein budgétaire aussi facilement, alors que le sujet du frein à la dette est au cœur de l’élection allemande de ce jour, Ursula von der Leyen semble avoir tranché l’une des questions soulevées par le rapport Draghi. L’ancien président de la BCE qui recommandait à l’Europe d’investir 800 milliards d’euros par an – en plus de ce qui est déjà fait – afin d’éviter un décrochage de l’Europe par rapport aux États-Unis, avait évoqué la piste d’une dette européenne à la manière de ce qui a été entrepris pour faire face à la crise sanitaire avec le plan Next Generation EU et ses 750 milliards d’euros de dette empruntés en commun sur les marchés.

Preuve d’un recul européen et aussi d’une emprise allemande sur la Commission, à travers Ursula von der Leyen, on se dirige donc vers des efforts séparés pays par pays avec des dérives budgétaires au cas par cas. Il ne faudrait tout de même pas que cet argent qui va être emprunté et qui va faire grossir la dette que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants, serve à acheter du matériel américain sous prétexte d’interopérabilité au sein de l’OTAN. Alors que l’Europe bénéficie de champions de l’industrie défense. Ce serait le comble, de surcroît, que d’acheter aux États-Unis les moyens de notre défense dont ils entendent désormais de désintéresser complètement.

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