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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Effacement
par Yves de Kerdrel

Moins spectaculaire que celle de Volodymyr Zelensky, la visite d’Emmanuel Macron à la Maison Blanche n’a servi à rien. Sauf à montrer que l’Europe n’est pas seulement absente de toutes les discussions qui concernent le sort de l’Ukraine, mais qu’elle est en fait « au menu » des trocs entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Avec de la part des deux autocrates la volonté de l’effacer et de casser l’Union Européenne.

02/03/2025 - 06:30 Lecture 10 mn.

Lénine avait eu cette phrase mémorable : "Il y a des décennies où rien ne se passe ; et il y a des semaines où des décennies se produisent." C’est exactement ce que nous avons le sentiment de vivre ces jours-ci, quarante jours seulement après l’entrée en fonction de Donald Trump. Après avoir reçu des leçons de morale de la part du vice-président américain J.-D. Vance lors de la conférence annuelle sur la sécurité à Munich, l’Union Européenne a eu le droit à une sanction économique et commerciale avec l’annonce d’une très prochaine mise en place de droits de douane à hauteur de 25 % sur l’ensemble des importations en provenance de l’Europe.

Les embrassades, les poignées de mains et les tapes sur le dos entre Emmanuel Macron et Donald Trump, retransmises en direct lundi dernier sur les chaînes d’information en continu n’auront pas servi à grand-chose. Sauf à cacher l’absence totale d’alignement d’intérêts entre deux puissances pourtant alliées depuis plus de deux siècles et demi. Le même soir à l’ONU, les États-Unis se sont rangés du côté de la Russie, de la Biélorussie et de la Corée du Nord pour s’opposer à une résolution européenne destinée à soutenir l’Ukraine à l’occasion du troisième anniversaire de l’agression russe. Et si vendredi, Donald Trump, a accepté, in extremis, de recevoir Volodymyr Zelensky, dans les conditions lunaires que l’on connaît, Kaja Kallas, la vice-présidente de la Commission et représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la sécurité a vu son rendez-vous avec le président américain, purement et simplement annulé, alors qu’elle était arrivée à Washington.

 

Utiliser les mouvements populistes contre l’Europe

 

Arrêtons de nous voiler la face. Non seulement, les Américains ne sont plus nos alliés, comme l’affirme François Hollande. Non seulement ils ont décidé de construire – sans l’Europe - un nouvel ordre planétaire sur le plan géopolitique, commercial, financier, numérique et spatial. Mais surtout ils semblent s’accorder avec la Russie de Vladimir Poutine afin de procéder à un effacement de l’Union Européenne. Il ne s’agit pas, bien sûr, de la rayer de la carte. Mais de la priver de toutes ses forces, en attisant les ferments de la division et en poussant ses champions industriels à s’installer aux États-Unis pour contourner les barrières douanières.

Donald Trump n’a pas pu s’empêcher de faire parler son inconscient en expliquant que cela fait trop longtemps que l’Union Européenne "embête" les États-Unis, oubliant qu’elle a été créée, entre autres avec un large soutien américain et dans le but de disposer d’un rempart contre une URSS alors très puissante. Vladimir Poutine, de son côté, veut dans un premier temps constituer une zone tampon sur toute la frontière occidentale de la Russie, comme l’explique remarquablement un passionnant article de Céline Marangé sur le site "Le Grand Continent". Et les deux autocrates semblent d’accord pour utiliser les mouvements populistes et nationalistes qui gagnent du terrain au sein des grands pays européens afin d’attiser les divisions internes à l’Union Européenne et d’éviter ainsi la constitution d’une Europe de la défense.

 

Passivité européenne et courage ukrainien

 

Le vote commun entre la Russie de Poutine et les États-Unis de Trump contre l’ensemble des pays européens – sauf la Hongrie – et contre le Canada, intervenu à l’ONU en début de semaine dernière n’est que la première étape de ce terrible basculement de l’ordre planétaire qui a été mis en place en 1945 avec la volonté de faire émerger une Europe puissance. Et si personne, en Europe n’a osé protester contre ce basculement historique, il explique sans doute l’attitude rebelle, mais courageuse du président ukrainien face au couple exécutif américain. Même si après ce coup d’éclat, il faut s’attendre à de nouvelles étapes dans cette alliance entre Washington et Moscou.

Bien sûr, tout le monde se plaît à voir dans cette idylle, le miroir du fameux rapprochement intervenu il y a cinquante ans entre les États-Unis de Nixon et la Chine de Mao, afin de prendre en tenailles l’URSS de Brejnev. Dans le scénario actuel, c’est la Chine, montrée du doigt par Donald Trump depuis son premier mandat, qui est directement visée, notamment pour des raisons commerciales et aussi pour ses ambitions spatiales qui inquiètent les Américains. C’est ce qui a amené Ursula von der Leyen à se rendre en Inde cette semaine afin de trouver, auprès du pays le plus peuplé de la planète, de nouveaux débouchés pour l’Europe.

 

Plutôt être autour de la table qu’au menu

 

Compte tenu de cette situation géopolitique inédite, on peut se demander si la question du rapport Draghi qui pointait le décrochage de l’économie européenne par rapport à l’économie européenne a encore un sens. On peut s’interroger sur cette volonté – sans cesse repoussée – de réaliser l’Union des Marchés de Capitaux. On peut surtout ironiser sur cette directive omnibus du 26 février visant à simplifier les règles de l’Union, à renforcer la compétitivité et à libérer une capacité d’investissement supplémentaire… Il est question d’une économie de 6 milliards d’euros pour les entreprises européennes d’ici deux ans. Sûrement de quoi impressionner les États-Unis à l’heure de la tronçonneuse et de la hache !

À l’aune du basculement planétaire qui se déroule sous nos yeux, l’heure n’est plus aux demi-mesures. Il faut se demander comment faire pour que l’Europe retrouve une destinée, une volonté, une raison d’être. Et comment le faire avec des opinions publiques attaquées par les mouvements populistes et leurs ingénieurs du chaos. Il y a seulement trois semaines, au sommet sur l’intelligence artificielle, nous entendions nous poser en égaux des Américains. Alors que dans le domaine numérique, eux n’ont qu’un seul rival : la Chine. Et qu’ils considèrent l’Europe comme un simple régulateur ajoutant que dans un match, ce n’est jamais l’arbitre qui gagne. Le sujet du moment consiste à sortir de ce rôle de figuration et de redevenir un acteur des changements qui se déroulent sous nos yeux. Bref, au lieu d’être au menu des discussions entre grands de ce monde, de retrouver une place à la table des négociations.

 

La consolation des indices boursiers

 

Cela ne peut passer, dans ce nouveau paradigme mondial où seuls comptent les rapports de force, que par une initiative coordonnée, majeure et spectaculaire. Autant dire que dans une Europe, administrée par la sympathique mais transparente Ursula von der Leyen, et où tant Paris que Berlin sont aux abonnés absents pour des raisons de politique intérieure, il est difficile d’imaginer une solution de rebond. Alors que la France ne parvient même pas à se faire respecter de l’Algérie. Et que Paris peine à ramener la paix civile dans une Nouvelle-Calédonie où les indépendantistes sont instrumentalisés par l’Azerbaïdjan.

Il y a tout de même une consolation dans ce tableau assez sombre de l’actualité internationale : ce sont les performances remarquables des grands groupes français, aussi bien dans le secteur financier (Axa, BNP Paribas) que dans l’industrie ou les services (Saint-Gobain, Engie, Orange). Si bien que depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le CAC 40 a enregistré une progression de plus de 10 %, alors que les indices américains ont tous fait marche arrière.

Les questions qui sont désormais à l’agenda des patrons de ces grandes entreprises sont : comment continuer à croître au niveau mondial à partir d’une Europe qui n’a plus grand-chose à proposer ? Où trouver de nouvelles opportunités dans un contexte de démondialisation accélérée ? L’euro n’est-il pas surévalué à un moment où le différentiel de taux et de croissance s’accroît entre les deux rives de l’Atlantique ? Et surtout comment faire du "business" quand les règles du jeu divergent de plus en plus d’un continent à l’autre ? Des questions qui ne manqueront pas d’être posées lors des prochaines assemblées générales par des actionnaires inquiets, décontenancés mais toujours mobilisés.

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