Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Sénégal : la détresse de la perle de l’Afrique
par Jean-Baptiste Noé
Le report des élections présidentielles ouvre une période de grande instabilité pour le Sénégal. Alors que ce pays était jusqu’à présent un modèle pour l’Afrique de l’Ouest, il pourrait suivre la même voie que ses voisins qui ont sombré. Pour l’Afrique et pour la France, le danger est grand.
En juin 2023, le Sénégal était parcouru par de nombreuses violences se cristallisant contre la personne de Macky Sall. Alors que le président rêvait toujours de briguer un troisième mandat d’affilée, chose pourtant interdite par la constitution, les oppositions tentaient de se structurer pour gagner la présidentielle. L’annonce du refus de Macky Sall de se représenter fut un premier soulagement pour la communauté internationale. Beaucoup y virent un geste pour faire baisser les tensions et ramener le calme. Il n’en fut rien. Le candidat du clan présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, n’a jamais réussi à gagner les cœurs d’autant que le rejet de Macky Sall est profond. À mesure que s’approchait l’échéance du 25 février où devaient se tenir les élections, il apparaissait évident que le clan présidentiel allait être vaincu.
L’annonce surprise du report de celles-ci, avec une date finalement fixée jeudi dernier au 15 décembre, laisse presque un an pour trouver un candidat au profil victorieux. Parmi les candidats sérieux de l’opposition, plusieurs sont en prison, dont Ousmane Sonko, agitateur à l’audience certaine et Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Les deux ont été condamnés à des peines d’inéligibilité, ce qui les empêche de concourir. Reste donc Bassirou Diomaye Faye, membre du parti de Sonko, le PASTEF, le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité et, comme Sonko, originaire de la région de Thiès. Lui aussi a été emprisonné, en avril 2023, pour "diffusion de fausses nouvelles", mais il reste éligible. Il est toutefois difficile de mener une présidentielle depuis une cellule de prison.
"France dehors"
Amadou Ba a un beau profil : ministre des Affaires étrangères et de l’Économie avant de devenir Premier ministre, il a notamment étudié en France (à Clermont-Ferrand) et aux États-Unis. Un profil techno trop lié à la France qui finit par le desservir. Le rejet de la France est de plus en plus manifeste dans ce pays qui compte une base militaire française avec 300 soldats stationnés. Quand, en novembre 2023, Emmanuel Macron a nommé Macky Sall "Envoyé spécial et président du comité de suivi" du 4P (Pacte de Paris pour la planète et les peuples), cela fut perçu par l’opposition comme une ingérence française inacceptable.
La France fit cela pour lui trouver une porte de sortie honorifique, mais pour beaucoup de Sénégalais cela fut perçu comme une nouvelle manifestation de colonialisme, où le président du pays dominant fait du chef d’État africain l’un de ses subalternes. Le message ne fut pas bien reçu au Sénégal et contribua à affaiblir davantage le clan présidentiel. Comme ailleurs en Afrique, le mouvement d’opposition à la France grandit. Mais au Sénégal, du moins pour l’instant, les Russes ne sont pas présents.
La connexion aux réseaux sociaux, le rôle des influenceurs dans la diffusion de vidéos qui touchent et forment la jeunesse n’est pas assez pris au sérieux. À force de parler de "sentiment" anti-français, on oublie que cela fait longtemps que le stade du simple sentiment est dépassé. À force de voir les Russes partout et derrière tout, même s’ils sont effectivement présents, on ne voit pas que le recul de la France vient aussi et surtout du rejet des Africains eux-mêmes, avec des relais médiatiques parmi les influenceurs de la jeunesse.
Derrière le paravent commode du "déséquilibré" qui occulte la complexité de l’événement, l’attaque de la gare de Lyon est à cet égard un tournant. L’assaillant malien est un influenceur important des réseaux, qui diffuse des vidéos et des commentaires anti-français et panafricanistes. C’est la première fois que ce type d’individu passe à l’acte en faisant usage de la violence contre des Français et en ne se limitant plus à ses seules vidéos. C’est pourquoi ce qui se passe au Sénégal nous concerne au premier plan. Outre que la déstabilisation de l’un des rares pays stables d’Afrique de l’Ouest n’est évidemment pas une bonne nouvelle, une contamination en France n’est pas à exclure, la diaspora sénégalaise y étant importante. S’il y a un rejet français au Sénégal, le Sénégal demeure un espace d’intérêt pour la France.
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