Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Houthis : petite attaque, grandes conséquences
par Jean-Baptiste Noé
En s’attaquant à un navire de commerce israélien, les Houthis déstabilisent l’ensemble du commerce en mer Rouge et donc dans le canal de Suez, engendrant des conséquences désastreuses pour les pays du Proche-Orient.
Maîtrisant les codes de la communication, les Houthis ont filmé et diffusé la scène d’attaque d’un navire de commerce. Leur hélicoptère se pose sur la plateforme du bateau, des hommes armés en descendent et prennent en otage les membres de l’équipage qui, sans arme ni moyen de défense, se rendent. Le bateau est arraisonné et détourné vers un port du Yémen. Quatre navires ont ainsi été attaqués, ce qui est peu compte tenu de l’intense trafic maritime en mer Rouge mais suffisant pour déstabiliser la région.
De la guerre au Yémen à la guerre contre Israël
Tribu du Yémen menant une guerre civile dans le pays depuis une dizaine d’années, les Houthis sont financés en partie par l’Iran qui se sert d’eux dans sa guerre par procuration menée contre l’Arabie saoudite. Le conflit yéménite a fait plusieurs centaines de milliers de morts, dans une indifférence mondiale. En se servant de leurs bases au Yémen pour attaquer des navires catalogués comme "israéliens", ils viennent de donner une dimension mondiale à leur lutte nationale. C’est officiellement pour affaiblir Israël qu’ils ont attaqué, avec des hélicoptères ou des drones, des navires de commerce supposés être liés à l’État hébreu. Mais dans un monde maritime où les succursales et les filiales sont nombreuses, ces bateaux en question ne sont que bien peu israéliens. L’actionnariat des compagnies propriétaires est dilué dans plusieurs mains, les navires sont loués à d’autres entreprises, qui elles-mêmes les mettent à la disposition de leurs clients. Les navires attaqués sont donc aussi israéliens que japonais ou anglais. Les attaques Houthis dépassent ainsi largement le simple cadre d’Israël.
L’Égypte en souffrance
En attaquant les navires dans la mer Rouge, les Houthis déstabilisent les routes commerciales qui y transitent et qui franchissent le canal de Suez. L’Égypte est donc aux premières loges, elle qui tire des revenus considérables des droits de péage. Pour ce pays au corps social fragile, déjà grandement inquiet de la guerre à Gaza, qui subit une inflation importante et une pression des Frères musulmans, la diminution du trafic de Suez est une bien mauvaise nouvelle et l’action des Houthis une bien mauvaise idée. D’autant qu’en prolongeant la guerre en mer Rouge, c’est aussi l’industrie du tourisme qui est touchée, même si les attaques ont lieu loin des stations balnéaires égyptiennes. L’instabilité et le risque d’extension du conflit, voire de déstabilisation de l’Égypte, n’encouragent pas à réserver des hôtels et à venir y passer des vacances. Le tourisme est une activité économique très volatile aux risques politiques et internationaux. Là aussi, l’Égypte en ressort affaiblie.
La situation est potentiellement dangereuse également pour la Jordanie. Une grande partie de ses échanges commerciaux se font avec l’Asie, notamment pour les engrais à base de potasse, que l’entreprise Arab Potash exporte massivement vers la Chine, la Malaisie et l’Inde, via la mer Rouge. La dégradation sécuritaire, surtout si elle se poursuit, va obliger à réorienter les routes commerciales vers la Méditerranée et le canal du Mozambique, engendrant des délais allongés et des coûts augmentés. Les Houthis voulaient frapper Israël, ils affaiblissent aussi les pays arabes.
Inquiétudes maritimes
Les compagnies européennes regardent avec inquiétude ces attaques qui pourraient elles aussi les contraindre à détourner leur route, avec des dégradations commerciales en cascade : allongement des coûts de transport, inflation des polices d’assurance, désorganisation des lignes d’approvisionnement. Les marins attaqués et pris en otage, dont une grande partie provient des Philippines, pourraient eux aussi se détourner des navires passant par la mer Rouge pour s’engager dans des traversées plus sécurisées. Le précédent des actes de piraterie somaliens à la fin des années 2000 reste dans les mémoires. Il avait fallu mener l’opération Atalante (commencée en 2008) pour sécuriser les passages et neutraliser les groupes de pirates, jusqu’à conduire des opérations militaires en Somalie. Eh c’est bien le problème central des attaques Houthis.
La piraterie n’existe que parce que les pirates disposent de bases terrestres où se replier et vivre. C’était le cas en Somalie comme en Afrique du Nord au XIXe siècle et aujourd’hui au Yémen. Mais personne ne veut se risquer à mener une opération militaire dans ce pays complexe, montagneux, où les Houthis contrôlent parfaitement leur territoire et où ils disposent du soutien de l’Iran. Ce serait courir le risque d’ouvrir un front dangereux et de crever l’abcès yéménite, jusqu’à faire couler un pus hautement inflammable dans un détroit de Bab el-Mandeb qui est déjà une poudrière. Le tout à quelques kilomètres de la base française de Djibouti. À l’heure où certains, en France, réfléchissent à un repli de l’armée et à des fermetures de bases, la guerre qui couve aux frontières de l’outre-mer français, en mer Rouge ici, au Guyana là-bas, devrait inciter à la prudence et à la prise en considération des réalités géopolitiques.
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