Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Espagne : un pays au bord de la crise de nerfs
par Jean-Baptiste Noé
Si Pablo Sanchez a réussi à se faire élire chef du gouvernement jeudi 16 novembre, c’est au prix de contorsions politiques qui risquent de fractionner durablement le pays.
La séquence politique ouverte en mai dernier avec la lourde défaite du PSOE aux élections locales s’est-elle refermée jeudi quand Pedro Sanchez est parvenu à se maintenir à la tête du gouvernement ? Toujours est-il que celui qui a perdu toutes les élections a réussi à rester Premier ministre. En mai, le PSOE subissait une défaite historique aux élections locales, perdant même des régions depuis toujours acquises à la gauche. En juillet, son parti perdait les législatives face au Parti populaire, mais le PP ne parvenait pas à obtenir une majorité avec ses alliés. Sanchez s’est alors engagé dans une course contre la montre pour obtenir un soutien majoritaire afin d’éviter de nouvelles élections générales. Mais cela s’est fait au prix d’un accord très controversé avec les indépendantistes catalans, si bien que beaucoup estiment qu’il a vendu l’Espagne pour conserver le pouvoir.
Une amnistie controversée
Voilà donc Pedro Sanchez élu chef du gouvernement, avec une courte majorité des voix qui regroupent, outre les députés du PSOE, ceux de la gauche radicale de Sumar et les voix des différents partis indépendantistes de Galice, du Pays basque et de Catalogne. Un attelage politique hétéroclite accepté par le PSOE pour rester au pouvoir, en échange d’une loi d’amnistie à venir pour laver les indépendantistes catalans.
L’affaire remonte à 2017 quand Carles Puigdemont, alors président de la Catalogne, organisa un référendum sur l’indépendance de la région. Référendum illégal qui valut à l’Espagne une crise politique majeure. Puigdemont et plusieurs membres de son parti, Junts, s’enfuirent à Bruxelles pour échapper à la justice espagnole, qui les poursuivit pour sécession et détournement de fonds. Hostiles à Pedro Sanchez et aux indépendantistes de gauche, Puigdemont et son parti Junts ont, en ce mois de novembre 2023, tourné casaque, soutenant la candidature du chef du PSOE en échange d’une loi d’amnistie pour lui et des centaines de membres de son parti. Accord conclu entre Madrid et Bruxelles, à la stupeur de bon nombre d’Espagnols, y compris des membres du PSOE refusant de s’allier aux indépendantistes.
Si Sanchez a obtenu ce qu’il voulait, à savoir rester à la tête du gouvernement, l’affaire est loin d’être terminée pour l’Espagne.
Les fractures rouvertes de l’Espagne
Alors que la situation économique et sociale de l’Espagne demeure fragile, que beaucoup de jeunes Espagnols quittent le pays pour se rendre en France et en Allemagne à la recherche d’un travail, nombreux sont ceux à reprocher à Sanchez de ne pas régler les vrais problèmes et d’en créer là où il n’y en a pas. Que vaut en effet cet accord gouvernemental qui voit, dans une même coalition, l’extrême gauche espagnole au référentiel idéologique câblé sur la guerre civile et des Catalans de centre droit hostiles à l’extrême gauche ? La loi d’amnistie, certes promise, va être compliquée à rédiger, à faire voter et à faire valider par la justice constitutionnelle espagnole.
Au sein même du PSOE, des voix s’élèvent contre la stratégie de Sanchez, beaucoup n’ayant pas envie de revivre les drames de l’automne 2017, quand la Catalogne fut bloquée par des grèves et des manifestations et que tout le pays fut marqué à blanc par l’attitude des Catalans.
D’autant que l’époque a changé en Catalogne, qui n’est plus le moteur économique de l’Espagne comme ce fut le cas jusqu’aux années 2000. En termes de dynamisme, Madrid est passé devant Barcelone et les ports de Valence et d’Algésiras engendrent plus de trafics que celui de Barcelone. L’immigration intérieure (Andalous voisins) et extérieure (population du Maghreb), qui s’installe en Catalogne pour travailler aux champs et dans les usines modifie la composition démographique de la région. La Catalogne de 2023 n’est plus tout à fait la même que celle de 2017, ce que Puigdemont, exilé à Bruxelles, n’a pas toujours vu. Pedro Sanchez a certes gagné en se faisant élire Premier ministre, alors qu’il a perdu les élections de mai et de juillet, mais l’avenir dira si sa victoire tactique est durable ou si elle n’est qu’un feu de paille.
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