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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Ukraine : sortir de l’enlisement
par Jean-Baptiste Noé

Après avoir évoqué l’échec de la contre-offensive, l’Ukraine doit penser les semaines d’après : remobiliser sa population et ses soutiens et définir une stratégie face à la Russie. Au risque, sinon, d’un enlisement dans l’oubli qui lui sera préjudiciable. 

11/11/2023 - 08:30 Lecture 5 mn.

Les propos du commandant en chef de l’armée ukrainienne, le général Zaloujny, ont refroidi les alliés de l’Ukraine. En reconnaissant, dans les colonnes de The Economist, l’échec de la contre-offensive, il a fermé la porte aux espoirs de reprise du territoire perdu. En 4 mois, l’armée ukrainienne n’a avancé que de 17 km, gagnant des territoires vers le sud, mais en perdant vers le nord. Alors que, selon le général Zaloujny, cela aurait dû être suffisant pour atteindre la Crimée : "Selon les manuels de l’OTAN et les calculs que nous avions faits, quatre mois auraient dû être suffisants pour que nous puissions atteindre la Crimée, y combattre et en revenir", explique-t-il. Mais ses hommes ont au contraire été freinés par les lignes de défense extrêmement efficaces de la Russie, alignées dans la profondeur et préparées depuis plusieurs mois. Empêchant l’armée ukrainienne de s’établir durablement sur la rive gauche du Dniepr.

La Russie contrôle toujours près de 20 % du territoire occupé depuis mars 2022 et les possibilités de la chasser de Crimée et du Donbass apparaissent de plus en plus minces. Le plus grave pour Kiev, est l’attrition humaine. L’Ukraine a perdu beaucoup d’hommes, morts ou blessés, la Russie également, mais Moscou dispose d’un réservoir plus grand. Le général Zaloujny a avancé le bilan de 150 000 Russes morts depuis mars 2022 ; un chiffre invérifiable, mais probable. Tout en reconnaissant également que Moscou, comme pour ses précédentes guerres au XXsiècle, est prêt à consentir des sacrifices humains importants : Dans n’importe quel pays, de telles pertes auraient mis fin à la guerre", fait remarquer le général Zaloujny, mais pas en Russie où la perception des pertes humaines est différente. Face à Moscou, l’Ukraine est en manque de bras et de soldats et même les livraisons stagnent, du fait de l’incapacité des Occidentaux à produire plus.

 

Dissensions occidentales

 

L’unanimisme occidental est en train de vaciller. Les républicains américains ont refusé de voter la rallonge budgétaire promise à Kiev. La Pologne a décidé de bloquer les importations de céréales ukrainiennes. L’Italie et l’Espagne se disent que leurs problèmes stratégiques sont davantage le sud de la Méditerranée que la Russie. La guerre à Gaza capte les attentions et fait peser une menace, terroriste ou sécuritaire, au sein même des États d’Europe de l’Ouest. La lassitude, face à un conflit sans fin, sans réelle avancée, bloqué, s’empare des opinions et des gouvernements.

Pour l’instant, dans le monde occidental, personne n’est prêt à reconnaître les pertes territoriales de l’Ukraine et une nouvelle avancée vers l’ouest de la frontière russe. Moralement inacceptable pour beaucoup de pays, ce serait aussi reconnaître l’échec des opérations militaires menées depuis mars 2022. Il y a un an, Henry Kissinger avait proposé une reconnaissance de l’état de fait, c’est-à-dire la souveraineté de la Russie sur les territoires conquis, mais l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN afin d’assurer sa sécurité future. Si l’on comprend que Kiev s’oppose à ce plan, l’échec de la contre-offensive rend ses prétentions difficiles. La diplomatie n’est que la continuation de la guerre, et en l’occurrence de la victoire. Une avancée ukrainienne aurait permis de peser à la table des négociations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Kiev est dans l’impasse.

Un effondrement de l’armée ukrainienne est redouté par plusieurs observateurs militaires : la crainte du manque d’hommes et d’une rupture du front face à une Russie qui, du point de vue de son armement, est en train de monter en gamme. Ce serait, pour l’Ukraine comme pour le monde occidental, la pire des situations. Mais comment négocier avec un adversaire qui a été ostracisé, comment lever les sanctions si la Russie est victorieuse du terrain militaire ?

N’ayant pas permis la défaite de la Russie, les sanctions prises contre Moscou deviennent désormais une nasse pour les Européens. Des hydrocarbures russes achetés plus cher par l’Europe via des pays écrans, des avions de ligne contraints de contourner l’immense espace russe : c’est une situation économique et politique qui n’est pas tenable sur le long terme. Avec la guerre, on en revient toujours à la même problématique : plus celle-ci dure, plus il est difficile de sortir de l’enlisement. Entre les pluies d’automne et les premiers frimas de l’hiver, c’est bien le défi d’une guerre qui s’enlise dans l’oubli que doit relever l’Ukraine et ses alliés européens.

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