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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Le F-35 : limite de la coopération européenne
par Jean-Baptiste Noé

Loin de coopérer à une industrie européenne commune, de nombreux pays d’Europe acquièrent du matériel américain, notamment les avions F-35. Plus faciles à insérer dans le cadre des procédures OTAN, ils démontrent la prééminence des règles administratives sur l’esprit de construction européenne.

07/10/2023 - 08:30 Lecture 5 mn.

Lors des sommets entre chefs d’État, quasiment tous sont d’accord pour affirmer qu’il faut une "Europe de la Défense" et une coopération industrielle européenne. Mais lorsque vient le moment de passer commande de matériel militaire, la réalité est autre : les équipements américains sont presque toujours préférés aux industries d’Europe. La saga du F-35 en est une redoutable illustration.

 

Le succès du F-35

 

Mis en service à partir de 2015 par Lockheed Martin, le F-35 Lightning est un avion de chasse conçu tant pour réaliser des attaques au sol que du contrôle aérien. Or depuis sa sortie, la liste des pays européens qui s’en équipent ne cesse de s’allonger : Italie, Suisse, Pays-Bas, Belgique et même l’Allemagne, qui devrait pourtant être le fer de lance de la défense européenne avec Airbus. Ces derniers jours, c’est au tour de la République tchèque d’annoncer la commande de 24 appareils, qui devraient être livrés à partir de 2031. Des appareils américains qui vont succéder à des avions suédois, les Gripen, qui équipaient jusqu’à présent l’aviation tchèque. Une commande qui s’élève à 6,5 milliards de dollars, comprenant, outre les avions, les munitions et la formation des pilotes. À quoi il faudra ensuite ajouter l’entretien.

 

Intégration otanienne

 

Le choix de la nationalité de l’équipement militaire n’est jamais neutre. Il répond à la fois à une logique pratique (s’équiper avec le meilleur armement possible) et à une logique politique (témoigner d’une alliance). Les liens entre acheteurs et vendeurs d’armes témoignent des relations d’intérêt de la géopolitique mondiale et des systèmes d’alliances militaires et politiques. Il serait inconcevable que les Européens achètent du matériel russe ou chinois. Si autant de pays d’Europe achètent américain, c’est pour répondre aux exigences de l’intégration dans l’OTAN. Parmi ses avantages, le F-35 est parfaitement configuré pour s’insérer dans les structures stratégiques et tactiques otaniennes, ce que les militaires appellent "l’interopérabilité".

Ce qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe dans le domaine informatique : pour plus de facilité d’emploi, mieux vaut avoir tous ses appareils avec le même système d’exploitation. Acheter des F-35 représente donc un gain pratique pour les armées de l’air. Et tant pis pour la défense européenne, en dépit de Dassault, Saab, Leonardo et Airbus. Des entreprises qui doivent trouver des marchés hors d’Europe, notamment en Inde et dans les pays du Golfe pour Dassault, c’est-à-dire hors du cadre de l’OTAN.

La formation des pilotes étant assurée par les formateurs de Lockheed Martin et de l’armée américaine, c’est donc aussi la philosophie militaire américaine qui est transmise, une manière de voir et d’agir différente de celle portée par d’autres acteurs militaires. Le retour de l’OTAN, incontestable depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, se manifeste donc aussi dans l’achat du matériel militaire.

Les Américains reprochent souvent aux Européens d’être des passagers clandestins de l’alliance atlantique : ce sont principalement les Américains qui financent l’OTAN, alors que sa finalité est la protection des Européens, qui eux payent très peu. Tous les présidents américains s’en sont plaints et ont plaidé pour un accroissement de l’engagement financier des Européens. Donald Trump l’avait fait à sa manière, c’est-à-dire brutalement, en menaçant de quitter l’OTAN si les pays d’Europe ne payaient pas davantage. Il ne s’agirait pas que le contribuable américain finance la sécurité des Européens.

Mais l’achat de matériel militaire par ces derniers est une forme de contribution indirecte à l’effort de guerre américain et un soutien à leur industrie de l’armement. L’OTAN permet ainsi à l’industrie américaine de la défense de bénéficier de débouchés quasi automatiques. Et tant pis pour l’industrie européenne et le projet d’une "Europe de la défense", qui reste bloqué au stade du slogan politique.

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