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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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La mer Noire : le carrefour des rivalités russo-turques
par Jean-Baptiste Noé

Bordée par plusieurs pays clefs, traversés par les routes de l’énergie, lieu de passage des bateaux céréaliers, la mer Noire devient le carrefour des rivalités de la Turquie et de la Russie.

22/07/2023 - 08:30 Lecture 5 mn.

En inaugurant son nouvel aéroport, à Istanbul, ce 29 octobre 2018, Recep Tayyip Erdogan voulait démontrer que la Turquie redevenait un carrefour essentiel des routes aériennes mondiales. Un aéroport dont les lignes relient l’Asie centrale et l’Afrique, mais qui a aussi la particularité d’être situé en bordure de la mer Noire. Bordé par six pays, dont la Russie et la Turquie, le Pont-Euxin de l’Antiquité a longtemps joué en deuxième catégorie. Il était au mieux l’antichambre de la Méditerranée, la porte maritime vers l’Orient et l’Asie, un espace balnéaire pour Soviétiques en villégiature, un souvenir pour amateurs de l’Antiquité. La disparition de l’URSS a morcelé les frontières de la mer Noire, obligeant à partager ses côtes et ses eaux. La renaissance de la Chine en a fait la dernière étape de l’avancée chinoise vers l’Europe. Voilà comment cet espace, autrefois périphérique, est en train de devenir central.

 

Le ring des puissances

 

Avant que ne commence la guerre, la Chine achetait en Ukraine de nombreuses terres céréalières afin de nourrir sa population. Des céréales qui transitent par la mer Noire pour rejoindre les ports chinois. La question céréalière est toujours l’une des épées de Damoclès que maintient le conflit. En refusant de renouveler l’accord de juillet 2022 relatif à l’exportation des grains, la Russie remet en action l’arme alimentaire et relance la pression sur les pays qui en sont dépendants. Bien malgré elle, la mer Noire est devenue une pomme de discorde des grandes puissances.

L’autre enjeu est énergétique. Le gazoduc Blue stream (ouvert en 2003) reliant la Turquie à la Russie est complété par le Turkstream (ouvert en 2020) d’une longueur de 1 090 km. À quoi s’ajoute le projet Nabucco, sans cesse repoussé, qui devrait relier la Caspienne à l’Europe en passant par la Turquie. Entre gazoducs effectivement ouverts et gazoducs en projet, la mer Noire retrouve sa vocation de pont entre l’Asie et l’Europe et de passage obligé des routes commerciales et énergétiques.

Pour la Russie, l’annexion de la Crimée (2014) puis le contrôle du Donbass et de Marioupol (2022), transforme la mer d’Azov en lac russe et assure un continuum terrestre entre la Russie et Sébastopol, accroissant l’emprise russe en mer Noire. Pour la Turquie, les projets ne sont pas moins ambitieux. L’aménagement du Bosphore vise à renforcer l’intérêt stratégique de ce lieu de passage qui voit déjà transiter plus de 48 000 navires par an, soit trois fois plus que le canal de Suez et quatre fois plus que celui de Panama. Des travaux d’envergure ont été lancés en juin 2021 (canal de Turquie), avec pour objectif de double le Bosphore, donc d’accroître encore davantage et le trafic maritime et la position centrale d’Istanbul. C’est là l’un des enjeux oubliés de la guerre en Ukraine : faire de la mer Noire un protectorat turco-russe, débouché des routes de la soie chinoises.

 

Un angle mort de l’Europe

 

D’où l’importance d’assurer un contrôle militaire, nécessaire au maintien de l’ordre et à la permanence d’une police maritime. Une zone aussi stratégique que la mer Noire ne peut échapper au contrôle des Occidentaux et aux radars des Européens. Certes la Turquie, comme membre de l’OTAN, assure la présence des Occidentaux, mais elle joue d’abord pour elle. Par la Convention de Montreux (1936), elle contrôle les passages des détroits, veillant en premier à ses intérêts.

Sans base militaire ni tête de pont, l’Europe est donc absente de la mer Noire, espace pourtant essentiel et aux portes de son continent. La présence de la Roumanie et de l’Ukraine fournit des leviers à actionner pour que l’Union européenne puisse disposer d’un droit de regard sur un espace maritime essentiel pour son futur. Seule marine digne de ce nom au sein de l’UE, la France a un rôle majeur à jouer. Encore lui faut-il disposer de bâtiments et d’hommes en nombre suffisant pour assurer d’éventuelles missions, ce qui est loin d’être le cas.

Un nouveau nomos de la terre est en train d’émerger, c’est-à-dire un lieu central où se jouent les rivalités de puissance. Or la mer Noire est à la fois très proche de l’Europe et très éloignée dans sa vision géopolitique et son action stratégique. Il y a pourtant urgence à la penser dans le cadre global de la guerre en Ukraine et à prendre en compte que les frontières européennes vont au moins jusqu’au Caucase, ce qui englobe l’antique Pont-Euxin.

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