Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Madagascar : la grande île face à son destin
par Jean-Baptiste Noé
Île continent entre l’Inde et l’Afrique, terrain de convoitise des Chinois et des Russes, Madagascar s’apprête à élire son nouveau président dans un climat tendu.
Madagascar dispose d’une curieuse particularité : alors que ce pays n’a pas connu de guerre depuis les années 1950, il est l’un des plus pauvres au monde. Il n’a pas l’excuse du Yémen, de la Somalie ou de la Syrie, rongés par les conflits internes et les jeux de pouvoir internationaux. Ce n’est pas non plus un pays enclavé, comme le Bouthan ou la Centrafrique. Ni un pays qui manquerait de ressources : la faune et la flore sont d’une grande diversité et tout semble pousser sur la Grande île. À tel point que les géographes français des années 1960 lui promettaient une croissance fulgurante et un avenir radieux, alors que les prévisions macroéconomiques n’accordaient que peu d’intérêt à la Corée, à peine sortie de sa terrible guerre, à Taïwan ou au Vietnam. Soixante ans plus tard, les pays ont croisé leurs destins et Madagascar est restée là où elle était.
Des potentiels en perpétuel devenir
Surnommée l’île rouge, à cause de la latérite, elle était autrefois surnommée l’île verte, pour ses forêts, dont près de 80 % ont été détruites par des déboisements. Sur des sols nus, les eaux torrentielles ravinent la terre, créant des coulées de boue et appauvrissant les terres. Peuplée de près de 4 millions d’habitants, la capitale est sous-dimensionnée pour une telle population. L’air y est insalubre, l’adduction d’eau en déshérence, la voirie aléatoire. Une capitale à l’image d’un pays qui est l’un des plus pauvres au monde, en dépit des investissements réguliers opérés par les gouvernements.
Le sud du pays est un bon exemple de cet échec du développement. Alors que le reste de l’île connaît un climat essentiellement tropical, caractérisé notamment par de fortes précipitations, le sud est lui marqué par un climat subdésertique, donc avec des précipitations très faibles, engendrant des sécheresses importantes qui réduisent la production agricole et accentuent les difficultés alimentaires. Aucun aqueduc n’existe pour transporter l’eau abondante du nord de l’île vers le sud en état de stress hydrique. Aucune infrastructure non plus pour capter l’eau des nappes phréatiques situées à près de 250 m de profondeur et qui permettraient pourtant d’irriguer les cultures.
Autre potentiel à ne pas être mis en valeur, celui du tourisme. Alors que l’île Maurice voisine reçoit près de 1,5 million de touristes annuels, Madagascar n’en recense que 300 000. Ce ne sont pas les intérêts naturels et paysagers qui manquent, mais les infrastructures hôtelières, tout comme la sécurité et l’accès à l’eau et au soin. Si le tourisme contribue au développement des pays, il ne peut exister que si ceux-ci possèdent un minimum d’infrastructures modernes pour les accueillir.
Élections sous tensions
Les élections présidentielles de novembre prochain verront donc des candidats s’affronter sur ces thèmes essentiels. L’actuel président, Andy Rajoelina, est handicapé depuis plusieurs semaines par la révélation de sa possession de la citoyenneté française, accordées en 2014 grâce à un décret de Manuel Valls. Or la binationalité est possible uniquement si elle est acquise à la naissance ou par filiation et la constitution malgache prévoit la déchéance de nationalité pour les Malgaches qui acquièrent volontairement une autre nationalité. Comme la constitution impose aussi d’avoir la nationalité malgache pour être candidat à la présidentielle, l’opposition s’en est prise au président, d’une part pour l’empêcher de se représenter à l’automne, d’autre part pour faire remarquer qu’ayant volontairement pris une nationalité étrangère en 2014, il ne pouvait pas se présenter en 2018.
Rajoelina a répliqué en rétorquant qu’il avait obtenu cette citoyenneté par filiation, son arrière-grand-père étant français. Mais la chose n’est pas claire : il est plus probable qu’il ait obtenu cet état, ainsi que sa femme et ses trois enfants, pour le protéger et lui permettre de venir plus facilement en France, étant donné qu’il avait participé aux manifestations de 2009 qui avaient conduit à un changement de président. Quoi qu’il en soit, le président est englué dans un débat juridico-politique qui n’est pas sans arrière-pensée et qui perturbe la fin de son mandat.
Frictions françaises
D’autant que les relations avec la France sont tendues. L’extradition surprise du colonel Philippe François a permis de mettre un terme à une pomme de discorde qui traînait depuis plusieurs années. Reste le dossier des îles Éparses, toujours revendiquées par Madagascar, qui convoite surtout les gisements off-shore de pétrole. Si la France n’a pas l’intention de céder, un coup de force n’est jamais à exclure. La Grande Île connaît en effet une lutte d’influence étrangère tous azimuts. La Russie s’y est implantée ; plusieurs unités de Wagner ont été aperçues sans que l’on connaisse leur fonction réelle. La Chine a acquis les droits de pêche, lui permettant d’envoyer des bateaux, certes pour pêcher, mais aussi pour observer et surveiller.
Comme en Nouvelle-Calédonie, la France se retrouve ainsi directement menacée dans son espace stratégique de premier ordre par l’expansionnisme de Pékin. Il va être intéressant d’étudier le positionnement de la Chine et de la Russie lors de cette présidentielle, cette dernière ayant déjà financé des campagnes électorales malgaches par le passé. Faire entrer des puissances étrangères concurrentes qui s’aiguisent les dents sur l’île est aussi une façon de faire croître les enchères et de se repositionner dans le jeu géopolitique de l’océan Indien. Compte tenu des nombreuses possessions territoriales et maritimes de la France dans cet espace indien, Paris ne peut pas se permettre d’être mis sur la touche.
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