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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Ukraine : la dernière chance
par Jean-Baptiste Noé

La contre-offensive ukrainienne annoncée depuis l’été 2022 serait en cours de réalisation. Des mouvements de troupes de plus en plus nombreux sont détectés tout au long de la ligne de front. Pour Kiev, il y a urgence à mener cette opération, qui est condamnée à réussir.

10/06/2023 - 08:30 Lecture 6 mn.

Elle devait avoir lieu en juillet 2022, puis en août, puis au printemps 2023 ; il semblerait qu’elle soit désormais en route. La contre-offensive ukrainienne, qui doit au mieux chasser les Russes du territoire occupé, au moins les forcer à négocier en position de force, serait en train de se dérouler, selon les images satellitales des mouvements de troupe. Mais celle-ci n’est pas confirmée du côté de l’Ukraine, ce qui est tactiquement habile si elle venait à échouer. En effet, pour Kiev, c’est un fusil à un coup. La contre-offensive est condamnée à réussir : compte tenu des pertes humaines et des tensions sur le ravitaillement, il n’y aura pas de seconde chance.

 

Une Ukraine en tension

 

Face à l’armée ukrainienne, les Russes ont disposé 6 lignes de défense dans la profondeur (appelée "Ligne Fabergé"), avec tranchées et bunkers. Renverser un tel dispositif ne sera pas aisé. D’autant que le mois de mai a été, côté russe, le plus dense en frappes depuis mars 2022. Des frappes dans la profondeur qui ont touché Kiev et des villes moyennes, qui démontrent que la Russie est encore capable de se ravitailler et de produire des missiles ; preuve supplémentaire de l’inefficacité des sanctions économiques pour couper l’effort de guerre russe. Intercepter ces missiles nécessite, côté ukrainien, une grande consommation de munition, ce qui épuise ses réserves. 80 % des frappes sont arrêtées, donc 20 % parviennent à passer et frapper. Raison pour laquelle Kiev demande des F-16 aux États-Unis : ce n’est pas tant pour un usage offensif que défensif, afin d’assurer la protection des villes et des populations civiles.

L’Ukraine joue son va-tout dans cette offensive de fin de printemps. Si elle ne passe pas, non seulement elle ne pourra pas négocier en position de force, mais elle risque fort de voir le soutien américain s’infléchir. Anthony Blinken a ainsi récemment annoncé que l’Ukraine devait tout faire pour se défendre, mais non pas attaquer, ce qui témoigne d’une nette inflexion du côté de Washington. Dans l’affaire opaque du barrage, les Anglais n’ont pas apporté un soutien inconditionnel à Kiev, mais ont annoncé attendre les résultats d’une enquête avant d’attribuer l’origine de ce sabotage à l’un ou l’autre camp. La révélation, par la presse allemande, du rôle de l’Ukraine dans le sabotage de Nord Stream 2, rompt là aussi avec le consensus en vigueur qui l’attribuait aux Russes.

Plusieurs sources militaires soulignent que les Européens et les Américains ne pourront pas soutenir l’Ukraine trop longtemps : les capacités de production arrivent à bout. L’armée française a prêté beaucoup de matériel à l’Ukraine, dégarnissant ses brigades. Elle peut difficilement faire plus. Quant aux États-Unis, ils épuisent des ressources stratégiques critiques dont ils ont besoin en Asie et dans le Pacifique. Le "pivot vers l’Asie" initié par Obama est contrarié par cette guerre au centre de l’Europe. Nombreux sont ceux à penser, dans les cercles de réflexions américains, qu’il est temps d’arrêter cette guerre pour revenir à l’essentiel : la compétition contre la Chine et les puissances émergentes de l’Asie. Les États-Unis sont sous tension : ils ne peuvent pas fournir davantage de matériel et si un second front venait à s’ouvrir (au hasard, en Corée du Nord ou à Taïwan), ils ne pourraient pas répliquer. Ce qui se sait en Asie, et ce qui pourrait donner de mauvaises idées à Pyongyang ou à Pékin. À Washington aussi, on souhaite tourner la page.

 

L’Europe s’enlise, l’Asie court

 

Pendant que l’Europe s’enlise dans une guerre qui dure depuis quinze mois, qui consomme ses forces et son industrie militaire, l’Asie se recompose et témoigne de son dynamisme. La conférence de Shangri-La (Singapour) et celle d’Astana (Kazakhstan) témoignent de la recomposition du monde et de la place de plus en plus prépondérante de l’Asie. Voici la Chine et l’Indonésie qui font des propositions de paix pour régler le conflit en Ukraine. Certes, celles-ci ont été balayées par les deux parties, mais qui aurait imaginé, il y a encore vingt ans, que les pays d’Asie s’immisceraient dans les affaires intérieures de l’Europe, comme l’Europe s’immisçait autrefois dans les affaires de l’Asie ? Qui aurait pu penser que l’Indonésie se mettrait au même niveau que l’Allemagne et la France en intervenant, par la voie diplomatique, dans un conflit à leurs frontières ?

La réconciliation entre l’Iran et l’Arabie saoudite a peu fait parler en France, alors qu’il s’agit d’un événement majeur. Réalisée sous l’égide de la Chine, elle témoigne de la présence de Pékin au Moyen-Orient et de sa capacité à influer directement sur les affaires du monde, notamment pour assurer ses approvisionnements énergétiques, qui seront payés en renminbi et non plus en dollar. Cette dédollarisation, qui s’est accélérée depuis la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, inquiète à juste titre les États-Unis, car elle touche à l’un des piliers de leur puissance. Pour beaucoup de proches de l’administration Biden, l’Ukraine est un conflit secondaire ; Washington doit revenir vers ce qui est son enjeu premier et principal, la Chine et l’Indo-pacifique. Si la contre-offensive venait à échouer, Washington conduira Kiev à la table des négociations. Pour l’Ukraine, il n’y a donc pas le choix : c’est l’heure d’attaquer, et il faut gagner.

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