Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Karabagh : l’Arménie reconnaît la souveraineté de l’Azerbaïdjan
par Jean-Baptiste Noé
En annonçant la reconnaissance de la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh, Nikol Pachinian a surpris et provoqué la stupeur parmi les soutiens des Arméniens du Karabagh. Reste à négocier le retrait et à établir une paix durable, ce qui ne sera pas aisé.
En annonçant reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh, le Premier ministre de l’Arménie, Nikol Pachinian, a provoqué l’effroi et la stupeur. Personne ne s’attendait à une telle annonce, qui signifie la fin du soutien de l’Arménie au territoire de l’Artsakh et donc, dans un avenir proche, la fin de son indépendance. Pour les près de 100 000 Arméniens qui habitent dans la région, l’inquiétude est grande quant à leur avenir. S’il est possible que beaucoup s’en aillent, notamment les plus jeunes, nombreux sont ceux qui veulent rester dans leur maison et leur village, en appréhendant la cohabitation avec les Azéris et l’intégration dans l’Azerbaïdjan.
Une annonce surprenante
L’annonce a surpris, mais Pachinian avait-il d’autres possibilités ? L’Arménie ne dispose pas d’une armée suffisante pour repousser l’armée d’Azerbaïdjan. Le blocus autour du territoire, qui a duré une grande partie de l’hiver, a affaibli les populations et montré l’impasse de la situation. L’Azerbaïdjan ne cède pas et aucun État n’est venu en soutien de l’Arménie. Là réside la principale défaillance, qui a commencé aux débuts des années 2000. Persuadée de disposer du soutien militaire inconditionnel de la Russie et du soutien moral de l’Europe, l’Arménie n’a pas renouvelé ses alliances ni étoffé son armée. Or, face aux 10 millions d’Azéris, elle ne représente que 2,8 millions d’habitants. L’économie du pays ne décolle pas. Enclavée, sans hydrocarbures, entourée de voisins hostiles, l’Arménie est seule et isolée. Ses alliés traditionnels l’ont lâchée. En septembre 2020, au moment de la guerre lancée par l’Azerbaïdjan, Moscou a certes joué les casques bleus en séparant les belligérants et en envoyant des troupes de maintien de l’ordre, mais sans plus. Entre Erevan et Bakou, Moscou n’a pas tranché et a joué la carte de la neutralité. Première défaite diplomatique pour l’Arménie, qui comptait sur un soutien inconditionnel de la Russie, au nom de l’alliance des chrétiens orthodoxes.
Tout en appelant au respect des populations civiles et au silence des armes, l’Union européenne n’a pas pris le parti de l’Arménie contre Bakou. En dépit de la mobilisation intense des réseaux arméniens en France, Paris n’a apporté qu’un soutien très timoré. Personne n’avait envie de faire dégénérer le conflit ni à engager les moyens militaires pour contraindre l’Azerbaïdjan à reculer. D’autant que protégé par la Turquie, l’État de la Caspienne dispose d’un allié de poids.
L’invasion de l’Ukraine a infléchi la donne dans un sens défavorable à l’Arménie. Embourbée, la Russie ne pouvait plus faire usage de la puissance militaire dans le Karabagh. Ayant adopté les sanctions économiques, l’UE cherche de nouvelles ressources en hydrocarbures, et Bakou est l’une de celles-ci. L’Azerbaïdjan a conclu de nouveaux accords pour exporter gaz et pétrole. Le contrôle du Karabagh lui permettra de construire un pipeline qui rejoindra ainsi la Caspienne à l’Europe. Si le pétrole n’explique pas tout, rien ne s’explique sans le pétrole et le gaz.
Les Européens souhaitent aussi évincer la Russie du Caucase. Plus tôt le conflit est réglé, plus tôt les troupes russes s’en iront. Dans ce qui était il y a trente ans encore l’Union soviétique, il ne restera bientôt plus de trace de la présence russe. La reconnaissance du Karabagh azéri est une conséquence indirecte de la guerre en Ukraine. Ce qui se manifeste, c’est l’évaporation de "l’étranger proche" de la Russie.
Tout reste à faire
Si l’annonce a surpris, tout reste encore à faire. Définir le tracé exact de la frontière, les modalités d’arrivée de l’Azerbaïdjan, le retrait éventuel et les dédommagements des civils arméniens, les garanties de liberté de vie et de culte pour ceux qui resteront. Les Arméniens craignent une purification ethnique et la destruction de leurs lieux de culte. Pour l’Azerbaïdjan non plus, rien n’est réglé. Ruinée par la guerre, la région est pauvre. Il va falloir investir beaucoup pour reconstruire. Intégrer un territoire peuplé d’une population hostile n’est jamais simple. Marqués par la guerre et les oppositions spirituelles et civilisationnelles, les Arméniens du Karabagh ne vont pas rentrer dans le rang sans souffrance ni résistance. Des heurts, voire des drames, sont à craindre, qui risquent d’avoir de lourdes répercussions diplomatiques. Les Azéris chassés du Karabagh dans les années 1990 ne souhaitent guère revenir. Ils ont refait leur vie ailleurs et ils n’ont aucune envie de déménager dans une région hostile. Pour Bakou, le défi est donc immense : il ne s’agit pas tant d’obtenir une reconnaissance territoriale que de gérer un séparatisme de fait. Comment opérer un vivre en commun et un vivre ensemble dans un même pays avec des populations qui viennent d’être annexées, qui ont subi trois ans de guerre et qui sont viscéralement hostiles à cette annexion ? Des défis humains qui seront beaucoup plus lourds à relever que d’édifier des pipelines à travers les montagnes.
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