Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Le Sud global peut-il s’imposer ?
par Jean-Baptiste Noé
Désireux de concurrencer l’Occident tout en affirmant leurs spécificités, les pays du sud se regroupent sous une nouvelle expression, celle de Sud global. Mais au-delà de la volonté de non-alignement, ce qui les sépare est plus fort que ce qui les unit.
Depuis qu’ils ont accédé à l’indépendance, les pays non occidentaux cherchent leur place sur l’échiquier mondial. Suivant la voie étroite du non-alignement tout en se plaçant dans l’orbite d’un grand pour bénéficier de ses soutiens militaires et économiques, ils ont pu choisir le parapluie soviétique ou américain, en fonction de leurs intérêts et de leurs préférences idéologiques.
Au début des années 2000, c’est autour des BRICS que leur influence s’est structurée. Leur regroupement ne dépendait plus de leur accès récent à l’indépendance, mais des promesses économiques qu’ils pouvaient atteindre. Vingt ans plus tard, la Chine a réussi l’exploit de concurrencer les États-Unis, l’Inde est en passe de devenir le pays le plus peuplé du monde, avec de très bons succès économiques dans certains secteurs, mais le Brésil et l’Afrique du Sud n’ont pas atteint la puissance qu’ils espéraient. Quant à la Russie, elle a brûlé ses vaisseaux par l’invasion de l’Ukraine.
"Sud global" : un concept flou
Après le mythe tiers-mondiste, c’est donc désormais autour du concept de "Sud global" que les pays non occidentaux se regroupent. Mais qu’ont-ils réellement en commun ? Cela fait bien longtemps que le "sud" ne concentre plus les pays pauvres du monde. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont bien au sud, quand une grande partie des pays d’Afrique et d’Amérique latine sont au nord de l’équateur. Force est de constater que ce sud global est davantage conceptuel que géographique. En Asie, les anciens pays sous-développés des années 1960 ont réussi leur développement, épuisant les images animalières usitées par les géographes : tantôt dragons, tantôt tigres asiatiques.
On a même parlé de "miracle économique", comme si ce développement était tombé du ciel, sans effort de la part de ces pays. C’est tout l’inverse. Il n’y eut aucun miracle, mais des efforts constants pour moderniser, investir, technologiser, avec la ferme volonté de rattraper le retard accumulé sur l’Occident. Au fur et à mesure de leur développement, le concept de "sud" s’est rétréci pour ne réunir aujourd’hui que les pays d’Afrique et quelques pays d’Amérique latine. Ils ont marqué leur autonomie en refusant de voter des sanctions contre la Russie, en maintenant leurs liens économiques et politiques avec Moscou, en se rapprochant de Pékin.
Le cas emblématique est le président brésilien Lula. Héros de la gauche antimondialiste du début des années 2000, il avait fait de Porto Alegre le lieu d’un contre-sommet du G7, où les antimondialistes se réunissaient pour partager leurs rêves d’un autre monde. Ce sommet a vécu et semble désormais bien suranné. Le terme même d’antimondialisme n’est plus usité. Les luttes ont changé, les concepts ont évolué. Et Lula, revenu au pouvoir, semble décalé par rapport aux attentes d’aujourd’hui de la gauche mondiale. Il n’est plus le héraut qu’il a été, il ne joue plus le porte-voix des discours altermondialistes, il n’endosse plus le rôle du politique qui pourrait offrir un autre monde. Et ce ne sont pas uniquement les affaires de corruption et son passage en prison qui ont cassé le philtre magique de sa perception.
Des pays désunis
La seule opposition à l’Occident ne suffira pas à bâtir une coalition du sud global. Certes le discours chinois attire, lui qui promet un "nouveau modèle de modernisation", c’est-à-dire les avantages du capitalisme sans les piliers intellectuels qui le porte : pas de pluralisme politique, pas de liberté de la presse, pas de liberté d’opinion, mais malgré tout le développement matériel et la puissance mondiale. La Chine donne l’impression d’avoir réussi cette alchimie qu’aucun pays n’avait pu atteindre jusqu’alors. Mais pour combien de temps ?
Le sud global peut en effet accuser l’Occident d’avoir déstabilisé le monde, d’avoir ouvert des guerres inutiles, au nom de leurs valeurs, qui laissent des pays en désolation et des cicatrices non refermées. C’est certes vrai, mais c’est occulter le fait que les guerres les plus meurtrières se déroulent aujourd’hui dans ce sud global. S’il est aisé de faire vibrer la corde de la culpabilité en rendant l’Occident responsable de leurs problèmes internes, c’est surtout une façon de masquer leurs propres échecs. Accuser l’Occident est un ressort politique bien commode pour détourner les mécontentements internes.
Le sud global est bien trop divers pour être réduit à une globalité qui pourrait réunir tous ces pays. Leurs intérêts sont divergents, tout comme leurs objectifs. L’opposition à l’Occident, si elle est commode, ne suffira pas à les réunir ni à leur donner la dynamique nécessaire pour leur développement.
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