Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Espagne : un pays en crise existentielle
par Jean-Baptiste Noé
À rebours de nombreuses prévisions, Pablo Sanchez (PSOE) n’a pas perdu les élections législatives du 23 juillet. Si l’Espagne entre dans une période d’incertitude, le chef du parti socialiste a gagné son pari et a renforcé son autorité.
Le 28 mai 2023, Pablo Sanchez était groggy et fragilisé. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) venait de subir une très lourde défaite aux élections régionales, perdant de nombreux sièges dans des régions pourtant acquises à la gauche. Lorsqu’il annonça des élections législatives anticipées, beaucoup de commentateurs y virent un suicide destiné à préparer sa sortie. Les résultats du 23 juillet ont pourtant déjoué de nombreux pronostics. Certes, le PSOE est arrivé deuxième, derrière le Parti Populaire, mais il a progressé en nombre de voix et de député par rapport à 2019 et, surtout, il empêche le PP de disposer d’une majorité absolue et relative aux Cortès. Une défaite qui ressemble à une victoire tant le score obtenu était inespéré.
L’aspiration des extrêmes
La comparaison entre 2019 et 2023 est des plus intéressante. En 2019, Sanchez obtenait 28 % des voix et 120 députés, devant le PP (20,8 %, 89 députés), Vox (15 %, 52 députés), Podemos (12 %, 35 députés) et les partis nationalistes locaux.
En 2023, le PP est certes passé en tête (33 %, 136 députés) mais Sanchez a fait mieux (31,8 % et 122 députés), alors que Vox (12,4 %, 33 députés) et Sumar (12,3 %, 31 députés) ont reculé. La leçon générale est donc que les partis extrêmes ont reculé, un ensemble important de leurs électeurs s’étant rallié au PP et au PSOE. La première leçon de ces législatives est donc que l’Espagne revient à un système bipartisan ; les partis dissidents de la droite et de la gauche ayant connu un recul majeur.
Comme toujours, après l’analyse globale, l’analyse régionale livre des résultats intéressants, surtout dans un pays comme l’Espagne où les communautés disposent de beaucoup plus de pouvoir qu’en France. Par rapport à 2019, toutes les régions ont voté majoritairement PP, sauf la Navarre, le Pays basque, la Catalogne, Séville Cacéres et Badajoz. On retrouve là un schéma habituel en géopolitique : les régions qui s’opposent au pouvoir central sont celles qui sont situées en périphérie, comme une tendance marquée à l’autonomie à l’égard de la capitale.
C’est encore plus vrai en Espagne où la Catalogne et le Pays basque ont des partis autonomistes puissants. Le PSOE a opéré une très forte progression en Catalogne, siphonnant les voix des partis autonomistes. Il s’agit là d’une longue tradition catalane qui, déjà durant la guerre civile, avait vu s’opposer une guerre civile interne entre les différents mouvements républicains et marxistes. Barcelone et sa région demeurent un trublion encombrant de la politique espagnole.
Un pays bloqué
Organiser des élections législatives au cœur de l’été n’est pas la meilleure façon de permettre la participation, d’autant que le vote par procuration n’est pas autorisé en Espagne, contrairement à la France. À l’inverse, le vote par correspondance est permis, comme aux États-Unis, ce qui a donné lieu à un chiffre massif et sans précédent de 2,5 millions de votes par correspondance. Mais pour les Espagnols présents à l’étranger au moment du vote, le vote n’a pas été possible. Ce déficit démocratique, cette impression de trucage et de tripatouillage des voix fragilise le Parlement nouvellement élu. D’autant qu’étant en situation de blocage, il risque fort de ne pas pouvoir gouverner.
Si le PSOE arrive à trouver un accord avec les indépendantistes de Catalogne, il pourra conserver la majorité aux Cortès, ce qui est loin d’être acquis. Un accord PP / PSOE semble lui aussi difficile. Si aucun président n’est élu d’ici l’automne, de nouvelles élections seront automatiquement convoquées, qui auront alors lieu en décembre. Autant dire que l’élection du 23 juillet n’est que le début d’un processus électoral qui peut être long.
Mais au-delà de la majorité aux Cortès, c’est la vie démocratique espagnole qui est en jeu. L’Espagne est plus que jamais fracturée. Sanchez a ravivé les plaies à peine refermées de la période franquiste en rouvrant les conflits de mémoire et les oppositions idéologiques. Sur le plan économique, l’Espagne souffre. Beaucoup de jeunes ne parviennent pas à trouver du travail et partent à l’étranger, notamment en France et en Angleterre. Les tensions régionales ravivent la question de l’éclatement du pays et de la permanence de son unité. C’est d’ailleurs pour proposer une réponse à cette crise existentielle que Vox s’est scindé du PP.
Si un nombre non négligeable d’Espagnols restent attachés aux débats idéologiques, beaucoup souhaitent surtout que le porte-monnaie soit plus fourni, que le pays soit plus apaisé et que les jeunes aient un emploi. Autant d’éléments qui expliquent la crise existentielle que connait l’Espagne, et qui ne pourra pas se résoudre uniquement dans les urnes.
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