Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Karabagh : l’Azerbaïdjan assure sa conquête
par Jean-Baptiste Noé
L’intervention militaire de l’Azerbaïdjan au Karabagh était imminente depuis plusieurs semaines. Elle fut rapide et déboucha sur un contrôle total de la région. Rien n’est réglé pour autant : le sort des populations civiles demeure une grande inquiétude.
Voilà plusieurs mois déjà que l’Azerbaïdjan souhaitait achever la guerre ouverte en septembre 2020 et en finir avec l’autonomie du Karabagh. Si l’assaut militaire n’a duré que quelques heures, c’est que la stratégie d’étouffement fut menée étape par étape depuis plusieurs mois, jusqu’à assurer à Bakou une victoire sans combattre.
Une annexion en quatre étapes
Première étape essentielle, s’assurer de la neutralité des alliés de l’Arménie, Russie et Union européenne en premier lieu. Engluée dans sa guerre en Ukraine, la Russie n’avait nullement envie de provoquer une guerre dans le Caucase. Les relations entre Nikol Pachinian (Premier ministre arménien) et Vladimir Poutine sont au plus bas : le voisin russe ne voit plus dans l’Arménie un allié intéressant. Côté européen, la perspective de l’accès au gaz et au pétrole azéri est bien évidemment essentielle, surtout après les sanctions imposées à la Russie. Bien que ces hydrocarbures ne comptent que pour 2 % des importations dans l’UE, c’est une part essentielle à l’heure de l’inflation et de la fermeture du marché russe. Le Karabagh arménien est la victime collatérale de la guerre en Ukraine. Les Européens ont en ce moment des dossiers plus importants, à leurs yeux, à gérer.
Deuxième étape, détacher l’Arménie du Karabagh. Peuplé de 120 000 habitants, sans existence propre en dehors d’Erevan, le Karabagh a besoin du soutien de l’Arménie pour son ravitaillement en denrées et en armes. Or Bakou a réussi à étouffer l’Arménie jusqu’à ce que celle-ci se désolidarise du Karabagh et renonce à ses revendications. Lorsqu’en juin dernier Nikol Pachinian a reconnu la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Karabagh, il était évident que l’autonomie de cette région était comptée et que Bakou pourrait y entrer sans coup férir. De fait, aucun soldat de l’armée arménienne n’a bougé pour défendre le Karabagh.
Troisième étape, asphyxier la région. Le blocus imposé depuis décembre 2022 a appauvri la population, pesé sur le moral, ruiné l’accès aux armes. Asphyxié, le Karabagh ne pouvait plus se défendre. L’offensive n’en fut que plus facile.
Quatrième étape, s’assurer d’alliés solides. Force est de constater que la diplomatie azérie fut redoutable en la matière. Outre la Turquie, avec qui l’Azerbaïdjan partage beaucoup tout en voulant demeurer indépendant, Bakou entretient de bonnes relations avec l’Iran, ce qui était loin d’être assuré, et avec Israël, qui a vendu de nombreuses armes, permettant la victoire finale. Quant aux États-Unis, sans être des alliés solides, ils se sont bien gardés d’intervenir, ce qui était l’objectif recherché.
Sur la balance diplomatique, il y a donc d’un côté Bakou et ses alliés et de l’autre Erevan, esseulé. Ceci fait, les conditions d’une intervention militaire étaient réunies.
Celle-ci fut très rapide : quelques heures de bombardement, aboutissant à la reddition des forces armées, un cessez-le-feu et la demande de l’ouverture de négociations. Si la phase militaire est achevée, la phase humanitaire s’ouvre, et elle sera la plus compliquée.
Inquiétudes humanitaires
Les Arméniens craignent une épuration ethnique de grande ampleur. Beaucoup ont commencé à partir, estimant qu’ils n’ont pas d’avenir dans une région pauvre, meurtrie par des années de guerre, dans des villes aux habitations dévastées, face à une puissance occupante hostile. Ils vont devoir choisir entre la valise et le cercueil, même si l’Azerbaïdjan leur promet un statut de citoyen et la liberté de culte.
Mais même si l’Azerbaïdjan établit sa souveraineté sur le Karabagh, rien n’est réglé. Bakou espère le retour des Azéris du Karabakh chassés dans les années 1990, soit près de 800 000 personnes. De quoi noyer les Arméniens sous la masse démographique azérie et s’assurer de la majorité des voix. Mais rien n’est moins sûr : les Azéris installés en Azerbaïdjan n’ont aucune envie de quitter leur foyer pour s’installer dans une région hostile et abîmée par trois ans de guerre, même si le gouvernement propose des incitations financières à ces migrations internes.
Les Arméniens expriment aussi beaucoup de craintes quant à la survie de leur patrimoine religieux et historique. Quel avenir pour les églises s’il n’y a plus de fidèles pour les occuper, pour les cimetières s’il n’y a plus d’habitants pour les entretenir, pour les sites civils, s’il n’y a plus de résidents pour les faire vivre ? Entre destruction et abandon, l’avenir du patrimoine arménien, dont une grande partie est classée par l’UNESCO, s’annonce sombre.
Comme septembre 2020, septembre 2023 est un mois noir pour les Arméniens. Pour l’Azerbaïdjan, c’est une parenthèse de trente ans qui s’achève, entre la première guerre du Karabagh (1993) et l’annexion de la région. Une parenthèse qui se referme, mais des drames qui ne finissent pas.
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