Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
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Hezbollah : Nasrallah cible, mais temporise
par Jean-Baptiste Noé
Le discours prononcé vendredi après-midi par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah était à la fois attendu et redouté : beaucoup craignaient une annonce de l’intervention militaire du Hezbollah et donc un embrasement de la région. S’il fut vigoureux à l’égard d’Israël, il fut temporisateur sur le plan militaire. Rien n’est réglé pour autant mais le conflit demeure, pour l’instant, limité à la bande de Gaza.
Force est de reconnaître que le Hezbollah maîtrise parfaitement les outils de la communication et de la dramaturgie moderne. Mardi dernier, ses services de communication annonçaient ainsi une intervention d’Hassan Nasrallah pour vendredi, à 15 heures, heure de Jérusalem. De quoi placer le dirigeant du mouvement fondé en 1982 au cœur des débats et des conversations. Une annonce tonitruante suivie de trois jours de vide et d’attente quant au contenu de son discours. Alors que des centaines de sympathisants s’étaient réunis dans la banlieue sud de Beyrouth, arborant fièrement le drapeau du Hezbollah, jaune orné d’une kalachnikov verte, Nasrallah prit la parole à l’heure prévue.
Finalement, son discours ne renverse pas la situation, mais s’adresse tout autant à Israël qu’aux populations arabes. Affirmant que le Hezbollah est en guerre depuis le 8 octobre et les premières frappes tirées depuis le sud Liban, il rappelle que son mouvement se tient aux côtés du Hamas et mène une lutte "sans précédent depuis 1948". Son objectif ? Fixer une partie de l’armée israélienne à la frontière du Liban et de la Cisjordanie afin de soulager Gaza, avec un hommage rendu aux 57 "martyrs" morts depuis le 8 octobre dernier.
Le Hezbollah se place au centre
Pour Nasrallah, les vrais responsables du conflit sont les États-Unis, qui soutiennent et arment Israël. Un État hébreu jugé faible qui, selon lui, ne serait pas en mesure de se défendre sans l’aide de Washington. Niant l’intervention de l’Iran dans l’attaque du 7 octobre dernier, qui finance pourtant le Hamas et le Hezbollah, Nasrallah affirme que ce raid ne fut mené que par des Palestiniens et que sa réussite leur revient intégralement. Selon lui, la situation actuelle est "une guerre mondiale d’honneur et de droiture contre la barbarie et la cruauté d’Israël, des États-Unis et de la Grande-Bretagne". Une rhétorique habituelle, vindicative et violente dans les mots, mais qui a soulagé les chancelleries, car finalement attentiste dans la forme. Pas d’escalade à craindre au Liban, pour le moment, et pas d’intervention humaine du Hezbollah en Israël, là aussi pour l’instant. Finalement, une situation qui est la même avant et après son intervention. Si le Hezbollah s’est ainsi placé au cœur du conflit, il n’en a pas changé le cours.
Blinken tente de désamorcer la guerre
Face à Nasrallah, Antony Blinken était en visite à Tel-Aviv pour un discours qui devait contrecarrer celui du chef du Hezbollah. S’il a rappelé le droit et la légitimité d’Israël à se défendre, il a aussi plaidé pour la création d’un "État palestinien" : "La meilleure voie, peut-être même la seule, est celle de deux États pour deux peuples". Une solution à deux États certes défendue par presque tous les acteurs, sans que les modalités pratiques de cette solution soient clairement précisées : un État sur quel territoire, avec quel gouvernement et pour quelle population ?
Dans le même temps, la France a envoyé deux porte-hélicoptères à proximité de Gaza, officiellement pour servir de navire-hôpital. En réalité, le nombre de lits sur place est faible. Ces navires servent surtout à permettre une évacuation des ressortissants français du Liban, si cela devenait nécessaire, voire à servir de tête de pont à une attaque militaire, si le conflit devait s’étendre. La concentration de navires militaires en Méditerranée orientale ne cesse de croître, exerçant une pression supplémentaire sur la zone.
Si Nasrallah a salué la victoire du Hamas le 7 octobre dernier, la réalité est quelque peu différente. Les combattants ont certes réussi à percer les défenses d’Israël et à assassiner plus de 1 600 personnes, dans des conditions de massacres atroces, mais ils ont connu des pertes majeures. Sur les quelque 3 000 combattants engagés par le Hamas, près de 1 500 sont morts, tués soit par les forces de défenses des kibboutz soit par Tsahal. Soit 50 % de perte, ce qui est énorme pour ce type d’opération. Ce qui signifie que le Hamas s’est amputé lui-même lors de l’opération du 7 octobre, en perdant un grand nombre de soldats aguerris et bien formés. Israël ayant désormais encerclé la ville de Gaza et éliminé un grand nombre de chefs et de soldats du Hamas, l’organisation terroriste est plus que jamais affaiblie.
Une situation qui n’a pas échappé à l’œil averti et informé d’Hassan Nasrallah, raison pour laquelle il évite, pour l’instant, une confrontation directe avec Israël, se contentant d’affrontements sporadiques le long de la frontière libanaise. Sa stratégie est claire : gagner par la guerre de communication plutôt que par la guerre militaire.
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