Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
El General Ancap président d’Argentine
par Jean-Baptiste Noé
Javier Milei a remporté haut la main l’élection présidentielle en Argentine. Élu sur un programme de réduction des dépenses publiques et de la dette, il promet de redresser un pays qui s’enfonce dans la pauvreté. Le tout, avec un style détonnant et tranché.
Qu’il soit déguisé en "General Ancap", trident à la main, costume de super héros américain et masque de Zorro, ou bien actionnant une tronçonneuse pour découper la banque centrale d’Argentine ou encore dansant sur la scène avec un look de rockeur, Javier Milei a imposé son style et ses foucades à un pays qui doute de lui et qui va mal. Un Argentin sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, l’inflation est à plus de 140 %, l’État a fait plusieurs fois faillite au cours des dernières années, les banques ont gelé les avoirs, ruinant les épargnants. Javier Milei a été élu sur une promesse : réduire la pauvreté et redresser l’Argentine et sur une méthode : mettre fin au péronisme actualisé par le couple Kirchner et "démolir le keynésianisme".
Après une première percée électorale en 2021, où il fut élu député avec un groupe à l’Assemblée, il a été brillamment élu président le 19 novembre puisqu’il est le président le mieux élu des vingt dernières années. Il est arrivé en tête dans 21 régions sur 24, avec des scores à plus de 70 % dans certaines, dont Mendoza. À Buenos Aires, il a dépassé les 50 %, démontrant ainsi sa popularité dans l’Argentine des périphéries comme dans la capitale, qui regroupe un tiers de la population du pays.
Un fauve politique
Javier Milei n’est ni un clown ni un candidat hors système. Élu député en 2021 à la tête de son parti (La Liberté avance), il respecte les institutions argentines en se présentant aux primaires puis à la présidentielle. S’il a gagné, c’est aussi parce qu’il a eu le soutien de la droite et notamment du parti de l’ancien président Mauricio Macri (2015-2019). Un soutien nécessaire pour être élu et également pour disposer d’une majorité à la Chambre afin de faire adopter ses réformes. Économiste un peu terne, il s’est révélé un grand animal politique. En janvier 2022, il a ainsi annoncé offrir son salaire de député lors d’une tombola où se sont inscrites un million de personnes, au motif que l’argent de l’État devait revenir au citoyen. Une opération renouvelée tous les mois qui lui a permis d’acquérir une grande popularité, le tirage de la tombola étant retransmis en direct à la télévision. Et aussi de se constituer un solide fichier de sympathisants à moindres frais, un outil indispensable pour mener une campagne présidentielle.
En apparaissant en "General Ancap", pour anarcho-capitaliste, il a ancré dans les esprits son programme et son personnage, tout en renouant avec le mythe des pionniers argentins et du Nouveau monde. Philosophie politique quasiment inconnue en France, l’anarcho-capitalisme irrigue pourtant une partie de l’histoire du continent américain. L’origine remonte à la Révolution américaine quand des Insurgés ont pris comme drapeau le serpent à sonnette, avec comme devise "Don’t tread on me" (Ne me marche pas dessus). Symbole des libertariens, le Gadsden flag noir et jaune a été repris comme drapeau de la Navy américaine et le slogan Don’t tread on me a donné l’un des titres phares du groupe de métal Metallica. C’est cet imaginaire américain, musical, historique que Javier Milei charrie avec lui, qu’il assume et dont il a fait sa marque de fabrique et son style. Un imaginaire qui lui a permis de rafler les voix de la jeunesse.
Peso ou dollar ?
Le débat de la présidentielle s’est également porté sur la monnaie à utiliser en Argentine. Avec la très forte et constante inflation, le peso ne sert à rien, sinon à ruiner la population. Milei a donc proposé de l’abandonner pour passer au dollar. Une dollarisation assumée de l’économie, qui arrimerait davantage encore l’Argentine aux États-Unis. Durant la campagne, son concurrent Sergio Massa était quant à lui favorable non pas au dollar, mais au yuan, une solution poussée par la Chine qui cherche à étendre sa zone d’influence monétaire au-delà de l’Asie. La Bolivie et le Brésil ont évoqué la possibilité de faire usage de la monnaie chinoise pour les échanges internationaux dans la région, contrecarrant ainsi l’influence américaine. En filigrane des questions de politique intérieure se joue donc l’une des batailles de la guerre des monnaies qui voit s’affronter Chine et États-Unis par le biais du yuan et du dollar et surtout de leurs normes juridiques. Milei a aussi annoncé vouloir rompre avec l’Iran, dont l’influence est importante en Argentine, et avec la Chine, pour se couper du pays communiste ; ce qui pourrait rompre avec l’intégration du pays dans les BRICS promus par Pékin.
Comme toujours en politique, il y a le programme, l’élection et le mandat. Reste à voir ce que donnera effectivement l’épisode Javier Milei et si ses promesses de redressement seront suivies d’effet. En politique, passer de l’espoir à la réalité est toujours un chemin hasardeux.
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