Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Gaza : savoir finir une guerre
par Jean-Baptiste Noé
Qu’il est difficile de finir une guerre et qu’il est encore plus difficile d’assurer la paix. C’est pour anticiper le moment d’après que plusieurs responsables israéliens ont commencé à évoquer les pistes possibles du futur de Gaza.
Une guerre est finie lorsque les objectifs politiques ont été atteints, l’outil militaire étant l’un des moyens, avec la diplomatie, de parvenir à cette fin politique. Encore faut-il que celle-ci soit clairement définie. Dès sa riposte aux attaques du 7 octobre, Israël a affiché son objectif : éradiquer le Hamas en le rendant incapable de nuire à Israël. Un objectif à la fois clair et précis tout en étant très flou : que signifie éradiquer le Hamas ? Éliminer tous ses chefs ? Assécher ses réseaux de financement et de commandement ? Si tel est le cas, l’action ne peut pas passer seulement pas Gaza, mais aussi par le Qatar, le Soudan, l’Égypte, l’Iran, pays où le Hamas dispose de soutiens et de connexions importants.
Fixer un cap, reprendre la main
Israël a en partie perdu la bataille de la communication, pourtant cruciale dans une guerre. Les violences des massacres et des viols du 7 octobre ont été comme effacées de l’imaginaire international, remplacées par les images de Gaza ruinée et des enfants blessés. En Europe et aux États-Unis, plusieurs voix s’élèvent, y compris parmi des soutiens traditionnels d’Israël, pour dire que le pays va trop loin, qu’il devrait se modérer, voire cesser ses bombardements. Si les États-Unis soutiennent toujours Israël, c’est malgré tout avec le souci de ne pas rompre avec les populations arabes et de ne pas donner l’impression d’accorder un blanc-seing à l’État hébreu. Or sans le soutien de cette opinion, si ce n’est internationale du moins occidentale, Israël est menacé dans son existence.
Il est donc crucial pour lui de montrer que les bombardements s’inscrivent dans une stratégie militaire et une finalité politique, et que ce ne sont pas des réponses motivées par la vengeance. D’où la nécessité de présenter des plans de sortie et de fixer les conditions d’une fin de la guerre.
Il y a eu d’abord la proposition, pour le moins surprenante, du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui proposa de déporter la population de Gaza au Congo. Si la destination proposée a surpris, l’idée d’une éviction de la population de Gaza est en revanche partagée par beaucoup. Sans remonter à 1948, les décennies passées ont déjà vu des déportations de Palestiniens vers la Jordanie et le Liban, ce qui déstabilisa les pays concernés. L’Égypte redoute par-dessus tout que les 2,5 millions de Gazaouis ne soient envoyés chez elle. Ce qui, dans l’esprit de certains Israéliens, est une option tout à fait envisageable, pour ensuite installer des familles de colons.
Le plan proposé par le ministre de la Défense, Yoav Gallant, satisfait davantage aux souhaits des Occidentaux, même s’il n’a pas encore été ratifié par le gouvernement. Éradiquer le Hamas et établir une nouvelle administration politique, qui ne serait pas israélienne, peut convenir à l’ensemble des pays arabes. Yoav Gallant évacue ainsi l’idée qu’Israël puisse occuper Gaza et prendre le contrôle du territoire, même de façon temporaire. Un plan qui apparaît comme raisonnable, avec les bémols indiqués plus haut sur ce que signifie réellement "éradiquer le Hamas". Ce qui permet également de replacer la riposte au 7 octobre dans une perspective acceptable : une guerre de légitime défense pour assurer la sécurité d’Israël et non pas une guerre de conquête pour prendre le contrôle de Gaza. Et donc de quoi faire taire les critiques qui émanent du monde occidental.
Retrouver la paix
Mais il n’y a pas que sur le plan international que la guerre fragilise Israël : sa politique intérieure est elle aussi touchée. La Cour suprême vient de retoquer une disposition de la réforme de la justice voulue par Netanyahou, rappelant au Premier ministre son impopularité et les grandes manifestations qui s’étaient déroulées contre lui en septembre, donc avant l’attaque du 7 octobre. L’économie du pèlerinage et du tourisme, pilier important de l’économie d’Israël, est totalement arrêtée. La mobilisation des réservistes bloque de nombreux secteurs économiques. Sur le moyen terme, Israël a intérêt à la paix. Démocratie ouverte, le gouvernement doit rendre des comptes à sa population, d’autant que beaucoup attendent qu’une commission parlementaire puisse enfin enquêter sur les failles qui ont conduit au drame du 7 octobre.
Même si, pour l’instant, la guerre ne s’est pas répandue au reste de la région, les tensions restent vives avec le Hezbollah et le long de la frontière libanaise. Une extension imprévue est toujours à craindre, qui verra alors le conflit s’amplifier sans possibilité de maîtrise.
Enfin, le dernier problème de la paix au Proche-Orient réside dans la capacité à disposer d’acteurs étatiques solides et sûrs. Le Liban, la Syrie, l’Irak sont des États faillis. L’Égypte et la Jordanie sont aussi fragiles que du cristal. Seul l’Iran est un pays solide, où le régime semble indéboulonnable. Aujourd’hui au Proche-Orient ce sont des structures non gouvernementales qui contrôlent le mieux un territoire et qui semblent le plus stable : Hamas, Hezbollah, groupes djihadistes en Irak et en Syrie. Ce qui laisse craindre que la paix, lorsqu’elle parviendra enfin dans la bande de Gaza, ne soit que temporaire.
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