Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Agriculture : l’atout français
par Jean-Baptiste Noé
Les émeutes paysannes remettent sur le devant de la scène l’importance du secteur agricole pour la puissance française. Que ce soit la production ou la transformation, l’agriculture est un pilier majeur de la puissance, mais un pilier qui s’effrite.
Même avec les centrales nucléaires, le numérique et l’aviation, "pâturage et labourage" demeurent parmi les "mamelles de la France", selon la formule de Sully à l’époque d’Henri IV. Des mamelles qui servent les exportations, qui tirent derrière elle la production de semences, de machines-outils, de transformations alimentaires. Avec près de 17 % de la production agricole en Europe, la France occupe toujours la première place, devant l’Allemagne et l’Italie. Céréales, viandes bovines, lin, œufs, semences, sucre, volailles, porcs, vins entrent dans la liste de l’excellence productive française.
Puissance exportatrice
Mais depuis les années 2010, la dynamique agricole s’est enrayée. Dans le rapport sénatorial de septembre 2022, "Compétitivité de la ferme France", les sénateurs auteurs du rapport constatent un progressif affaissement de la production et des exportations françaises. De deuxième exportateur mondial dans les années 1990, la France est descendue à la sixième place en 2015, dépassée par les Pays-Bas, l’Allemagne, la Chine et le Brésil. Ses parts de marché sont passées de 11 % en 1990 à moins de 5 % en 2021. L’Union européenne peut avoir ses parts de responsabilités dans l’étouffement du secteur agricole français et son déclassement, mais les normes de l’UE s’appliquent aussi à l’Allemagne et aux Pays-Bas, qui connaissent pourtant une croissance faisant qu’ils ont dépassé la France. S’il y a des responsabilités externes à ce déclassement, les facteurs internes sont réels et doivent être traités.
Toujours selon les données de ce rapport sénatorial, les exportations agricoles et agroalimentaires françaises se sont montées à 70 milliards d’euros en 2021, soit 1,8 fois plus qu’en 2000. Il y a donc une croissance en vingt ans, mais une croissance insuffisante pour éviter de se faire doubler par les voisins européens. Les exportations se font pour 50 % vers des pays de l’UE et pour 50 % vers des pays hors UE, cette catégorie étant en croissance quand la part UE décroît. Les principaux clients de la France sont la Belgique, l’Allemagne, les États-Unis, l’Italie, le Royaume-Uni (même après le Brexit), l’Espagne, la Chine et les Pays-Bas. Parmi ces huit pays, six ont une frontière directe avec la France, preuve que les exportations se font principalement dans l’horizon proche.
Quant aux importations, elles viennent essentiellement d’Espagne, du Benelux, d’Allemagne, d’Italie, du Royaume-Uni, de Pologne, de Suisse et du Maroc. Là aussi des pays proches, avec la particularité de la Suisse, qui s’impose comme un grand pays agricole.
Le vin et le bois
Le ministère de l’Agriculture fournit d’utiles données sur les exportations des secteurs agricoles. En 2022, ce sont les vins et les spiritueux qui exportent le plus avec 19 297 millions €. Puis viennent le secteur des bois et dérivés (12 852 M€), les céréales (11 974 M€), les produits d’épicerie (10 913 M€). Ces quatre secteurs représentent 56,8 % du montant des exportations agricoles françaises, la viande et les fruits et légumes arrivant en 6e et 7e position.
Si ces secteurs sont essentiels pour l’économie française et tout ce qui vit du sillage du monde agricole, ils sont bien évidemment essentiels surtout pour la survie de la population française. Il ne faudrait pas que les leçons ukrainiennes soient déjà oubliées, quand la fermeture des ports de la mer Noire, en bloquant l’exportation des céréales, a menacé de disette les pays africains. Aujourd’hui, ce sont les pays d’Asie, notamment le Vietnam et les Philippines, qui sont déstabilisés par la hausse du prix du riz et par la limitation des exportations rizicoles indiennes, qui fragilisent la chaîne alimentaire asiatique.
Il y aura toujours des importations de produits agricoles, mais si la France devenait trop dépendante des chaînes mondiales, elle se mettrait sous le joug potentiel d’une crise ou d’une guerre. Fermeture des ports de la mer Noire, blocage de la mer Rouge à la suite des attaques houthis, fragilisation du canal de Panama : les chaînes du commerce mondial sont fragiles et peuvent rapidement mettre sous tensions des pays qui se croyaient à l’abri.
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