éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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L’éternel retour de la simplification
par Laurent Bigorgne
La discussion budgétaire s’enlise. Les députés ont d’ailleurs massivement rejeté la partie « recettes » du PLF cette semaine. On se rapproche du vote d’une loi spéciale en fin d’année. Face à la folie fiscale des dernières semaines et à l’incapacité de réduire la dépense publique, l’exécutif a, une fois de plus, érigé la simplification en priorité. Les dix-huit prochains mois vont être très longs…
Un budget mort-né
La pause décrétée le week-end dernier à l’Assemblée nationale par le gouvernement avait laissé penser qu’il souhaitait éviter, en le retardant, un vote sur le Projet de Loi de Finances (PLF) avant transmission au Sénat. Il n’en fut finalement rien, car, dans la nuit de vendredi à samedi, 404 députés sur 577 ont rejeté la partie "recettes" du budget (1 vote pour et 84 abstentions). La partie "dépenses" n’a pas été étudiée. L’examen au Sénat d’un projet de budget rejeté par l’Assemblée n’est plus une figure inédite, car la partie recettes du PLF 2025 avait connu le même sort l’an passé.
Mardi déjà, le projet de loi de fin de gestion pour 2025 avait été repoussé par 145 voix contre 107. Durant la discussion, le binôme "LFIRN", comme autrefois Jean-Marie Le Pen parlait de l’UMPS, a refusé 4,2 milliards d’euros d’annulations de crédits – autrement dit des économies – et a même voté de nouvelles ouvertures – des dépenses nouvelles. Cette alliance objective risquait de porter notre déficit budgétaire à 5,7 % contre 5,4 %. Ces péripéties parlementaires illustrent le travail de sape des populistes au parlement, en même temps que leur indifférence au réel puisqu’elles entraîneront des retards de paiements par exemple pour les allocataires handicapés ou pour les fournisseurs de l’Armée.
Il faut néanmoins rendre à César ce qui lui appartient… Le principal responsable de cette situation est le Président de la République qui a ouvert la boîte de Pandore d’une dissolution inutile le 9 juin 2024, et renoncé à l’utiliser le 8 septembre dernier au moment de la chute de François Bayrou alors que sa menace s’imposait. L’abandon du 49-3 achève de désarmer l’exécutif dans un moment pourtant cauchemardesque de notre histoire politique. Ce qui a fait dire à Gilles Finchelstein*, secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès, qu’ " Emmanuel Macron n’a pas pris une bonne décision politique depuis 2022".
L’Assemblée nationale est paralysée
Pour l’heure, l’Assemblée ne parvient plus à jouer son rôle législatif. Dès le début de cette semaine, il est apparu clairement que les députés de ce qui reste du socle commun ne voteraient pas en faveur du volet recettes du PLF si jamais celui-ci était soumis au vote – ce qui n’était pas encore sûr alors. Après des débats qui auront duré plus de 120 heures et dont le caractère anarchique aura durablement marqué les esprits, les députés du centre et de la droite, de Renaissance à LR, ont motivé leur position dans un faux suspense en invoquant "l’insincérité de certaines mesures adoptées".
Pour la suite, les prévisions vont bon train… Selon des membres du bloc central, le PLFSS pourrait être adopté, car il consacre la suspension de la réforme sur les retraites. Elle constituerait la prise de guerre du PS avant les élections municipales du mois de mars. Matignon y verrait une étape franchie. Pour mémoire, la copie actuelle du PLFSS présente un déficit prévisionnel de 24 milliards d’euros pour 2026, là où le projet du gouvernement prévoyait un déficit de 17,5 milliards. Les groupes LR et Union centriste au Sénat ambitionnent de le ramener à 15 milliards. Rien n’est fait.
Le retour du "douzième provisoire"
Ce sera beaucoup plus difficile voire impossible pour le PLF. Ce sujet a fait l’objet d’un échange entre Laurent Panifous, ministre chargé des relations avec le Parlement, avec des sénateurs jeudi. En effet, l’article 47 de la constitution stipule que "si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance". Ce délai expire cette année le 23 décembre, puis il faut ensuite une semaine au Conseil constitutionnel pour rendre un avis sur le budget avant sa promulgation au plus tard le 31 décembre. Comme Matignon ne veut pas plus des ordonnances – qui pour les voter ? – que du 49-3, le scénario d’une loi spéciale prend corps.
Pour la deuxième année consécutive, cette stratégie serait ainsi utilisée. En décembre 2024, la motion de censure contre Michel Barnier et son gouvernement avait poussé au recours à cet outil temporaire et minimaliste permettant au gouvernement de percevoir les ressources existantes comme de procéder à l’emprunt. Il doit ouvrir par décrets les crédits qu’il juge indispensables au fonctionnement des services publics "dans les conditions ayant été approuvées l’année précédente par le Parlement" et "sans excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année". Nous sommes en train de réinventer le "douzième provisoire" qui autorisait sous les IIIe et IVe Républiques le gouvernement à dépenser chaque mois le douzième du budget de l’année précédente en cas de retard d’adoption du budget…
L’alibi de la simplification
Dans ce maelström, Sébastien Lecornu a livré quelques messages pour la suite – si suite il y a – à l’occasion de sa venue jeudi au 107e congrès des maires de France. L’ex-maire de Vernon, dans l’Eure, a mis en avant la simplification comme pilier de son action : "d’ici à Noël, un premier méga décret qui va nous permettre d’élaguer beaucoup de normes et beaucoup de décrets" qui sont "complètement surréalistes". Il vise l’abrogation de 100 normes entre décembre et février.
C’est un premier pas apprécié des maires, qui l’ont approuvé avec enthousiasme quand il a visé "l’obligation annuelle de vidange des piscines municipales", mais ce n’est pas non plus la tronçonneuse du président argentin Javier Milei, personnage franchement déplaisant, certes, mais dont le parti a remporté haut la main les élections législatives de mi-mandat en octobre dernier (41 % des voix), une victoire qui a déjoué toutes les prévisions de la presse française.
laurent@fnxlb.org
* Voir son dernier ouvrage, La démocratie à l’état gazeux. Une histoire politique 1945-2045, Flammarion.
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