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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Le vrai coup d’envoi du quinquennat
par Yves de Kerdrel

Après une longue séquence internationale marquée par le conseil européen, le G7, le sommet de l’Otan et celui des océans, Emmanuel Macron a retrouvé l’Élysée. Compte tenu des premières discussions menées par l’exécutif avec les différents partis, Élisabeth Borne devrait annoncer demain la démission du gouvernement. Avant d’être aussitôt reconduite avec une nouvelle répartition des portefeuilles.

03/07/2022 - 06:30 Lecture 10 mn.

 

C’est une semaine très particulière qui s’achève. Avec d’un côté un Président de la République absent de l’Élysée et totalement consacré aux grands sujets internationaux. Si bien qu’Alexis Köhler a profité de cette absence pour s’épancher dans Le Point de jeudi dernier. Et de l’autre côté une actualité en matière de politique intérieure très dense avec l’installation de la nouvelle assemblée nationale, le choix de sa présidente, l’élection des questeurs et des présidents de commissions. Avec de premiers chocs, de premiers éclats de voix et de premières suspensions de séances. Et même avec l’élection comme vice-présidents de l’Assemblée de deux élus du Rassemblement National.

Pendant ce temps, la Première Ministre, confirmée dans ses fonctions par Emmanuel Macron, a commencé à rechercher de quelle manière et sur quels sujets elle pouvait disposer de majorité pour voter ses textes. Elle a fait un point vendredi soir avec le Chef de l’État de ses discussions avec les groupes parlementaires. Ce qui devrait conduire l’Élysée à la renommer demain Première Ministre après une démission de l’ensemble du gouvernement. Et un nouveau gouvernement devrait être annoncé très vite suivi dans la foulée d’un conseil des ministres. Puis mercredi, de la déclaration de politique générale (sans vote) d’Élisabeth Borne.

 

Quand Emmanuel Macron fait toujours un déni de réalité

 

Évoquant depuis le sommet du G7 en Bavière la nouvelle situation politique en France, Emmanuel Macron l’a qualifiée "d’affreusement banale". Tellement banale que c’est la première fois qu’elle se produit depuis les débuts de la Cinquième République. Cette expression du Chef de l’État continue de traduire son déni de la nouvelle donne politique. Déni que l’on percevait hélas de manière tellement surprenante dans son allocution télévisée.

Emmanuel Macron a qui tout a réussi : un Bac S mention très bien, le Concours général de français, l’Ena, l’inspection des finances, l’élection à la présidence de la République sans avoir jamais été confronté au moindre scrutin auparavant, vient de connaître la même vexation que lorsqu’il a échoué deux fois au concours d’entrée à l’école normale supérieure, et de surcroît dans sa matière fétiche, les lettres. L’élection législative lui a procuré le même sentiment. Mais comme Jupiter reste Jupiter, il n’est pas question pour lui de reconnaître que les Français ont voté contre la "macronie" plutôt qu’en faveur de la Nupes ou du Rassemblement National.

 

La formidable réussite du procès des terroristes du 13 novembre 2015

 

Si le taux d’abstention ou le nombre des votes blancs et nuls ne cessait d’augmenter d’élection en élection, on pourrait conclure de cette situation que la démocratie française est bien vivante. D’autant plus vivante que l’Assemblée nationale ressemble à une "Chambre des députés" élue à la proportionnelle. L’autre succès de notre démocratie, c’est l’issue des dix mois de procès des attentats du 13 novembre 2015 qui ont donné lieu à un verdict strict. Tous ceux qui craignaient que le droit à la défense – l’un des piliers de notre démocratie – allait donner aux islamistes l’occasion de faire du prosélytisme ont pu être rassurés. Par ailleurs, pas un musulman de France n’a pris fait et cause pour la vingtaine de leurs coreligionnaires qui étaient assis dans le box des accusés. Ce procès est donc avant tout une victoire pour notre démocratie.

Il est bon de le rappeler au moment où la Commission d’enquête sur les évènements qui ont marqué le Capitole de Washington le 6 janvier 2021 montre la fragilité de la démocratie américaine, pourtant plus ancienne que la nôtre. Le récit fait cette semaine par une ancienne assistante du "chief of staff" de la Maison Blanche montre que Donald Trump a donné ordre à son chauffeur, après le rassemblement du 6 janvier, de rouler vers le Capitole. Et comme le policier assis à côté du chauffeur disait au chauffeur de ne pas obtempérer "pour la sécurité du Président", Donald Trump a saisi le bras du chauffeur et tenté d’attraper le volant pour amener sa limousine vers le Capitole. Ce jour-là la démocratie américaine n’a tenu bon qu’à deux fils : le premier s’appelait Mike Pence et contrairement aux ordres de Donald Trump, il a certifié les résultats de l’élection de Joe Biden ; le second était ce policier qui a dû calmer Donald Trump à bord d’une Limousine aux vitres teintées pour l’empêcher de participer à l’assaut du Capitole.

 

Des piqûres de rappel pour notre démocratie

 

Depuis que l’Occident – des deux côtés de l’Amérique – vit en démocratie, partageant la même séparation des pouvoirs, les mêmes droits de l’homme et du citoyen et les mêmes principes d’éthique citoyenne, élaborés par Montesquieu puis par Condorcet, nous nous sommes habitués à ce que ce régime soit un acquis pour l’éternité. Au contraire, il nous faut de régulières piqûres de rappel pour redonner de la chair à cette démocratie et nous permettre de mesurer à quel point elle est précieuse.

Et il faut espérer que le Conseil National de la Refondation, qui devait être installé le 22 juin, mais qui a été reporté sine die en raison de la nouvelle donne politique ne vienne pas trop vite donner un nouveau "coup de canif" à notre fragile démocratie représentative. Soit en donnant de manière implicite une sorte de pouvoir à des experts et des technocrates. Soit en faisant des corps intermédiaires les coproducteurs des textes de lois. Une prérogative réservée aux élus de la nation, avec l’aide des Commissions des Lois et du Conseil d’État.

 

Le terrible aveu des banquiers centraux

 

On le voit, le champ politique va reprendre tous ses droits dans cette nouvelle configuration parlementaire, avec de surcroît un ancien trotskiste élu Président de la Commission des Finances. L’Assemblée nationale qui a été pendant cinq ans une chambre d’enregistrement aux mains du parti présidentiel, avec des députés, sortis, pour l’essentiel de nulle part, va retrouver un rôle de débat, de rédaction et de discussion d’amendements qui seront essentiels pour construire des majorités de circonstances. Il ne s’agit pas de soupe politicienne comme la Quatrième République en a laissé le souvenir. Mais d’un primat donné au politique.

Cela tombe bien, car les années qui viennent et les crises qui apparaissent ou réapparaissent vont nécessiter des réponses politiques. Qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, donc en Europe, et de l’évolution de l’Union Européenne. Qu’il s’agisse de la crise inflationniste qui a conduit les banquiers centraux (réunis à Sintra) à reconnaître qu’ils ont eu une mauvaise "appréhension" (sic) de ce phénomène. Qu’il s’agisse de la crise sanitaire dont on s’apprête à vivre un nouvel épisode. Qu’il s’agisse des ruptures technologiques qui vont s’imposer à nous et poser des questions de souveraineté industrielle. Les réponses à tous ces sujets – même s’ils ont une composante financière ou budgétaire – seront nécessairement politiques.

 

Le cercle de la raison libérale sociale-démocrate

 

Toute la question est de savoir si face à ce nouvel environnement, le Chef de l’État qui est plus à l’aise sur un terrain économique auquel l’ont préparé sa formation d’inspecteur des finances, et son entourage fait exclusivement d’experts et de technocrates, va pouvoir adapter son propre logiciel. Il avait déjà déclaré avant les élections avoir changé, notamment à la suite du Grand Débat consécutif à la crise des gilets jaunes.

Reste à savoir si tout en faisant en sorte de maintenir la France dans le cercle de la raison libérale sociale-démocrate, il saura écouter son opposition, ne pas mépriser les corps intermédiaires, et répondre à ces défis sans inscrire le pays dans un "état d’urgence permanent". De tous ces défis et de la capacité de l’exécutif à jouer le jeu de cette nouvelle donne politique, dépendra le fait que ce quinquennat permettra (ou non) de poursuivre la transformation du Pays.

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