éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Une France fracturée, immobile, et décapitée
par Yves de Kerdrel
En l’espace de deux mois, le pays est passé d’une république jupitérienne avec la plupart des pouvoirs concentrés dans les mains d’un homme, à une sorte d’Italie où le parlement va s’amuser à maintenir les gouvernements en sursis. Tout cela arrive au plus mauvais moment, alors le monde traverse une crise géopolitique et que la récession pointe son nez sur fond d’une inflation qui ne faiblit pas.
On n’apprend plus guère le latin aujourd’hui sauf dans quelques grands lycées élitistes, de même qu’on ne croise plus d’élèves avec un gros dictionnaire Gaffiot sous le bras. Lorsque la langue de Cicéron était obligatoire, l’une des formules les plus célèbres, par sa forme grammaticale était : "Quos Vult Perdrere Jupiter Dementat". Ce qui se traduisait par le fameux "Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre". Cela faisait référence à la fois au syndrome d’hubris et au narcissisme qui souvent l’accompagne.
Après l’euphorie de sa réélection triomphale, notre Jupiter à nous a été victime de ces deux plaies pour lesquelles il nourrissait déjà une certaine prédilection. Nous l’avons déjà évoqué les semaines passées. C’est cet aveuglement qui ne lui a pas permis d’anticiper cette incroyable montée des extrêmes. Mais surtout ce vote de "dégagisme" qui le visait lui. Ce qu’ont payé cher certains de ses plus proches comme Richard Ferrand ou Christophe Castaner qui ont rejoint dimanche dernier la Roche Tarpéienne alors qu’ils se croyaient encore au Capitole.
Déni de réalité
Dans son intervention télévisée de mercredi dernier, Emmanuel Macron a continué, sur ce déni de réalité, refusant d’admettre que le vote des 12 et 19 juin était une sorte de référendum contre sa façon de gouverner et contre un projet qu’il n’a pas pris le temps de dévoiler pendant sa campagne. Pire que cela, il a reporté la situation de blocage institutionnel sur tous les partis n’appartenant pas à la majorité présidentielle et qui ont tous – fort heureusement – refusé un gouvernement d’union nationale.
En sommant les partis, y compris ceux réputés infréquentables, de dire s’ils étaient prêts à soutenir la politique gouvernementale à l’Assemblée – tout cela dans un délai de 48 heures, le locataire de l’Élysée a bluffé comme on le fait au poker, mais sans avoir le moindre As dans son jeu. Car le roi est désormais nu. Et sa Première Ministre, qui a donné sa démission, mais a été reconduite afin d’expédier les affaires courantes est désormais titulaire d’un contrat à durée déterminée de quelques semaines. Voire moins. Puisque la France Insoumise a déposé une motion de censure qui sera votée le 5 juillet prochain.
L’erreur du quinquennat
L’honnêteté oblige à dire que la situation de blocage institutionnel dans laquelle se trouve la France n’est pas totalement le fait du seul Président de la République, même s’il a joué avec le feu en favorisant dans un premier temps l’extrême droite, pour assurer sa réélection, puis l’extrême gauche pour favoriser une coalition entre Ensemble et Les Républicains.
S’il y a un autre responsable, c’est Jacques Chirac, qui en abandonnant le septennat et en alignant le mandat des députés sur celui du Président de la République, a rompu avec les fondements de la constitution rédigée avec soin par Michel Debré. Notre loi fondamentale nous protégeait jusque-là de tout risque de régime parlementaire. Mais plus de vingt ans après ces changements inopportuns, voici la France dans une situation équivalente ou pire que l’Italie.
Qui pour l’Avenue de Ségur ?
Maintenant qu’aucun parti politique n’a répondu aux appels du pied d’un Président parti à Bruxelles, puis en Bavière pour le G 7, puis au sommet de l’OTAN, puis à celui des océans, Emmanuel Macron n’a pas d’autre choix que de procéder à un vaste remaniement gouvernemental. Le sort d’Élisabeth Borne importe finalement peu, puisqu’elle réussit la performance d’exister encore moins que Jean Castex.
En revanche, il faut remplacer Brigitte Bourguignon, Amélie de Montchalin et Yaël Braun-Pivet, qui démissionnera si elle était élue mardi au "Perchoir". S’agissant du ministère de la Santé, qui risque de revenir sur le devant de la scène avec l’arrivée d’un nouveau variant et d’une énième vague de contaminations au Covid, deux candidats sont en lice : Frédéric Valletoux qui vient d’être élu député après avoir été Maire de Fontainebleau et qui est Président de la Fédération Hospitalière ainsi que Philippe Juvin ex-candidat à la primaire des Républicains et urgentiste à l’Hôpital Pompidou. Afin d’élargir sa majorité, ce dernier serait le meilleur choix car il viendrait des LR, alors que Frédéric Valletoux est Horizons. Et si aucun des deux n’accepte, Emmanuel Macron saura persuader son ami Nicolas Revel, qui dirigeait le cabinet de Jean Castex et que l’on voit succéder à Martin Hirsch à la tête de l’AP-HP.
Prudence pour la Banque de France
Une chose est certaine : cette crise politique et institutionnelle ; la première en France depuis la très baroque quatrième République intervient au plus mauvais moment. Sur le plan économique d’abord, la situation européenne se dégrade de jour en jour à la faveur de la prolongation de la guerre en Ukraine et des blocus qui en découlent. À la faveur aussi des ruptures de chaînes d’approvisionnement lié au blocus du port de Shanghai.
La Banque de France a revu mardi à la baisse ses prévisions de croissance pour l'économie française en 2022 et 2023. Dans ses projections macroéconomiques, elle dit désormais prévoir une croissance du PIB de 2,3 % cette année contre +3,4 % précédemment et une croissance de 1,2 % en 2023 contre +2,0 % précédemment.
En 2024, la croissance devrait s'établir à 1,7 %, d'après ses prévisions. Pour la Banque de France, la guerre en Ukraine devrait coûter à l'économie française l'équivalent de plus de deux points de croissance sur la période 2022-2024.
Une inflation proche de 6 % cette année
Si les pays européens décidaient d'imposer un embargo sur le gaz russe, l'économie française ne connaîtrait qu'une croissance de 1,5 % cette année, suivie d'une contraction de 1,3 % en 2023 avant de renouer avec la croissance en 2024 avec un taux de 1,3 %. Dans une interview au Figaro, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, juge toutefois que ce scénario paraît "aujourd'hui moins probable".
François Villeroy de Galhau souligne aussi que l'activité économique a semblé résiliente : "la consommation des ménages, tout comme l'investissement des entreprises, résistent". Bien que la France ait un niveau d'inflation inférieur au reste de la zone euro, il estime que l'inflation en France est nettement trop forte. La hausse des prix ne concerne plus seulement l'énergie et s'est largement diffusée à d'autres secteurs : la politique monétaire doit alors agir, a déclaré François Villeroy de Galhau. La Banque de France table sur une inflation en France à 5,6 % cette année et à 3,4 % en 2023.
Complications européennes
Sur le plan géopolitique la situation n’est guère meilleure. La volonté d’Emmanuel Macron et d’Ursula von der Leyen de faire passer la candidature de l’Ukraine à l’entrée dans l’union européenne fait grincer des dents au sud de l’Europe centrale et dans les Balkans. Par ailleurs on ne sait toujours pas quelle serait l’attitude de la Hongrie de Victor Orban.
Il y a des moments historiques où le plus grand risque est de ne pas en prendre. Mais dans ce cas précis, il ne faudrait pas que cet avantage – bien compréhensible – donné à l’Ukraine, fasse éclater un consensus européen de plus en plus fragile. L’idée lancée il y a un mois à Bruxelles par Emmanuel Macron d’une Communauté Politique Européenne dont pourraient faire partie des pays non-membres de l’Union paraissait plus simple, tout aussi efficace et bien meilleure.
L’échec politique de Xi Jinping
Enfin il y a deux grandes puissances dont on parle moins, du fait de la guerre, et qui vont à un moment ou à un autre se rappeler à notre bon souvenir. La première, c’est bien sûr la Chine avec un Président Xi Jinping en situation compliquée. Car il a fait de la stratégie anti-Covid une arme politique. Et il a échoué. À Shanghai pendant les deux mois de confinements on estime à 200 le nombre de morts par suicide ou par impossibilité de rejoindre un hôpital. Et, en dépit de la société de surveillance qui s’impose là-bas, tous les chinois le savent grâce aux réseaux sociaux.
La date du vingtième congrès du Parti Communiste chinois, prévu à l’automne, n’est toujours pas fixée. Et certains commencent à imaginer une rébellion à bas bruit contre Xi Jinping qui entend pourtant faire valider son souhait d’être Président à vie. À cela s’ajoutent les incertitudes sur le sort de Taïwan et surtout la très faible croissance économique qui pénalise une classe moyenne, dont le rôle politique est de plus en plus important.
L’Iran bientôt puissance nucléaire
L’autre puissance qui s’efforce de ne pas faire parler d’elle, c’est l’Iran. Le régime des mollahs n’a en rien renoncé à son ambition nucléaire. Il a récemment désactivé les caméras de surveillance qui permettaient à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique de surveiller les expériences menées en principe dans un but civil. Si le Mossad a exécuté au cours des derniers mois trois ingénieurs atomiciens, c’est parce qu’Israël sait que l’Iran a dépassé le stade de 20 % d’enrichissement de l’uranium.
Si bien que lorsque l’Ukraine sortira enfin de la guerre – nul ne sait quand ! – nous risquons de nous réveiller avec une nouvelle puissance nucléaire qui s’appellera l’Iran. Avec toutes les conséquences que cela aura pour Israël, ennemi juré de Téhéran. Mais aussi pour l’Arabie saoudite et tout l’islam sunnite. D’autant plus que la guerre entre chiites et sunnites se poursuit au Yémen. Le "monde d’après" n'est décidément pas plus serein que le précédent.
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