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Yves de Kerdrel
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Les « trois sorcières » de Macron
par Yves de Kerdrel
Son entourage décrit le Président comme étant « déprimé ». Il a quelques raisons à voir le couple franco-allemand s’effilocher de jour en jour, la situation économique mondiale se détériorer sous l’effet de la guerre et des fortes hausses de taux, et la situation politique intérieure rester tendue en dépit de sa main tendue à des « Républicains » plus fragiles et hésitants que jamais.
En dépit des avertissements de Raymond Aron, d’Hannah Arendt et même de Gustave Thibon, nous avons fini par croire que ce qui était durable finissait par devenir un acquis. Cela fait maintenant plus de deux cents ans que l’Occident est guidé à la fois par l’économie de marché et par un libéralisme, parfois teinté de social-démocratie. Cela fait près de 80 ans que nous sommes en paix avec notre voisin immédiat, l’Allemagne, après s’être confrontés avec lui à trois reprises en l’espace de trois quarts de siècles.
Et pourtant l’époque que nous vivons donne le sentiment que tous ces acquis, gravés dans le marbre de traités de paix ou d’une loi fondamentale, finissent par être remis en cause. Si à l’Assemblée nationale et au Sénat, les parlementaires favorables à l’économie de marché ont, heureusement la majorité, ce n’est pas le cas dans l’ensemble du pays, si l’on en croit les résultats, en nombre de voix exprimées lors des dernières législatives. Le capitalisme, l’économie de marché, la mondialisation, loin de faire rêver sont même devenus des "totems" à abattre.
Tapis rouge pour les extrémistes, hélas…
Cela s’est encore vu lors des récents mouvements sociaux qui ont émaillé le pays et qui ne demandent qu’à renaître de leurs braises encore brûlantes à l’occasion du débat sur les retraites ou des publications de résultats des grands groupes du CAC 40 en février prochain. À cela droite et gauche répondent par la même formule "meilleur partage de la valeur ajoutée". Mais cet idiome d’économiste qui veut tout dire et rien dire ne signifie rien à l’oreille de celui pour lequel le travail ne permet plus de vivre, tant est forte la hausse de certains prix.
C’est ce qui explique qu’en dépit de ses outrances, la coalition construite par Jean-Luc Mélenchon va continuer à faire la loi à l’Assemblée, par l’obstruction, le vacarme, les suspensions de séance et le chahut. Et cela avec d’autant plus de facilité que, le naturel revenant au galop, on entend de nouveau des propos honteux à l’extrême droite de l’Assemblée. Dans l’enceinte même où le débat politique se conduit à la fois avec vigueur mais aussi avec respect.
La diplomatie parlementaire de Bruno Le Maire
C’est dans ce contexte bien compliqué que Bruno Le Maire tente de faire voter, sans recours à l’article 49-3, le projet de loi sur la trajectoire des finances publiques. Ce texte a été rejeté en commission, puis malmené dans l’hémicycle. Et pourtant il est nécessaire à notre crédibilité budgétaire et financière. À Bruxelles bien sûr, à Berlin aussi, où on continue de fustiger la furieuse habitude française à dépenser de l’argent qu’elle n’a pas. Et enfin sur les marchés financiers où l’État et ses administrations publiques vont devoir lever l’an prochain la bagatelle de 300 milliards d’euros.
Bruno Le Maire et Gabriel Attal ont rencontré longuement Gérard Larcher et ont négocié avec lui les amendements votés par la Haute Assemblée. Ensuite il restera à la Commission Mixte Paritaire à trouver un juste équilibre avec ce qui peut être présenté à Bruxelles. La pierre d’achoppement reste pour l’instant l’objectif de 3 % de déficit budgétaire fixé par Bercy à 2027, alors que la droite voudrait ramener cet horizon à 2025. À l’Élysée on suit de près ces discussions en incitant Bruno Le Maire à trouver coûte que coûte un consensus avec la droite sénatoriale, qui validerait la main tendue du Chef de l’État aux Républicains.
Olaf Scholz tourne le dos à Emmanuel Macron
La "seconde sorcière" d’Emmanuel Macron, pour reprendre un terme familier aux opérateurs de marché, c’est la dégradation fulgurante de ses relations avec le voisin allemand. Cela fait un an maintenant qu’Olaf Scholz a été élu Chancelier à la tête de la coalition "feu tricolore". Mais depuis les deux hommes n’ont pas encore trouvé le moindre terrain d’entente. À l’exception du sommet de Versailles sur l’Europe de la Défense, qui n’a pas débouché sur grand-chose. Comme en témoigne le surplace des projets d’avions de chasse en commun (le SCAF) ou de char d’assaut.
Le bouleversement intervenu, dans le sillage de la guerre en Ukraine, sur le marché de l’énergie a fait renaître les égoïsmes nationaux. Notamment outre-Rhin où l’on accepte volontiers que la France fournisse des excédents de gaz à l’Allemagne. Mais où en retour on déploie un plan massif destiné à servir de bouclier énergétique aux industriels allemands. Avec à la clé une gigantesque distorsion de concurrence. Et ce n’est pas tout. Puisque non content d’avoir cédé 25 % du port de Hambourg (sa ville) aux chinois, Olaf Scholz est depuis vendredi à Pékin pour tenter de garder ses principaux marchés à l’exportation. Emmanuel Macron avait proposé à son homologue que cette visite se fasse en commun compte tenu des propos récemment tenus par Xi Jinping sur Taïwan et de son impérialisme forcené. Mais Olaf Scholz a opposé un "nein" ferme et définitif qui en dit long sur les relations entre les deux pays. Il y a dix jours Jacques Attali évoquait le spectre d’un nouveau conflit armé franco-allemand avant la fin du siècle, dans sa tribune des Échos. Cela pouvait paraître excessif. Il reste qu’on a du mal à percevoir les signes d’apaisement.
Litanies de hausses de taux… excessives…
La troisième sorcière, enfin, du Chef de l’État ce sont les litanies de hausses de taux qui se précipitent avec d’autant plus d’ampleur que les Banques centrales ont longtemps nié les premiers signaux d’inflation. Il est vrai que ces hausses de prix sont liées pour beaucoup, non à une surchauffe de la demande – la consommation des ménages est désormais étale en France – mais à une pénurie d’offre, dans un climat de crise sanitaire, puis de conflit sur le sol européen.
Le 27 octobre, la Banque centrale européenne a procédé à sa troisième hausse des taux de l’année en optant pour l’étiage le plus élevé de 75 points de base. Il y a quelques jours c’était au tour de la Réserve fédérale américaine de relever ses taux pour la sixième fois de l’année atteignant le seuil de 4 %. Et ce n’est pas fini puisque son président Jérôme Powell évoque maintenant un cap à 5 %. De son côté la Banque d’Angleterre a, elle aussi remonté ses taux, tout en annonçant la plus longue récession au Royaume-Uni depuis 100 ans.
… qui nous conduisent à la récession
Nous voilà donc revenus à l’éternel problème de la poule et de l’œuf. Les banquiers centraux augmentent les taux pour lutter contre une inflation qui n’est pas liée à une surchauffe de la demande. Ce faisant il crée une récession qui refroidit l’économie. Sauf lorsque Christine Lagarde déclare : "la récession (qui vient) ne suffira pas à calmer l’inflation". Si la vestale de la BCE dit vrai, alors il faut s’attendre à la double peine : ce qu’on appelle la stagflation. Le pire des scénarios. Celui que n'ont pas su éviter les banquiers centraux, devenus des pompiers pyromanes.
Les récentes hausses de taux vont susciter probablement un déluge de nouvelles critiques de la part des dirigeants européens. L'enquête de la BCE prévoyait que la croissance économique ne totaliserait que 0,1 % l'année prochaine et qu'il y aurait trois trimestres de croissance négative à partir du troisième trimestre de 2022, produisant une baisse cumulée de 0,7 %. Mais Christine Lagarde, a contré les critiques jeudi, affirmant que briser l'inflation était la mission principale de la BCE et que les gouvernements pourraient aider en fournissant un soutien ciblé aux plus vulnérables. Il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron apprécie ce clin d’œil…
Une opinion publique encore insaisissable
Le Chef de l’État doit donc gérer ses trois "sorcières" (ou les subir) et surveiller la "cocotte-minute" de l’opinion publique. Après deux mois de baisse, et deux interventions télévisées, sa cote de confiance se stabilise enfin à 32 % selon le sondage Elabe pour Les Échos et Radio Classique. Après un recul de six points en deux mois, la confiance accordée au Président reste inférieure de deux points à son niveau enregistré pour la première mesure de son second mandat (34 %).
Pour le deuxième mois consécutif, Élisabeth Borne enregistre un niveau de confiance en baisse : 27 % (- 2 points en un mois et - 6 points en deux mois). Si elle retrouve son niveau de confiance enregistré au moment de sa nomination (27 % en juin 2022), le niveau de défiance a, lui, augmenté de 9 points sur la même période et atteint 60 %, en raison d’une plus forte notoriété. Tout cela montre qu’auprès des Français, le Chef de l’État est condamné à marcher sur des œufs. La dernière prise de parole de Laurent Berger, le leader de la CFDT, l’y incitait fortement, notamment concernant les retraites. Mais peut-on gouverner sans réformer, alors qu’il y a cinq ans Emmanuel Macron voulait davantage transformer le Pays que le réformer ?
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