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Yves de Kerdrel
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Trêve des confiseurs et grèves des profiteurs
par Yves de Kerdrel
Élisabeth Borne a réussi à tordre le bras du Chef de l’État en le convainquant de donner plus de temps à la négociation sur la réforme des retraites qui ne sera rendue publique que le 10 janvier avant un examen en Conseil des Ministres le 23 janvier. Cela n’empêchera pas les mouvements de grèves sporadiques de salariés protégés par leur statut de gêner les départs en vacances.
C’est une surprise totale qu’a provoquée Emmanuel Macron lundi dernier, en annonçant – en introduction d’une session du Conseil National de la Refondation – que l’annonce de la réforme des retraites, initialement prévue pour jeudi 15 décembre, était reportée au mercredi 10 janvier. Ce qui représente un décalage de près de quatre semaines sur le calendrier initial. Le Chef de l’État a justifié ce changement de calendrier par les mouvements intervenus à la tête de trois partis politiques – LFI, EELV et LR – et par les élections qui viennent d’avoir lieu au sein de la fonction publique.
Mais personne n’a vraiment cru à cette sympathique explication. D’abord parce que LFI est évidement opposé à cette réforme, quels qu’en soient les détails. De même que les Verts. Et même le faible score d’Éric Ciotti élu à la tête des Républicains, avec bien moins de voix que ce qui était prévu, ne change pas grand-chose à l’attitude de la "droite de gouvernement". La preuve, Olivier Marleix, le patron du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale a expliqué à la Première Ministre, lors des entretiens qu’elle a eus cette semaine avec les parlementaires, qu’il était favorable uniquement au report à 63 ans de l’âge légal de départ en retraite. Donc loin des propositions de Valérie Pécresse lors de sa campagne présidentielle du printemps dernier. Et loin aussi de l’amendement déposé par les sénateurs LR (conduits par Bruno Retailleau) au PLFSS pour 2023 (âge légal de 64 ans et accélération de la réforme Touraine).
Le rôle central du discret Olivier Dussopt
Pendant deux jours chacun y est donc allé de sa petite explication. Les uns jurant qu’une telle annonce le lendemain d’une possible qualification de la France pour la finale du Mondial de football aurait été malvenue. D’autres évoquant le fait que la nette détente des taux de rendement sur les obligations d’état rendaient moins urgente cette réforme. Et les derniers expliquant que, compte tenu de la forte mobilisation syndicale, une annonce forte d’un report à 65 ans de l’âge légal aurait pu bloquer la France pendant toute la période des fêtes.
C’est finalement le Canard enchaîné de mercredi matin qui a apporté la bonne réponse. Le célèbre "volatile" a raconté comment le très besogneux Olivier Dussopt, qui mène les discussions depuis plusieurs semaines avec les partenaires sociaux, était convaincu qu’il lui était encore possible de "rallier" la CFDT à cette réforme à condition de mettre en place de nouveaux critères de pénibilité et d’obtenir du Medef l'adoption d’un index sur l’emploi des seniors. Un sentiment conforté par l’un des négociateurs qui nous a expliqué que "Matignon ne jurait que par Laurent Berger".
Bras de fer entre Borne et Macron
Depuis, la première Ministre a fait savoir, par différents canaux de presse, qu’elle était en train de convaincre de Président de la République qu’il ne fallait pas s’accrocher au totem des 65 ans en 2031. Et qu’il était préférable de partir sur un relèvement de l’âge légal à 64 ans avec une accélération de la réforme Touraine de manière à viser les 43 trimestres pleins de cotisations. Tout cela agrémenté d’accommodements sur la pénibilité et sur l’emploi des seniors.
Selon les différents modèles faits par Matignon, le Ministère du Travail et le Comité de suivi des retraites, la différence entre les deux méthodes n’aurait qu’un impact financier d’un milliard d’euros sur un total de dix-huit milliards à l’horizon 2027. Il n’en reste pas moins que la décision a été difficile à prendre par Emmanuel Macron qui s’était engagé, lors de sa campagne présidentielle, à porter l’âge légal à 65 ans et qui ne voulait pas marquer le moindre signe de faiblesse. Notamment vis-à-vis de Laurent Berger avec lesquels ses relations n’ont cessé de se détériorer ces derniers mois. Et aussi parce qu’il se sait très surveillé, sur ce terrain-là, par Bruxelles, par Berlin, par les agences de notation et plus généralement par les marchés.
La "victoire" du triangle social de Matignon
Cet épisode est politiquement très intéressant, dans la mesure où il montre qu’Élisabeth Borne – comme nous l’avons toujours écrit dans ses colonnes – a bien plus de personnalité qu’on lui en prête. Et qu’elle n’est pas la simple exécutante des vœux venus de l’Élysée, comme cela a été le cas avec Jean Castex. Il montre aussi que le très discret Olivier Dussopt, qui est aussi un travailleur redoutable, a été d’une grande efficacité.
Et qu’en fin de compte le triangle – plus social que l’ensemble de "la Macronie" - constitué par la Première Ministre, Aurélien Rousseau, son directeur de cabinet et Olivier Dussopt pourrait finir par avoir gain de cause sur cette "mère des réformes". De surcroît avec l’assentiment d’Édouard Philippe qui, lui, avait affronté le Chef de l’État, sur ce même sujet.
Des grèves partout… pour des salariés protégés
Malgré tout, la trêve des confiseurs ne sera pas celle des grévistes. Les mouvements sporadiques dont nous faisions état, ici même, il y a deux semaines sont maintenant bien plus amples que ce que l’on pouvait craindre. La SNCF a annoncé que la circulation des trains était perturbée pour les départs en vacances de Noël, ce week-end, avec une "vingtaine de TGV supprimés" vendredi, en raison d’une grève des aiguilleurs à l’appel de Sud-Rail. Pour la suite des vacances, les contrôleurs ont également déposé des préavis de grève couvrant les week-ends de Noël et du Nouvel An. Idem chez Air France où les syndicats UNAC et SNGAF du personnel navigant ont déposé un préavis de grève pour la période du 22 décembre au 2 janvier sur fond de conflit social autour de l’accord collectif des hôtesses et stewards.
Et ce n’est pas tout. Mécontents des résultats des négociations sur les salaires, les syndicats CGT, FO, Unsa et La Base, réunis en intersyndicale, ont lancé un nouvel appel à la grève "dès janvier 2023″, à la RATP à Paris. Commencé mi-novembre par la CGT pour réclamer des augmentations de salaire, le mouvement de grève se poursuit chez GRDF. D'après le syndicat, environ 30 sites sur 300 sont bloqués ou perturbés. Tout cela sans compter ce qui se prépare en janvier pour accueillir la nouvelle réforme des retraites. Selon nos informations, une intersyndicale se tiendra dès la première semaine de janvier, à laquelle devrait participer la CFDT. Et cela malgré le mandat officieux donné par Emmanuel Macron à Stéphane Séjourné et Sacha Houlié de prendre attache avec Laurent Berger pour qu’il se désolidarise de ce mouvement. À cela s’ajoutera la "marche contre la vie chère" organisée par La France Insoumise le samedi 21 janvier, donc après la présentation de la réforme des retraites.
Un automne très décevant pour l’Insee
Sur le plan de la conjoncture, l’automne s’est déroulé moins bien que prévu pour l’économie française. Alors que l’Insee s’attendait à ce que l’activité stagne au quatrième trimestre, elle anticipe désormais un recul de 0,2 % du Produit intérieur brut entre octobre et décembre (par rapport au trimestre précédent). La croissance pour l’ensemble de l’année 2022 s’afficherait alors à 2,5 %. Au quatrième trimestre, la contraction de l’activité est venue des difficultés rencontrées par la branche industrielle.
Au premier trimestre 2023, toujours selon l’Insee, l’activité économique ferait son retour en territoire positif (0,1 % par rapport au trimestre précédent) grâce au rebond prévu dans la cokéfaction-raffinage et au redémarrage programmé de plusieurs réacteurs nucléaires actuellement en maintenance. Puis, entre avril et juin, le rebond serait plus franc pour l’Insee qui prévoit une croissance de 0,3 % en raison d’une accélération de l’activité dans les services.
Une année 2023 coupée en deux
Vendredi c’était au tour de la Banque de France de mettre à jour ses prévisions. Ses économistes estiment qu’après une bonne résilience au cours de la plus grande partie de 2022, l’activité traverserait deux phases bien distinctes : un net ralentissement à partir de cet hiver, puis un recul des tensions inflationnistes et une reprise progressive de l’expansion économique en 2024 et surtout en 2025. Par ailleurs les tensions sur les prix internationaux des matières premières, même si elles se sont partiellement relâchées depuis septembre, se sont traduites par une inflation en augmentation continue sur l’année 2022, qui s’établirait à 6,0 % en moyenne annuelle. Celle-ci se maintiendrait au même niveau en moyenne annuelle en 2023, mais son profil en glissement annuel serait très différent, avec un pic au premier semestre 2023 puis une nette décrue ensuite (au voisinage de 4 % en fin d’année).
In fine notre Institut d’émission pense que la croissance en moyenne annuelle du PIB s’établirait à 2,6 % en 2022, portée par la résistance de la demande et le rebond du secteur des services, même si le ralentissement de l’activité a été assez net au second semestre. Avec le plein effet du choc externe, l’année 2023 enregistrerait un ralentissement marqué, et la croissance du PIB n’atteindrait que + 0,3 %. Une telle projection est entourée d’une incertitude toujours large, notamment liée aux aléas sur les quantités et les prix d’approvisionnement en gaz. Ce qui amène la banque de France à retenir une fourchette comprise entre – 0,3 % et + 0,8 % pour cette prévision de la croissance en 2023.
P-S : Cet éditorial dominical prend quelques jours de repos. Vous le retrouverez le dimanche 8 janvier prochain. D’ici là je me permets de vous souhaiter de très belles fêtes de fin d’année. En vous remerciant pour votre grande fidélité. Yves de Kerdrel.
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