éditorial / Yves de Kerdrel
éditorial
Yves de Kerdrel
éditorial
Feuille de route
par Yves de Kerdrel
Curieuse conférence de presse du président de la République qui a scandé le slogan de campagne d’Éric Zemmour et qui a cherché à séduire de manière assez outrancière les classes moyennes. Le lendemain à Davos il a annoncé une nouvelle réforme de l’assurance-chômage et des mesures de simplification pour les entreprises. Une nouvelle étape importante dans la politique de l’offre menée depuis dix ans en France.
Ce n’est donc que le mardi 30 janvier que Gabriel Attal prononcera sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. Celle-ci ne sera pas suivie de vote. Le nouveau Premier Ministre a donc décidé de prendre son temps pour annoncer quelle sera la feuille de route de son nouveau gouvernement. Il faut dire que l’on attend toujours la liste complémentaire des ministres délégués et des secrétaires d’État. Une liste qui pourrait n’être communiquée qu’après le 30 janvier en fonction des priorités annoncées par Gabriel Attal.
Après avoir consacré ses cinq premiers jours à Matignon à des sorties sur le terrain largement médiatisées, le Chef du gouvernement consulte. Aussi bien les partenaires sociaux que les présidents de groupes parlementaires. Ce qui lui a déjà permis de faire passer quelques messages. Comme sur la réforme de l’Aide médicale d’état qui n’aura pas lieu aussi tôt que l’espèrent les parlementaires de droite. Par ailleurs jeudi matin, il a réuni Rue de Varenne un séminaire intergouvernemental de manière à caler les priorités de ses nouveaux ministres. Ce qui doit l’aider à construire sa déclaration de politique générale.
Emmanuel Macron, Ministre de tout
La conférence de presse de près de 2 h 30 qu’a tenue Emmanuel Macron mardi dernier pourrait faire double emploi avec ce que Gabriel Attal devrait annoncer le 30 janvier. Plutôt que de se contenter de fixer un cap, le Président de la République est entré dans les détails de ce que doit faire sa nouvelle équipe. On l’a vu successivement endosser les habits de ministre de l’Éducation nationale en demandant que la Marseillaise soit apprise à l’école et que des cours de théâtre y soient donnés. On l’a vu en ministre de l’Économie à propos de la simplification des formalités et des seuils imposés aux entreprises. On l’a vu en ministre de la Santé à propos de la franchise sur les médicaments. Et l’on pourrait multiplier à l’infini tous ces exemples.
On l’a surtout vu en tête de liste pour les élections européennes cherchant à limiter le score du Rassemblement National. Pour cela tout le fil rouge de sa conférence de presse consistait en un message à l’adresse des classes moyennes. Car toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’elles s’apprêtent à voter massivement pour la liste conduite par Jordan Bardella. De fait on voit tout de suite la principale difficulté que va rencontrer Gabriel Attal : essayer de tracer un chemin en dehors de ces contingences électorales et alors qu’il est, de facto, le chef de la majorité présidentielle.
L’obsession des classes moyennes
Il n’est pas question ici de reprocher à Emmanuel Macron de se souvenir qu’il existe en France des classes moyennes qui souffrent depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies de ce que les économistes appellent "l’effet-sablier". Outre leur impact sur le résultat de tel ou tel scrutin, elles sont le cœur battant de la France industrieuse, tout en étant très présentes dans la France rurale. Elles sont donc les plus impactées par les normes et les mesures prises dans le cadre de la transition énergétique. Ce qui explique aussi que le Chef de l’État a aussi peu parlé d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique.
Ce qui est regrettable, c’est que pour s’adresser à ces classes moyennes il a jugé utile de passer par le registre populiste en reprenant le slogan "il faut que la France reste la France" déjà scandé par Laurent Wauquiez, Éric Ciotti et surtout Éric Zemmour. Alors que le lendemain, devant le gotha du business et de la finance mondiale il a annoncé une réforme de l’assurance-chômage avec à la clé un nouveau durcissement de ses modalités. Or ce type de mesure est au moins aussi populaire auprès des classes moyennes que l’instauration de l’uniforme à l’école. Et, sur ce registre, Emmanuel Macron bénéficie d’une certaine crédibilité.
Un gouvernement à compléter
C’est donc après le 30 janvier que le gouvernement devrait être complété. Agnès Pannier-Runacher est d’ores et déjà assurée d’hériter de la santé. Stanislas Guérini est quasiment certain de se voir reconduit à la fonction publique, d’autant plus qu’il prépare une réforme importante dans ce domaine. S’agissant de l’énergie, il est de plus en plus question d’Antoine Armand, 32 ans, député Renaissance de Haute-Savoie, et arrière-petit-fils de Louis Armand, coauteur avec Jacques Rueff du célèbre rapport Armand-Rueff commandé par le Général de Gaulle. Normalien, énarque et inspecteur des finances il s’apprête à publier au début du mois de février un ouvrage chez Stock intitulé : "Le mur énergétique français". Roland Lescure, ministre délégué sortant à l’Industrie auprès de Bruno Le Maire, devrait y être conforté. Aux transports, les noms de Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable, et des députés David Valence et Laurianne Rossi, sont aussi cités. Autre "sortant" et ministre délégué à la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, en disgrâce au "château" pour avoir soutenu des candidats dissidents aux sénatoriales, serait en revanche peu assuré d’être reconduit.
Il restera à trouver une tête de liste Renaissance pour les élections européennes, dans la mesure où Stéphane Séjourné, nommé au Quai d’Orsay, sera hors-jeu. Julien Denormandie, sollicité, aurait refusé. Olivier Véran, qui avait donné son accord, en échange de son poste de porte-parole, ne serait plus partant. Tout cela montre à quel point personne n’a envie de mener cette campagne face au bulldozer Jordan Bardella et cornaqué par un Gabriel Attal qui capte toute la lumière.
Des risques géopolitiques peu pris en compte par les marchés
Le traditionnel "dîner de place" consacré à la croissance réunissant, à l’invitation d’Euronext et de son patron, Stéphane Boujnah, chefs d’entreprise, banquiers, investisseurs institutionnels et économistes s’est tenu lundi dernier. Les restitutions des discussions menées à chaque table ont montré à quel point les tensions géopolitiques influaient désormais sur les décisions des agents économiques. S’agissant de la France, où il existe déjà un écart significatif entre la prévision gouvernementale de croissance du PIB (1,4 %) et la prévision d’autres organisations comme la Banque de France (0,9 %), cet aléa géopolitique risque de peser notamment sur les décisions en matière d’investissements (à l’exception de ceux qui concernent la transition énergétique ou le numérique).
Par ailleurs cette rencontre a été l’occasion de souligner à quel point des éléments négatifs comme la crise au Proche-Orient, la possible élection de Donald Trump ou la montée de l’extrême droite partout en Europe ne sont plus "pricés" par le marché. Outre Marie-Anne Barbat-Layani, la présidente de l’AMF, Éric Lombard, le directeur général de la Caisse des Dépôts, Geoffroy Roux de Bézieux, l’ex-Président du Medef, Denis Beau, le premier sous-gouverneur de la Banque de France, Benoît Cœuré, le président de l’Autorité de la Concurrence, ou Nicolas Baverez on pouvait croiser les économistes Natacha Valla, Olivier Garnier, Pierre Cahuc, Augustin Landier, David Thesmar ou Elie Cohen.
Reproduction et diffusion interdites sans autorisation écrite
ÉDITORIAUX
de la semaine
Chronique / Jean-Baptiste Noé
Chronique / Mer Rouge : qui contrôle la mer, contrôle le monde
13/01/2024 - 08:30
Chronique / Jean-Baptiste Noé
Chronique / Quand l’Europe entrouvre sa porte à l’Ukraine
16/12/2023 - 08:30
Chronique / Jean-Baptiste Noé
Chronique / Houthis : petite attaque, grandes conséquences
09/12/2023 - 08:30