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Yves de Kerdrel
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Macron joue le tout pour le tout
par Yves de Kerdrel
Le Chef de l’État est intervenu le 14 juillet pour clore la séquence de flottement politique liée à sa perte de majorité absolue à l’Assemblée. En fixant un calendrier économique et social conforme mot pour mot à son programme présidentiel il montre que la place pour des compromis sera très limitée et renvoie Les Républicains face à leurs responsabilités.
Il était temps. Après une trop longue période où l’on a dit que le Président était hagard, perdu, voire déprimé, tous les Français ont pu le voir jeudi 14 juillet combatif, déterminé et résolu tant sur les questions internationales et leurs conséquences – ce qui l’a conduit à parler "d’économie de guerre" - que sur les sujets économiques et sociaux.
Revenu à l’Élysée seulement un quart d’heure avant d’intervenir à la télévision, il a tenu l’antenne plus d’une heure sans note et sans concession de la part de ses intervieweuses. À commencer par ce très mauvais procès autour des "Uber files". Quoi de plus normal qu’un ministre libéral qui cherchait à détruire les rentes déroule le tapis rouge au leader mondial du VTC. Avec à la clé des emplois – certes précaires – mais des emplois tout de même pour des milliers de jeunes non-qualifiés.
Droit dans ses bottes
Emmanuel Macron a donc relativisé la perte de la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Peut-être de manière excessive puisque quelques jours plus tôt un projet de loi lié au contexte sanitaire a vu l’un de ses articles, retoqué par une coalition "baroque" LFI, RN, LR. Il a surtout beaucoup moins parlé de la culture du compromis que sa Première Ministre a pu le faire dans son discours de politique générale.
Il a réaffirmé avoir été élu sur un projet – ce qui revient à oublier qu’il a surtout appelé entre les deux tours à faire barrage à Marine Le Pen – et donc qu’il entendait appliquer ce projet. Autant sur le sujet de la réforme des retraites, il est resté flou évoquant une mise en œuvre de l’âge légal de 65 ans après la fin du quinquennat. Ce qui permet de laisser la place à une discussion avec les partenaires sociaux. Autant sur la réforme du travail il s’est montré déterminé.
Un objectif : le plein-emploi
Ce sera donc le premier texte soumis, après l’été, au vote des députés avec un ensemble un peu fourre-tout. À la fois des mesures pour empêcher les abus de la part de ceux qui touchent des allocations-chômage "pour réfléchir pendant une année au sens de leur vie". Mais aussi un durcissement de la conditionnalité du RSA, la création de France Travail, et des aspects touchant à la formation professionnelle.
Ce qu’Emmanuel Macron explique en privé, c’est qu’il considère comme une aberration que la France soit la seule économie développée qui ne soit pas au butoir du plein-emploi comme l’Allemagne, le Royaume Uni ou les États-Unis. Et que tous les patrons de France rencontrent actuellement des difficultés, voire des impossibilités de recrutement.
La droite la plus bête du monde…
Toute la question sera de savoir si sur un sujet comme celui-là qui renvoie à ce que Laurent Wauquiez affirmait il y a dix ans – en parlant du cancer de l’assistanat – ou qui fait écho à ce que Xavier Bertrand a répété pendant toute sa campagne des primaires, les parlementaires Les Républicains sauront faire preuve de responsabilité. Et considérer que soutenir le gouvernement, n’est pas faire preuve d’indignité et n’oblige pas à se munir d’une grande cuillère.
C’est clairement le signal qu’Emmanuel Macron a envoyé jeudi aux Républicains en leur rappelant qu’ils seraient comptables de leurs votes devant leurs électeurs. Ce discours un peu brutal n’empêche pas les manœuvres en coulisses. Notamment par le biais de Gérard Larcher, et surtout de Jean-Louis Borloo, dont on dit qu’il a été appelé au secours pour faire les entremetteurs entre l’Élysée et certains responsables des Républicains.
Une économie de guerre
Sans jamais prendre un ton solennel ou grave le Chef de l’État a enfin reconnu que, du fait de la durée de la guerre en Ukraine et son aspect "hybride" avec la capacité de Vladimir Poutine d’assécher l’Europe en gaz et une partie de l’Afrique en céréales, il fallait adapter notre modèle économique pour en faire une "économie de guerre". Toute la question est de savoir si le pays a été préparé pour cela.
Or à la différence de nos amis allemands qui voient déjà l’eau chaude rationnée, les Français font tourner les climatiseurs comme jamais pour faire face à la canicule. Et aucun responsable politique ne les a appelés à la sobriété énergétique. Pire, lorsque Catherine MacGregor d’Engie, Patrick Pouyanné de Total et Jean-Bernard Lévy d’EDF ont publié une tribune dans le JDD sur la nécessité de faire des économies d’énergie, ils ont eu le droit à des reproches de la part des pouvoirs publics qui leur ont expliqué que cela allait inquiéter les Français au moment où ils partaient en vacances.
Délestage nécessaire
Chez EDF on n’exclut pas de devoir pratiquer des coupures de courant l’hiver prochain en période de pointe s’il fait trop froid. Bien sûr les cuves de gaz sont bien plus remplies que d’habitude. Bien sûr une centrale à charbon a été rouverte en attendant la mise en service de l’EPR de Flamanville. Bien sûr les dirigeants du groupe ont déjà contacté des grands comptes industriels pour mettre en place des délestages nécessaires.
Mais il est possible que cela ne suffise pas. Et l’heure de vérité interviendra plus tôt que prévu. C’est-à-dire le 21 ou le 22 juillet prochain après les dix jours de travaux de maintenance sur le gazoduc Nord Stream 1. Si au moment de sa remise en fonction, Vladimir Poutine ordonne de ne plus envoyer de gaz au reste de l’Europe, les experts s’attendent à ce que les bourses européennes s’effondrent de 20 %, à ce que l’Euro tomberait à 0,90 dollar et à voir les résultats des entreprises européennes chuter de plus de 15 %.
Et l’inflation court toujours
Tout cela interviendrait au moment même où la BCE se réunira pour lancer sa fameuse hausse des taux annoncée depuis des semaines. L'indice des prix à la consommation harmonisé en France a atteint 6,5 % sur un an en juin, a annoncé mercredi l'Insee, confirmant sa première estimation. Par rapport à mai, l’inflation calculée aux normes harmonisées européennes (IPCH) ressort à 0,9 %, révisé en légère hausse comparé à l’estimation initiale à 0,8 %. L'indice des prix à la consommation, soit l'inflation calculée aux normes françaises, est également confirmé à 5,8 % sur un an en juin et à 0,7 % d'un mois sur l'autre.
De fait, la Commission européenne a annoncé jeudi avoir réduit ses prévisions de croissance pour cette année et l'an prochain et relevé ses prévisions d'inflation, principalement en raison de l'impact de la guerre en Ukraine. Dans ses prévisions d'été, l'exécutif communautaire table pour la zone euro sur une croissance limitée à 2,6 % cette année et 1,4 % l'an prochain alors qu'en mai, elle prévoyait des chiffres de 2,7 % et 2,3 % respectivement. La révision à la baisse est plus marquée pour 2023 que pour 2022 car c'est surtout l'an prochain que l'impact de la guerre en Ukraine et celui de la hausse des prix de l'énergie pourraient se faire le plus durement sentir.
Bruxelles prudente pour 2023
Pour l'ensemble de l'Union européenne, la Commission prévoit parallèlement que l'inflation dans la zone euro atteindra 7,6 % sur l'ensemble de cette année, soit 1,5 point de plus qu'estimé il y a deux mois, et qu'elle ne retombera qu'à 4 % l'an prochain, contre 2,7 % prévu en mai. Bruxelles souligne que l'inflation pourrait être encore plus élevée en cas de nouvelle envolée des prix du gaz si la Russie interrompt ses livraisons, ce qui pourrait en outre conduire à une nouvelle dégradation des perspectives de croissance.
Malgré tout, la Commission Européenne dit ne pas croire à une récession dans la zone euro et elle estime que ses prévisions pourraient être revues en hausse si la baisse des cours du pétrole et des matières premières observée récemment se poursuit. Les nouvelles prévisions pour la France sont un peu meilleures avec une croissance attendue à 2,4 % cette année et 1,4 % pour l'an prochain. Jusqu’à présent Bruxelles misait sur une expansion de 3,1 % en 2022 et 1,8 % en 2023.
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