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Yves de Kerdrel
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Le grand gâchis
par Yves de Kerdrel
À moins d’une surprise, aucune des motions de censure déposées vendredi ne devrait être adoptée demain. Si bien que la réforme des retraites sera de facto adoptée. Mais la séquence qui dure depuis 70 jours a affaibli le Président de la République, rendu nécessaire un changement de gouvernement et prouvé s’il en était encore besoin que ce qu’il reste de droite est bien la plus bête du monde.
La lecture de la presse internationale n’est pas très réjouissante actuellement lorsque l’on est français. La ville lumière et capitale olympique y est photographiée sous tous les angles avec des tas de poubelles et des rats (pardon ; des "surmulots") qui s’en donnent à cœur joie et dont le nombre est estimé à 6 millions (pour 2 millions de parisiens). Et la courte séance de l’Assemblée nationale de jeudi entre 15 heures et 15 h 20 a été décrite comme la résurgence d’ambitions révolutionnaires de la part de certains gauchistes devenus députés sous l’étiquette La France Insoumise.
Quant au Chef de l’État, qui commence toutes ses journées par la lecture des titres de la Presse anglo-saxonne, il y est décrit comme profondément affaibli, alors que cette réforme des retraites devait lui permettre de revendiquer le qualificatif de réformateur. Le Washington Post a écrit vendredi matin que "la fin tumultueuse de semaines de manœuvres politiques a soulevé des questions plus larges sur la capacité de Macron à diriger le pays au cours de ses quatre dernières années au pouvoir". Quant à Élisabeth Borne, peu de commentateurs politiques lui prédisent un séjour très long à Matignon, même si les motions de censure sont rejetées par peur d’une dissolution. Car la totalité de son gouvernement a fait preuve d’amateurisme au cours des deux mois qui viennent de s’écouler.
Barricades de poubelles et dîner de gala à Versailles
Bien sûr comme toujours en France, la constitution protège le Président de la République de manière incroyable. Et si les manifestations sauvages vont s’accroître en plus de la grande manifestation prévue jeudi prochain, Emmanuel Macron semble imperturbable. Dans une semaine il va recevoir le nouveau Roi d’Angleterre pour son premier voyage officiel à l’étranger. Et alors que les barricades de sacs-poubelles barrent certaines rues, un grand dîner sera donné à Versailles avec le faste et le lustre que la République réserve à ses invités prestigieux.
Il n’empêche que son image déjà bien écornée par la crise des gilets jaunes en a pris un sacré coup avec cette réforme et ce 49-3 qu’il a cherché à éviter jusqu’au bout. Il y avait pourtant bien plus d’avantage à ne pas l’utiliser. Si le vote était négatif, il pouvait dissoudre l’Assemblée – ce qu’il va finir par faire de toute manière – et faisait retomber sur les frondeurs de droite, mais aussi de Renaissance et d’Horizons, la responsabilité du déséquilibre financier du régime par répartition. Si le vote était positif, il en sortait mille fois grandi avec une réforme des retraites adoubée par le Parlement.
Rassembler les Français ou éviter de les diviser
Jusqu’à présent tous les Présidents de la République ont eu à cœur de ne pas diviser les Français. Ils ont tous mis cela en tête de leurs priorités. François Mitterrand avait retiré la loi Savary sur l’enseignement libre, car il avait compris qu’elle créait un fossé qui transcendait les clivages politiques habituels. Jacques Chirac était obsédé par la volonté de pouvoir parler à tout le monde. Même Nicolas Sarkozy avait établi l’ouverture en méthode de gouvernement car il voulait être aimé de la gauche. François Hollande a eu beaucoup de défauts mais il a toujours évité de diviser les Français.
Emmanuel Macron, lui, a beaucoup de qualités – le membre de la Commission Attali, auteur de cet article, qui a travaillé avec lui, peut en témoigner. Mais il est davantage un "manager" qu’un président. Et il est davantage préoccupé par le taux de rendement de l’OAT à 10 ans ou par la capacité de la France à tenir son rang sur la scène internationale, que par les démonstrations de colère des Français. C’est pour cette raison qu’il est le premier Chef de l’État à susciter une vraie "haine" de la part de certains de ses administrés. Et ce n’est pas ce qui s’est passé jeudi qui va modifier sa relation avec "les Gaulois réfractaires".
L’intérêt général et des millions d’intérêts particuliers
Le cas d’Élisabeth Borne est différent. Cette techno au profil de "première de classe" a cru que sa réforme des retraites pourrait passer parce qu’elle s’appuyait sur des éléments rationnels. La question qu’elle voulait régler, celle de l’équilibre financier du régime par répartition, relevait de l’intérêt général. Mais le problème, c’est que les modalités de cette réforme touchaient à autant d’intérêts particuliers différents qu’il y a de français en âge de travailler. Et cela, elle ne l’a jamais compris, continuant jusqu’au dernier jour à ânonner les mêmes arguments qu’au début et dont les Français se moquent, habitués qu’ils sont à vivre au pays de l’argent facile et magique.
Son second handicap a consisté à ne pas savoir tenir ses troupes, c’est-à-dire son équipe gouvernementale, qui a fait preuve d’un amateurisme rare. On l’a vu avec Franck Riester et sa gaffe sur le sort des femmes ayant eu des enfants. On l’a vu avec Olivier Dussopt et son imprécision sur le nombre des bénéficiaires de la retraite minimale de 1 200 euros. On l’a vu avec Olivier Véran s’acharnant à nier jusqu’au dernier moment la capacité du gouvernement à recourir au 49-3.
L’attitude irresponsable de Laurent Wauquiez
Enfin il faut dire un mot de la Droite ou de ce qu’il en reste, à moins que l’on soit désormais obligé de parler des droites. Éric Ciotti élu quelques jours avant l’annonce de la réforme des retraites Président de LR avait promis au gouvernement le soutien de son parti. Ce qui était normal de la part d’un mouvement politique qui a toujours prêché pour la retraite à 65 ans et la suppression des régimes spéciaux. Mais une fois sorti de l’Hôtel de Matignon il a été incapable de gérer ses parlementaires. Au point de faire d’Aurélien Pradié, pire qu’un frondeur, "le premier des insoumis" comme il est désormais surnommé dans la salle des Quatre Colonnes.
Si Bruno Retailleau a eu un discours clair, et si la droite sénatoriale a toujours joint son vote à ses paroles, il n’en a pas été de même d’Éric Ciotti. Pire que cela, celui qui incarne l’avenir de la droite en s’étant autodésigné candidat du camp conservateur à la présidentielle de 2027, Laurent Wauquiez, a observé un silence coupable. Non sans avoir appelé plusieurs parlementaires de la région Rhône-Alpes Auvergne pour leur rappeler qu’ils étaient libres de voter comme ils le souhaitaient. Ce qui était une sorte de chèque en blanc accordé aux frondeurs LR. Autant dire que la droite libérale et réformatrice est devenue presque minoritaire au sein d’un groupe parlementaire réduit à la portion congrue.
Le trou noir du Crédit Suisse et de nombreuses fintechs
Au chapitre économique l’actualité de la semaine a été dominée par les conséquences et les suites de la faillite de la Silicon Valley Bank, mais aussi par les craintes émanant du Crédit Suisse, banque systémique à la différence de la première. Cela n’a pas empêché la BCE de relever son taux de 0,50 % comme nous l’avions annoncé la semaine passée, et non de 0,25 % comme l’espéraient certains acteurs de marché. Pendant ce temps-là le taux de rendement de l’OAT à 10 ans qui était remonté il y a dix jours bien au-dessus de 3 % a dégringolé à 2,75 % dans un mouvement général de "fly to quality" et alors que les actions étaient orientées à la baisse.
La décision de la Banque centrale européenne de relever les taux d’intérêt d’un demi-point reflète la priorité de la banque centrale de lutter contre l’inflation et signale également une forte confiance dans la solidité des banques européennes, a déclaré vendredi François Villeroy de Galhau. Il reste que le conseil de surveillance de la BCE a tenu une réunion extraordinaire vendredi matin pour examiner le sujet de la solidité des banques européennes. Selon nos informations, les membres de cette instance n’ont vu aucun risque de contagion aux banques de la zone euro. Ils ont également constaté que les dépôts restaient stables dans les banques de la zone euro et que l’exposition au Crédit Suisse était sans importance. Cela n’empêche pas certaines fintechs de commencer à subir un bank-run virtuel. Les marchés actions sont donc sous pression et risquent de le rester en dépit des bons résultats des entreprises et d’une conjoncture plus favorable que prévu.
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