Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Ukraine : An III et impasses multiples
par Jean-Baptiste Noé
Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, le conflit est enferré dans plusieurs impasses. « L’opération spéciale » qui devait être courte et rapide s’enlise et aucun des protagonistes ne sait comment en sortir.
Les scénarios se répètent à chaque fois : la guerre sera brève et à Noël, les soldats seront de retour dans leurs familles. Et, comme à chaque fois, la guerre est longue et la porte de sortie lointaine. Alors que le conflit commencé en 2022 entre dans sa troisième année, tous les protagonistes sont dans une impasse.
Russie : comment gagner ?
"L’opération spéciale" qui a mobilisé 180 000 hommes en février 2022 est devenue une vraie guerre, qui mobilise plusieurs centaines de milliers de Russes. Moscou a sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens, l’ampleur du soutien qui serait apporté par les États-Unis et l’Europe et la durée du conflit. Certes Moscou contrôle 20 % du territoire ukrainien et est parvenu à contourner les sanctions économiques. Mais l’opération du 24 février qui devait trancher le nœud gordien et résoudre le problème ukrainien n’a fait que l’envenimer. Deux ans après, l’impasse est totale.
Ukraine : comment ne pas perdre ?
Après l’échec de la contre-offensive, ce sont les Russes qui ont repris l’initiative. Prise d’Avdiivka, poussée sur le front sud, la Russie avance peu mais avance et l’Ukraine recule. À court d’armes et d’hommes, la situation militaire et humaine est très tendue. L’aide américaine est bloquée, l’aide européenne est insuffisante. L’Ukraine ne dispose pas des moyens militaires pour reprendre le territoire conquis par la Russie. La question qui inquiète ses alliés est surtout de savoir si elle ne va pas rompre. Comment échapper à une défaite qui semble inévitable ? Comment sortir de l’impasse stratégique et politique ? Les semaines qui viennent seront des moments cruciaux pour l’avenir de l’Ukraine.
Europe : comment masquer l’impuissance ?
Dans cette guerre, l’Europe est l’un des grands perdants. Les Européens ont une nouvelle fois démontré qu’ils étaient dépendants de l’OTAN pour assurer leur sécurité collective, une Organisation qui s’est étendue même à des pays jusqu’à présent neutres (Finlande). Sans l’aide américaine, leur soutien à l’Ukraine aurait été insuffisant. L’Europe s’est montrée nue : sans armée, sans moyens militaires face à la guerre de haute intensité, sans pensée stratégique, sans levier d’influence. Les sanctions économiques imposées à la Russie sont un échec.
Les Européens continuent d’acheter des hydrocarbures russes, via des pays tiers comme la Turquie et l’Inde. Hydrocarbures qui sont achetés plus chers. Rien n’existe sans énergie. Or, avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie assurait 25 % des importations de pétrole de l’Europe et 45 % de celles de gaz. Étant le deuxième producteur mondial de pétrole et de gaz naturel, il était évident que les Européens ne pouvaient pas se passer de la production russe. Comment lever des sanctions inefficaces pour Moscou, pénalisantes pour les Européens, sans se dérober et sans afficher aux yeux du monde son impuissance ? Là aussi, impasse.
États-Unis : comment tenir son rang ?
L’aide à l’Ukraine étant toujours bloquée par le Congrès, rien ne devrait bouger avant la fin du processus électoral présidentiel, soit janvier 2025. Pour l’Ukraine, c’est très long. Mais pour les États-Unis, cela ne résout pas le problème de leur rang contesté. Chose inimaginable il y a encore trois ans, le commerce du pétrole se fait de plus en plus de façon dédollarisée. Les monnaies chinoises et indiennes sont désormais utilisées, ce qui affaiblit la position du billet vert et réduit la puissance financière et politique des États-Unis.
Si l’Ukraine est un gros sujet, la Chine l’est beaucoup plus. Avec Taïwan certes, mais aussi avec la croissance des trafics de drogue, dont une partie passe par la Chine, dans une revanche de la guerre de l’opium. L’état social et sanitaire des Américains se dégrade fortement. À l’obésité s’ajoute la consommation de produits stupéfiants qui ravagent les grandes villes comme les espaces ruraux. La permissivité de la frontière mexicaine est toujours un sujet. Certains politiques de premier ordre ont appelé à une opération militaire au Mexique pour lutter contre les trafiquants de drogue. Pour beaucoup, l’avenir des États-Unis ne se joue pas à Kiev, mais à Ciudad Juárez et sur le Rio Grande.
Impasse aussi pour Washington : comment être partout sans s’affaiblir ? Comment préserver ses intérêts directs sans donner l’image d’un pays qui se retire du monde ? Et, peut-être encore plus important, comment renouveler une démocratie américaine qui semble à bout de souffle et dont le duel prévu Trump / Biden ne passionne pas les foules ?
Au seuil de cette nouvelle année de guerre, les impasses sont nombreuses. La seule certitude, c’est que l’histoire en offre toujours des sorties imprévues.
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