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Yves de Kerdrel
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Dérapage incontrôlé
par Yves de Kerdrel
Grande confusion cette semaine au sommet de l’État où l’on cherche par tous les moyens à effacer l’image désastreuse laissée par la visite d’Emmanuel Macron au Salon de l’Agriculture. Quant aux déclarations du Chef de l’État sur l’hypothèse d’un envoi de troupes françaises en Ukraine, elles ont fait l’objet d’une réprobation unanime, en France et dans le reste de l’Europe.
Pour 63 % des Français interrogés par Elabe pour BFM TV, Emmanuel Macron est responsable des incidents qui ont eu lieu lors de l’inauguration du Salon de l’Agriculture il y a une semaine. Nos compatriotes estiment que le Chef de l’État a attisé les tensions par sa manière de gérer les relations avec le monde agricole. Et notamment avec cette idée saugrenue, issue du cerveau de deux de ses conseillers, d’inviter les représentants du Soulèvement de la Terre à un grand débat avec le monde paysan.
La tension constatée pendant toute la visite d’Emmanuel Macron fait ressortir un contraste saisissant avec le calme qui a entouré les deux venues de Gabriel Attal Porte de Versailles. D’abord dimanche dernier dans la soirée. Et ensuite en début de semaine, à l’occasion d’une longue déambulation où l’on a pu voir le Premier Ministre très à l’aise avec les agriculteurs, y compris ceux issus de la Coordination Rurale. Tout cela montre à quel point les propos tenus en privé par Emmanuel Macron à son équipe sur le fait qu’il avait échappé à un "6 février 1934" sont à la fois excessifs et ridicules.
Toujours pas de réponse crédible à la crise agricole
Le problème du monde paysan reste entier. Il y a une semaine Emmanuel Macron promettait que des avances de trésorerie auraient lieu rapidement après un recensement des exploitations les plus fragiles. À l’heure qu’il est moins d’une dizaine de préfets se sont souciés de dresser la liste des agriculteurs de chaque département qui ont un besoin vital de trésorerie.
A ce jour 53 % des Français estiment que les réponses apportées par Emmanuel Macron et le gouvernement évoquées restent insuffisantes. Et à la surprise générale, chez ses propres sympathisants, le Président de la République se trouve désavoué. Puisque seulement un quart des électeurs d’Emmanuel Macron considèrent que les mesures annoncées jusqu’ici sont à la hauteur de la crise agricole que vit le Pays. Mais qui concerne aussi toute l’Europe, comme on a pu le voir avec les manifestations de tracteurs en Allemagne, en Italie, en Espagne et à Bruxelles.
Les chefs militaires n’ont pas été consultés par Macron
Mais le principal dérapage d’Emmanuel Macron, au cours de la semaine passée, tient aux propos qu’il a tenus lors de la conférence de presse qui a suivi la conférence de soutien à l’Ukraine qui s’est tenue à l’Élysée lundi dernier en présence de 27 chefs d’État ou de gouvernement. Un épisode d’autant plus dommageable que cette réunion avait permis de trouver un accord sur cinq catégories d’actions nouvelles : la coproduction d’armement en Ukraine ; le cyberdéfensif ; la défense de pays menacés directement par l’offensive russe en Ukraine, en particulier la Moldavie ; la capacité de soutenir l’Ukraine à sa frontière avec la Biélorussie avec des forces non militaires ; et les opérations de déminage.
S’exprimant devant les journalistes de la presse internationale le président de la République a dit ne pas exclure d’envoyer des troupes sur le sol ukrainien, avant de se rattraper en parlant d’ambiguïté stratégique. De Berlin à Washington en passant par Londres, tous les gouvernements engagés dans le soutien à l’Ukraine se sont très vite désolidarisés des propos d’Emmanuel Macron. Propos manifestement improvisés, puisqu’aucun de nos chefs militaires avait été sondé sur cette fameuse "hypothèse". Pas même le Chef d’état-major particulier du Président de la République.
La guerre vue par Sun Tzu et Chevènement
Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on explique qu’il s’agit là du simple recours au concept d’ambiguïté stratégique théorisé par le général chinois Sun Tzu dans "l’art de la guerre", cinq siècles avant Jésus-Christ. Le but est de faire douter l’adversaire. Il n’est pas certain que la déclaration du président de la République ait changé quoi que ce soit à la détermination guerrière de Vladimir Poutine. On a pu le voir jeudi dernier à l’occasion de son traditionnel discours à la nation. "La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires" avait dit Georges Clémenceau. Elle est aussi trop sérieuse pour faire l’objet d’une déclaration improvisée de la part du locataire de l’Élysée et sans aucune concertation avec nos alliés comme avec l’OTAN.
Ainsi que l’a expliqué Jean-Pierre Chevènement vendredi au Figaro : "Cette position participe d’une fuite en avant irresponsable et très inquiétante… Les Français n’attendent pas du président de la République française qu’il défende d’abord les intérêts de l’Ukraine ou de quelque autre pays que ce soit ; ils attendent qu’il défende les intérêts de la France. S’agissant de la paix et de la guerre, il faut que notre président se souvienne que la dissuasion ne peut être mise en œuvre que pour la défense des intérêts vitaux de la France. Or, disons-le clairement, les intérêts vitaux de la France ne se situent pas en Ukraine." Et l’ancien ministre de François Mitterrand d’ajouter : "Cela révèle une mauvaise prise en compte de ce qu’est l’intérêt national. Il ne peut pas être aujourd’hui ceci et demain cela ; le "en même temps" ne peut pas permettre de calibrer une politique étrangère raisonnable et crédible. Que reste-t-il de la crédibilité de la France quand ses principaux alliés se désolidarisent de la proposition peu responsable faite par le chef de l’État, comme c’est le cas avec l’envoi de troupes au sol ?"
Attal en première ligne sur l’assurance-chômage
Le Premier Ministre continue d’enchaîner les déclarations indiquant sa volonté de durcir les règles de l’assurance-chômage. Plusieurs pistes sont à l’étude qui vont de la réduction de la durée d’indemnisation à la dégressivité des allocations. Bruno Le Maire s’est, également, manifesté en faveur de l’alignement de la durée indemnisation des plus de 55 ans (27 mois) sur celle des autres chômeurs (18 mois). Quant à Emmanuel Macron, il avait exprimé le souhait, lors de sa conférence de presse du 16 janvier, d’introduire des conditions plus sévères quand des offres d’emploi sont refusées.
Les différentes organisations syndicales sont toutes montées au front pour dénoncer un éventuel tour de vis supplémentaire. Même le patronat, par la voix du président du Medef, Patrick Martin, a jugé "prématuré" que le gouvernement envoie dès à présent une nouvelle lettre de cadrage, "pour des raisons de climat social et de respect des partenaires sociaux". La dernière réforme avait instauré un principe de contracyclicité, qui prévoit une protection moins avantageuse lorsque le marché de l’emploi se porte bien, et des droits plus protecteurs lorsque, au contraire, la conjoncture économique et le marché du travail se dégradent. Or c’est plutôt ce second cas de figure qui prévaut aujourd’hui.
Vers une désindexation des retraites
Outre ce sujet d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, il est toujours question à Matignon de la menace d’une ponction dans les caisses de l’Unedic. À un moment où le gouvernement cherche de l’argent un peu partout de manière à respecter ses engagements en matière de réduction du déficit public. Et ce n’est pas la seule solution imaginée. Il est de plus en plus question d’une désindexation des retraites sur l’inflation dans le cadre du projet de budget pour 2025. Cette année, les 18 millions de retraités ont vu leurs pensions de base augmenter de 5,3 %. La hausse décidée à l’automne a été effective en février.
La règle actuelle veut que les retraites augmentent en début d’année en fonction de la progression des prix, mais le gouvernement peut très bien agir comme bon lui semble. C’est ce qu’Édouard Philippe avait fait en 2019 de manière à limiter le déficit. Il est sûr que c’est toujours pour les politiques une tentation que d’agir sur ce levier. D’autant que les manifestations de retraités sont assez rares. Il reste que dans les derniers sondages concernant les prochaines élections européennes on constate que nos aînés, qui ont toujours voté de manière légitimiste pour les partis de gouvernement, se tournent de plus en plus vers le Rassemblement National.
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