Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
TotalEnergies : un siècle d’histoire du monde
par Jean-Baptiste Noé
C’est dans la discrétion que TotalEnergies a commémoré son siècle d’existence. L’entreprise est pourtant un fleuron industriel français, une réussite entrepreneuriale qui n’était pas écrite d’avance et une entreprise qui n’a cessé d’évoluer au gré des fluctuations géopolitiques du monde.
Les Français ont-ils le succès honteux ? Chacun devrait se réjouir de l’existence d’une entreprise comme TotalEnergies, fondée en 1924, qui a réussi à grandir dans un siècle de feu et à survivre aux concurrents et aux transformations mondiales. Se plonger dans les archives de Total, ce que j’ai fait de longues années durant puisque c’était le sujet de ma thèse de doctorat, c’est se plonger dans l’histoire du XXe siècle, des transformations industrielles, sociologiques et économiques, mais aussi disposer d’un regard unique sur les évolutions du monde. La France et l’Italie (ENI) sont les seuls pays où figure une major pétrolière alors qu’il n’y a pas de pétrole. Rien que cela est déjà une prouesse. Total est l’exemple d’une volonté politique réussie et d’une vision entrepreneuriale aboutie.
Souveraineté et indépendance
Président de la République durant le premier conflit mondial, Raymond Poincaré prend conscience de l’importance extrême du pétrole et du carburant pour la puissance militaire et industrielle de la France. Au sortir de la guerre, devenu cette fois président du conseil, il confie à un polytechnicien, Ernest Mercier, la création de la Compagnie française des pétroles (CFP). L’entreprise a un attelage particulier : née de la volonté de l’État, ce dernier est présent au capital, avec également des capitaux privés. Indépendance énergétique, souveraineté économique et puissance politique sont donc au cœur du projet de Total. L’entreprise survit à la Seconde Guerre mondiale, bien que son patron soit déporté et laisse sa vie dans les camps allemands. En 1950, dirigée par Victor de Metz, elle ne compte que 50 salariés. 50 ans plus tard, après avoir racheté entre autres Elf et Fina, elle atteint les 100 000 salariés et une présence mondiale.
La CFP oriente ses explorations dans un Moyen-Orient alors bien différent de celui d’aujourd’hui. Il y a toujours une certaine émotion à retrouver les photographies sépia des gisements en Irak, notamment celui de Kirkouk, le premier à être exploité, à lire les travaux des ingénieurs qui partent à l’inconnu à la découverte des gisements, au transport du pétrole, à sa transformation. Ce n’est qu’en 1962 qu’en France la consommation de pétrole dépasse celle du charbon. Une autre époque, qui révèle de grands changements industriels et sociologiques.
Au moment où l’on commémore également le cinquantième anniversaire de la mort de Georges Pompidou, se plonger dans l’histoire de Total s’est retrouver ces années 1960-1970 où la voiture se généralise, où les autoroutes commencent à structurer la France, où les Français partent de plus en plus en vacances. Total innove dans la publicité pour fidéliser sa clientèle, crée des jeux pour les enfants, un club pour les adolescents et des stations-service qui soient aussi des lieux de vie. Dès les années 1970, une fondation est créée pour protéger les fonds sous-marins. Total s’engage aussi dans le sport, notamment le Dakar. Le nom de CFP est abandonné au profit de celui de la marque, Total, qui se diversifie dans le gaz et de nouvelles sources d’énergie.
Fin de l’URSS, ouverture au monde
Les années 1990 témoignent du nouveau monde en cours. L’URSS disparaît et Total s’ouvre les marchés des anciens pays soviétiques. Le gisement du Kashagan par exemple, en mer Caspienne, dont il aura fallu près de 30 ans d’investissement avant qu’il ne soit opérationnel. L’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique, après l’absorption d’Elf. La mondialisation de Total est la conséquence de la mondialisation de l’économie et de l’énergie. La mort accidentelle de Christophe de Margerie (2014) dans un accident d’avion en Russie témoigne de l’internationalisation de l’entreprise qui a su conquérir des marchés mondiaux et rivaliser avec les grandes compagnies américaines.
Le naufrage de l’Erika (1999) demeure comme l’un des grands drames de l’entreprise. Des marées noires qui n’ont plus eu lieu par la suite, preuve que les mesures prises contre les accidents de pétroliers ont réussi à éviter ce type de catastrophe. L’entreprise a aussi subi des attaques de guerre informationnelle, comme en Birmanie, la plaçant au cœur de la guerre économique que se livrent les puissances mondiales par l’intermédiaire d’entreprises et d’associations.
L’invasion de l’Ukraine, l’enjeu autour de Nordstream, les négociations pour la construction de pipeline à travers le Caucase et l’Afrique témoignent de l’importance cruciale de l’accès à l’énergie. Total découvre régulièrement de nouveaux gisements de pétrole et de gaz : dans le canal du Mozambique, en Méditerranée orientale, au large de la Guyane… L’intuition de Raymond Poincaré en 1924 était la bonne ; le pétrole n’avait alors qu’une part modeste dans l’énergie nationale. C’était le début de sa domination sur des décennies qui sont celles de la suprématie de l’or noir, témoin des transformations géopolitiques du monde.
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