Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Iran : le salut aux armes
par Jean-Baptiste Noé
En annonçant une attaque imminente d’Israël par l’Iran, les États-Unis ont surpris. La crainte d’une extension du conflit de Gaza ressurgit et celle d’un embrasement du Proche-Orient est plus que jamais présente.
La partie de ping-pong pourrait-elle se transformer en MMA ? C’est bien la crainte posée par les États-Unis quand Joe Biden annonce que l’Iran "menace de lancer une attaque importante contre Israël" en réponse au bombardement du consulat iranien à Damas. Jusqu’à présent, l’Iran a toujours fait usage de proxy, c’est-à-dire de milices financées et manipulées par Téhéran en vue de déstabiliser une zone ou d’attaquer un adversaire : les houthis au Yémen pour attaquer les bateaux traversant la mer Rouge, le Hezbollah au Liban pour tirer sur le nord d’Israël. Jamais d’attaques directes, l’Iran gardant en mémoire la terrible guerre avec l’Irak (1980-1988) qui l’a saignée à blanc et ruinée. En l’absence de frontières communes avec Israël, la seule façon pour l’Iran d’attaquer l’État hébreu est de faire usage de missiles ou de drones pour toucher les villes et les populations.
L’attaque frontale
On imagine mal l’Iran se lancer dans une attaque frontale. La réplique d’Israël serait immédiate et avec lui celle de ses alliés, États-Unis en tête. Infliger une défaite militaire à Téhéran pourrait être un levier politique pour changer son gouvernement et renverser un régime des mollahs haï à l’extérieur et de plus en plus contesté à l’intérieur. Quant aux pays arabes, aucun n’a envie de renverser la table et de sortir la poudre ; encore moins d’être les victimes collatérales de l’Iran.
Il y a de la tactique dans l’annonce américaine : nommer l’Iran comme ennemi et déjouer ses plans, c’est déjà parer ses coups et l’empêcher d’attaquer. C’est aussi affermir son soutien à Israël, tout en pouvant être critique quant à sa politique à Gaza. Une façon, pour les démocrates, de ne pas rompre leur soutien à Tel-Aviv sans s’aliéner la population arabe, dont le vote devient de plus en plus important pour l’élection américaine. Une manière aussi de reprendre la main et de démontrer que les États-Unis sont bien la force de paix et de stabilité de la région.
Toutefois, il n’est pas certain que l’Iran n’aurait pas intérêt à quelques frappes ciblées sur Israël. L’humiliation du bombardement du consulat est réelle et mal ressentie : pour Téhéran, il est difficile de perdre la face. La situation intérieure iranienne pourrait rendre une guerre utile, si ce n’est nécessaire. Le régime des mollahs est de plus en plus contesté et fragilisé. La répression, violente et brutale, a certes permis de mater les oppositions et de garder la main, mais jusqu’à quand ? Avoir un ennemi extérieur et si possible un ennemi qui attaque est la meilleure façon de cimenter une nation divisée autour du patriotisme et d’empêcher toute contestation : impossible de se lever contre un gouvernement quand le pays est attaqué. En Iran, le pouvoir est entre les mains du Guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, 84 ans, qui gouverne avec le Conseil des gardiens de la Révolution, en s’appuyant sur le Corps des gardiens de la révolution islamique, les Pasdarans.
Un intérêt pour la guerre
Cette institution militaire est à la fois parallèle à l’armée et son double idéologisé. Composés de près de 200 000 hommes, dont des parachutistes et des troupes de marines, ce sont eux qui répriment les manifestations et qui contrôlent le territoire pour le maintenir dans le giron de la révolution. Bénéficiant des largesses du régime, ils n’ont aucun intérêt à le remettre en cause d’une part parce qu’ils adhèrent à son idéologie, dont ils sont les gardiens et les promoteurs, d’autre part parce qu’ils en vivent. Un échange de missiles avec Israël permettrait au gouvernement de renforcer le corps des Pasdarans tout en limitant le pouvoir de l’armée, moins idéologisée et moins fidèle au régime donc d’accroître sa main mise sur le pays, les institutions et les populations. Un calcul à court terme tant nul ne peut prévoir les conséquences d’une guerre ouverte Israël / Iran, ni sa fin. Mais avec une génération de révolutionnaires islamistes vieillissants et une population civile de plus en plus contestataire, le choix de la guerre, aussi dramatique puisse-t-il être, n’est pas complètement irrationnel aux yeux de Téhéran.
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