Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Brésil : des inondations qui fracturent le pays
par Jean-Baptiste Noé
Les violentes inondations qui frappent le sud du Brésil depuis la fin avril engendrent des dégâts humains et matériels sans précédent. Mais c’est aussi le pays qui se fracture face aux conséquences de ce drame.
La rencontre de masses d’air chaud venant d’Amazonie avec des masses d’air froid issues d’El Niño provoque des précipitations d’un niveau inégalé sur la région du Rio Grande do Sul. Des précipitations qui ont engendré des crues massives des fleuves et de leurs affluents, des ruptures de digues et donc des dégâts urbains et humains extrêmement lourds. Mi-mai, ce sont ainsi plus de 530 000 personnes qui ont dû évacuer leur maison, dont 81 000 ont été recueillies dans des foyers. 143 morts sont pour l’instant à recenser et 125 personnes portées disparues. La capitale de l’État, Porto Alegre (1,4 million d’habitants), est en grande partie sous les eaux, paralysant la vie économique de la région et limitant grandement les interventions des secours.
Au milieu des eaux
L’analyse géographique est essentielle pour comprendre les raisons de ce drame. Le Rio Grande do Sul est une région au milieu des eaux. Le fleuve Guaiba et ses bras se jettent dans une lagune au niveau de Porto Alegre, lagune qui débouche ensuite dans la lagune des canards, plus grande lagune d’Amérique du Sud qui s’étend sur 265 km de long, protégée de l’océan Atlantique par un vaste tombolo. L’eau douce s’écoule au sud, au niveau de la ville de Rio Grande par où transitent les navires de commerce qui vont mouiller jusqu’à Porto Alegre. Région de chaleur et d’eau, le Rio Grande do Sul est l’une des principales régions brésiliennes productrices de riz.
C’est aussi, grâce à ses vastes terres et à son port, une grande région agricole et industrielle, plaçant l’État en 5e position de la richesse économique créée au Brésil. C’est ce vaste système d’eau et d’écoulement qui ne fonctionne plus et qui explique en partie les inondations. Face aux précipitations massives, le fleuve Guaiba a charrié des troncs d’arbres et des objets qui ont obstrué le passage vers les lagunes puis vers l’océan. À des fleuves en crue s’ajoute une eau qui s’évacue mal à cause de ces obstructions. Sous la pression, nombreuses sont les digues à avoir cédé, amplifiant l’effet des crues et dévastant les faubourgs de Porto Alegre. Les marécages et les eaux ont repris le dessus.
Au milieu des fractures
Si la situation pluviale est exceptionnelle, la catastrophe humanitaire aurait pu être limitée. Certes les pluies sont tombées en abondance, mais les infrastructures bâties pour contrôler les fleuves et aménager le territoire souffrent d’un manque d’entretien. Fleuves non dragués, canaux bouchés, digues mal entretenues expliquent l’ampleur de la catastrophe. Le Brésil est confronté à lui-même et découvre le sous-entretien d’une grande partie de ses infrastructures et le fait que rien n’est jamais acquis en matière d’aménagement du territoire et de géographie humaine. D’où la colère qui monte contre un pouvoir central accusé d’avoir abandonné la région, accusations d’autant plus faciles que le Rio Grande do Sul a massivement voté pour Jair Bolsonaro et cultive une aversion pour Lula. Les inondations ravivent un clivage politique jamais comblé et rappellent à quel point le Brésil est fracturé.
D’autant que le Rio Grande do Sul est un État essentiellement peuplé de descendants d’Européens arrivés au XIXe siècle, notamment des Allemands et des Italiens, un "Brésil de blancs" qui s’opposent au Brésil de métis, celui du nord, région d’origine de Lula.
Au milieu des drames
Il n’en fallait pas moins pour réveiller les fractures et les troubles du Brésil, mais aussi pour s’inquiéter sur le futur du pays. L’économie de l’État du Rio Grande do Sul est à l’arrêt, l’aéroport international de Porto Alegre est totalement inutilisable, les plus optimistes estiment qu’il faudra des mois pour le remettre en état de marche, les usines sont inondées, les machines sont sous la boue, les maisons imbibées d’eau, les ports à l’arrêt. Outre le coût colossal de la reconstruction, c’est l’un des cœurs économiques du Brésil qui est touché, ce qui entraînera nécessairement des répercussions sur l’ensemble du pays.
Étant frontalière de l’Uruguay et de l’Argentine, la région était le pont indispensable du Brésil vers le Cône sud, un pont désormais sous les eaux, isolant le Brésil de ses voisins. Beaucoup, sur place, comparent cette catastrophe à l’ouragan qui a touché La Nouvelle-Orléans (2005). Il avait fallu deux ans pour réparer les grandes infrastructures et dix ans pour que l’État retrouve son niveau d’avant crise. Un Brésil englué dans les affaires de corruption, l’endettement et la pauvreté ne peut pas se permettre de perdre le poids économique de l’un de ses États les plus dynamiques et les plus ouverts au marché mondial. À inondations locales, drame national.
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