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Yves de Kerdrel
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Stress énergétique maximum
par Yves de Kerdrel
Au cours de la semaine passée, les alertes se sont multipliées sur les difficultés que pourrait rencontrer la France cet hiver, tant en matière de gaz que d’électricité. D’où les évocations de « rationnement » par Élisabeth Borne et Bruno Le Maire. Si l’énergie coûte forcément beaucoup plus cher, les acteurs économiques ne devraient pas en manquer, grâce à un dispositif bien adapté.
Il y a dix jours, le Chef de l’État a souligné que nous devions nous adapter à "la fin de l’abondance". En ajoutant à ses propos quelques commentaires sur la situation internationale et en parlant aussi de la "fin de l’insouciance" il a placé d’emblée cette rentrée sous le signe de la gravité. Et de fait, il n’avait pas complètement tort, puisque quelques jours plus tard, Engie (qui inclut l’ex-Gaz de France) annonçait que la Russie avait arrêté ses livraisons de gaz à notre pays.
En réunissant vendredi matin un conseil de défense sanitaire, dont le compte rendu a été fait par Agnès Pannier-Runacher, le Président de la République a voulu montrer qu’en face des défis nouveaux qui nous étaient imposés, les pouvoirs publics s’étaient mis en ordre de bataille. Et plus encore que les services de l’état, les grands groupes comme EDF, Engie, TotalEnergies… Si bien que le tableau général est beaucoup moins apocalyptique que pouvaient laisser imaginer les déclarations d’Emmanuel Macron.
Fortes inquiétudes sur l’énergie, mais pas de panique
Bien sûr, nous avons réussi à engranger 92 % de nos stocks stratégiques de gaz dans des lieux souterrains répartis dans toute la France. Et cela avec deux mois d’avance. Bien sûr ce dispositif tiendra si les Français font preuve de sobriété, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises. Bien sûr, la régulation par les prix va faire mécaniquement chuter la consommation pour des entreprises dont la facture énergétique devient trop élevée.
Mais tous les patrons qui assistaient à la Rencontre des Entrepreneurs de France lundi et mardi dernier à Longchamp et qui ont entendu la Première Ministre, comme Bruno Le Maire, parler d’un éventuel "rationnement" ne se sont pas inquiétés outre mesure. Il est vrai que le secteur privé – toujours en avance sur le secteur public – a anticipé la crise énergétique. Dans chaque grand groupe des "task-force" ont été mises en place pour résoudre les questions d’approvisionnement d’énergie. Par ailleurs, la France n’est plus un grand pays industriel comme l’Allemagne, et l’intensité énergétique de la nation n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était en 1974.
Les réacteurs nucléaires seront bien en ordre de marche
Un point a focalisé l’attention de tous : c’est la disponibilité du parc nucléaire. Il en a été question vendredi lors du conseil de défense sanitaire. Comme le révèle demain La Lettre de L’Expansion, sur les 56 réacteurs existant, 15 d’entre eux, actuellement à l’arrêt, devraient être remis en service d’ici le 1er novembre. Si bien qu’à Noël, seuls cinq réacteurs seront encore en maintenance ou bien en contrôle des problèmes de corrosion.
L’accord passé au cours de l’été entre l’Agence de sûreté Nucléaire et EDF, grâce aux négociations menées par Cédric Lewandowski, le patron du nucléaire chez EDF, a permis de remettre en marche des centrales arrêtées pour des questions de corrosion, même avant que des travaux soient menés pour résoudre ce phénomène exceptionnel découvert il y a deux ans sur certains circuits de fluides. Sans cet accord, la situation aurait été critique pour l’électricien. Mais aujourd’hui tout est en place pour que le pays profite de sa "rente nucléaire".
Grand plaidoyer pour la politique de l’offre à la REF
L’ambiance n’était donc pas au pessimisme lors de la REF 2022. D’abord parce que les patrons présents sont plutôt satisfaits de la conjoncture économique qui devrait se traduire par une croissance de 2,5 % pour 2022. La consommation a été soutenue pendant l’été en dépit de la question du pouvoir d’achat. Par ailleurs les différents boucliers tarifaires ont limité à 5,8 % l’inflation en France alors qu’elle dépasse les 9 % dans la zone Euro.
Si les patrons étaient également satisfaits, c’est parce qu’ils ont eu droit à un vrai plaidoyer de Bruno Le Maire en faveur de "la politique de l’offre". Le locataire de Bercy semblait avoir découvert que les recettes fiscales augmentent lorsque l’on baisse les impôts – ce que l’école de Chicago a démontré il y a cinquante ans – et a bien répété qu’il continuerait avec, dès 2023, la suppression de la CVAE (relique de l’ancienne taxe professionnelle).
Laurent Berger appelle les patrons à prendre leur responsabilité
La seule ombre au tableau a été apportée dès la clôture de la REF par l’interview que Laurent Berger a accordée au Journal Le Monde. Cela faisait quelque temps que le leader de la CFDT n’avait pas parlé. On le sait peu optimiste sur la situation économique, sociale et politique. Il a donc profité de cet entretien pour marquer son opposition à la réforme de l’assurance-chômage, dont le projet de loi doit être présenté ce mercredi en conseil des ministres et autour du 7 octobre au Parlement.
Concernant la question du pouvoir d’achat il a appelé le patronat à prendre sa part de responsabilité en expliquant qu’il y a "du grain dans le moulin" par référence au fameux "grain à moudre" d’André Bergeron. Il serait en effet logique que les patrons qui aiment tant parler de "la valeur travail" et de leurs difficultés – bien réelles – à recruter prennent conscience qu’il y a en France trop de "working poors" et que les profits satisfaisants qui sont dégagés actuellement doivent servir tant à mieux rémunérer les compétences qu’à préparer l’avenir par l’innovation. Ou bien le patronat français est finalement très keynésien et se satisfait de voir la question du pouvoir d’achat résolue par l’État, non pas par de la redistribution, mais par des chèques, des primes ou des allocations payées avec de l’argent emprunté ; ce qui accentue un peu plus le déséquilibre des finances publiques.
Un "net ralentissement" en 2023
Mercredi prochain, l’Insee va livrer un nouveau point de conjoncture qui sera intéressant à décrypter en cette rentrée, et juste avant que l’on connaisse les prévisions macroéconomiques du Projet de loi de Finances. À l’occasion du Forum économique breton, le Gouverneur de la Banque de France a accordé une longue interview à Ouest-France, dans laquelle il explique que "nous avons eu une bonne surprise sur l’activité au deuxième trimestre puisque la croissance française a été de 0,5 % alors qu’on attendait moins de la moitié. Pour ensuite la période estivale, l’activité est porteuse dans le secteur des services grâce notamment au tourisme."
S’agissant du troisième trimestre François Villeroy de Galhau attend un chiffre positif. "La Banque de France a fait en juin une prévision de croissance de 2,3 % pour l’ensemble de l’année 2022. Aujourd’hui, nous estimons que ce sera au moins ce chiffre. Les Français ont toujours envie de consommer, les entreprises ont toujours envie d’investir : la demande semble résister, mais il faut prendre au sérieux les problèmes d’offre." En revanche s’agissant de 2023 il fait preuve d’une prudence bien légitime : "rien ne peut être exclu dans la période de grandes incertitudes que nous vivons, mais nous nous attendons pour la France à un net ralentissement plutôt qu’à une récession."
Le dossier TF1-M6 demain et mardi devant les sages de la concurrence
C’est demain que l’Autorité de la Concurrence va commencer ses auditions devant les douze membres du Collège. C’est le groupe Bouygues qui devrait ouvrir le bal des auditions, suivi par l’Union des marques, France Télévisions, Canal +, NRJ group, Iliad (Xavier Niel), Médiamétrie, M6 et RTL Group puis TF1. On connait déjà en grande partie les adversaires de ce projet, notamment l’Union des marques qui craint une hausse des tarifs publicitaires, Xavier Niel à cause des perturbations sur le marché des droits audiovisuels. En revanche Delphine Ernotte fera preuve d’une certaine neutralité, même si la question des droits sportifs la taraude.
Du côté de TF1 et M6, il va être question de défendre le bien-fondé du projet et surtout les mesures proposées pour répondre aux problèmes pointés du doigt par les services de l’instruction de l’Autorité de la Concurrence. En revanche pas question d’obtempérer à la proposition faite par cette autorité administrative de céder la chaîne M6. C’est un sujet tabou pour TF1 et le groupe Bouygues. Et même si cette solution était retenue, elle poserait beaucoup de problèmes. Puisqu’il faudrait que des enchères aient lieu avant le renouvellement des fréquences des chaînes hertziennes prévu au début du printemps. En effet une disposition interdit toute cession pendant une période de cinq années suivant l’attribution des fréquences.
Une nécessaire réforme du marché européen de l’électricité
Enfin vendredi prochain, le 9 septembre, les ministres de l’énergie de l’Union européenne devraient commencer à discuter d’une réforme du marché européen de l’électricité. Une réforme vivement souhaitée par Ursula von der Leyen qui estime – à juste titre – que la flambée des prix de l'électricité montre clairement les limites du fonctionnement du marché. Actuellement le marché de gros de l'électricité se base sur le mécanisme suivant : c'est le prix de revient de la dernière source de production mobilisée pour équilibrer l'offre et la demande d'électricité - généralement les centrales au gaz - qui détermine le prix imposé à tous les opérateurs. C'est pour cela que le prix de l'électricité est corrélé au prix du gaz.
La France réclame depuis un an une réforme de ce système jugé "obsolète" qui empêche les consommateurs français de bénéficier pleinement des bas coûts offerts par le nucléaire. Plusieurs pistes sont aujourd'hui évoquées pour cette réforme. Certains prônent la solution d’une déconnexion forcée du prix de l'électricité de celui du gaz. D’autres proposent un plafonnement des cours du gaz destiné à produire de l'électricité. Une chose est sûre, il faudra des mois de discussion avant d’arriver à un nécessaire consensus pour sortir de ce système désuet et pervers.
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