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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Au travail !
par Yves de Kerdrel

En dépit d’une situation politique et sociale compliquée par les barrages d’agriculteurs, Gabriel Attal a réussi son examen de passage à l’Assemblée nationale et au Sénat. Sa déclaration de politique générale - la plus libérale que l’on a pu entendre depuis au moins trente ans – est pleine de promesses… qu’il va maintenant falloir tenir. Comme toutes celles faites aux agriculteurs pour qu’ils retournent dans leurs fermes.

04/02/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

Gabriel Attal n’est pas installé à l’Hôtel de Matignon depuis un mois. Mais l’on commence déjà à avoir un aperçu de sa méthode. Pour ceux qui ont écouté sa déclaration de politique générale mardi dernier, malgré le brouhaha stupide de certains députés, il a scandé à deux reprises sa manière d’agir : "affronter pour avancer". C’est exactement ce qu’il a fait avec les agriculteurs en allant trois fois à leur contact. Il y a dix jours en Occitanie, puis sur le fameux barrage de l’A 64. En retournant dimanche dernier dans une ferme d’Indre et Loire et sans son ministre de l’Agriculture. Enfin en recevant à nouveau les organisations d’agriculteurs cette semaine à Matignon.

L’avantage d’être Premier Ministre à 34 ans, et de ne pas s’être battu pour avoir ce poste, c’est d’être totalement dépourvu d’amour-propre. Si bien que Gabriel Attal a pris acte il y a une semaine que les dix premières mesures annoncées n’étaient pas suffisantes. Il a donc corrigé sa copie et rajouté 400 millions d’euros sur la table, avant de faire de nouvelles annonces, parmi lesquelles une pause très remarquée de certaines contraintes dictées par les écologistes. Si bien qu’avant même qu’Emmanuel Macron prenne la parole depuis Bruxelles, la FNSEA et même la Coordination rurale – très proche du Rassemblement National – annonçaient leur intention de lever les barrages. Cette jacquerie qui aurait pu durer plusieurs semaines – du moins jusqu’au salon de l’agriculture – a ainsi pris fin moins de deux semaines après avoir commencé.

 

Le fond et la forme

 

En dépit du temps qu’il a consacré à régler cette crise, Gabriel Attal a offert à la représentation nationale une déclaration de politique générale de qualité. Il n’y avait pas le souffle littéraire que certains attendent ou la référence personnelle qui fait mouche. Non simplement la description d’une France qui se paupérise par la "smicardisation", qui n’avance plus à cause de sa bureaucratie, et qui n’offre plus de perspectives en raison de tous les verrous qui cadenassent l’esprit d’entreprise et la volonté d’innover. En creux, il s’agissait d’un constat assez sévère de ce qui n’a pas été fait par ses trois prédécesseurs à Matignon depuis 2017. Mais l’Élysée qui a soigneusement relu le texte avant qu’il soit prononcé, n’a rien censuré de ce qui a été notamment suggéré par Emmanuel Moulin.

L’ancien directeur du trésor a fixé les grandes lignes "libérales" de ce discours notamment sur le travail, sur les trappes à pauvreté (installées par les exonérations de charges sur les bas salaires dues à des gouvernements de droite) ou sur la nécessaire simplification administrative. Quant à la forme, elle a été travaillée par Raphaël Charpentier, plume du Premier ministre qui a travaillé avec lui il y a quelques années, au Porte-parolat du gouvernement. Âgé de 31 ans, diplômé d’HEC et de Sciences Po il a d’abord intégré le cabinet de Florence Parly en 2017. Autres intervenants dans cet exercice collectif : le conseiller en communication Louis Jublin, 38 ans et la directrice de cabinet adjointe de Gabriel Attal – sa vraie spin doctor - Fanny Anor, 34 ans, formée à l’Institut Montaigne.

 

Une droite de plus en plus illibérale

 

Si Gabriel Attal a opté pour le schéma d’une lecture suivie d’un débat sans vote, il n’échappe pas à une motion de censure déposée par la Nupes et qui devrait être débattue demain matin. Au moment où nous écrivons cette chronique dominicale, Éric Ciotti s’interroge toujours sur l’opportunité de déposer sa propre motion de censure. Mais, pour l’heure, il n’arrive pas à trouver au sein du groupe LR, les 58 signataires dont il a besoin. Le seul fait que le leader des Républicains cherche à faire échec à une politique ostensiblement libérale montre bien que la droite a perdu tous ses repères. Ce qui augure mal de son score lors des prochaines élections européennes.

Tout cela au moment même où pour la première fois, dans sa vie politique, Marine Le Pen se place en tête des personnalités politiques les plus populaires auprès des Français selon un sondage réalisé par le Figaro Magazine. Elle détrône ainsi Edouard Philippe relégué à la deuxième place, suivi par Jordan Bardella, Marion Maréchal et Bruno Le Maire. À noter que là où la leader d’extrême-droite progresse le plus c’est parmi les Français qui votent à gauche ou à l’extrême-gauche. Selon le baromètre Elabe pour Les Échos, le socle de confiance d’Emmanuel Macron continue de s’éroder pour ne plus rassembler que 25 % de nos compatriotes. Pour sa première mesure en tant que Premier ministre, Gabriel Attal obtient la confiance de 32 % des Français. Cette situation où Emmanuel Macron est moins populaire que son premier ministre n’est arrivée que 3 fois depuis 2017, uniquement avec Édouard Philippe.

 

Le cas Oudéa-Castéra

 

On attend toujours la suite de la formation du gouvernement avec la nomination de ministres délégués et de secrétaires d’État. Selon certaines sources, Emmanuel Macron voulait attendre le verdict qui sera réservé demain par le tribunal correctionnel de Paris à François Bayrou et à ses dix coaccusés. Lors de ses réquisitions le 14 novembre, le parquet a requis trente mois de prison avec sursis, une amende de 70 000 euros et trois ans d’inéligibilité avec sursis à l’encontre de François Bayrou. D’aucuns évoquent même le fait que s’il était blanchi, le patron du Modem pourrait remplacer Amélie Oudéa-Castéra à l’Éducation Nationale. Un ministère qu’il a occupé pendant quatre ans, de mars 1993 à juin 1997, et où il a laissé un bon souvenir aux syndicats d’enseignants en ne touchant à rien…

La situation d’Amélie Oudéa-Castéra devient difficile à tenir. Gabriel Attal a fait part à l’Élysée de son souhait de la voir débarquée, car elle constitue désormais un "boulet" pour son gouvernement. Emmanuel Macron lui a envoyé plusieurs marques de soutien. Non pas en raison du fait qu’ils ont fait partie de la même promotion de l’ENA où ils n’avaient pas une grande proximité. Mais – et c’est tout à son honneur – parce qu’il déteste les chasses à l’homme (ou à la femme). La manière dont Mediapart, Libération ou Blast s’acharnent sur elle relève désormais davantage d’un mépris de classe à l’égard de l’épouse d’un patron du CAC 40, dont les enfants sont scolarisés à Stanislas et qui a eu un parcours professionnel brillant. Ne serait-ce que pour cela, le Chef de l’État a raison de tenir bon.

 

Rupture anthropologique

 

S’agissant du Premier ministre, il reste à savoir maintenant comment il va passer de la parole aux actes. Notamment sur ces sujets forts que sont la réforme de l’assurance-chômage, la crise du logement (remarquablement explicitée par le dernier rapport de la fondation abbé Pierre), et la "désmicardisation". Février devait être, selon les vœux du Président de la République, un mois marqué par le projet de loi sur le grand âge et la fin de vie.

Gabriel Attal a eu le mérite de remettre l’église au milieu du village en pointant du doigt le fait qu’une grande partie de nos problèmes (ruralité, classes moyennes, banlieues) vient de ce que trop de Français ne parviennent plus à vivre des fruits de leur travail. Ce qui constitue une rupture anthropologique profonde dans un pays de tradition judéo-chrétienne où l’on apprend à chaque enfant depuis des siècles qu’il faut "travailler pour vivre". Au moment où les entreprises françaises publient des bénéfices records, il faut souhaiter que leurs dirigeants prennent – enfin ! - la mesure du nécessaire partage de la valeur et de la nécessité d’éviter des excès en matière de distribution de dividendes et d’annonces de rachats d’actions.

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