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Yves de Kerdrel
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Attal marque son territoire
par Yves de Kerdrel
Le couple exécutif a finalisé la composition du gouvernement près d’un mois après la démission du précédent. Les grands équilibres y sont respectés et, en dehors de l’arrivée de Nicole Belloubet, il n’y a aucun mouvement important. Il reste maintenant à Gabriel Attal à donner un cap clair à ses ministres de manière à espérer obtenir des résultats en matière de travail, d’autorité, de mérite et de logement. Autant de sujets chers aux classes moyennes.
Âgé de 72 ans et entré en politique en 1980 – il y a donc 44 ans – comme secrétaire général du CDS, formation dirigée par Jean Lecanuet, François Bayrou a eu sa semaine de gloire et d’éclat. Relaxé lundi dernier au profit d’un jugement pourtant sévère pour son mouvement politique le Modem, et ses agissements, il s’est précipité à l’Élysée pour exiger un poste très en vue dans le gouvernement. Parmi ses différentes conditions figurait notamment le fait d’être Ministre d’État.
À ces demandes il s’est vu opposer un refus de la part du Président de la République qui était prêt à le laisser aller à l’Éducation Nationale, en dépit des réticences de Gabriel Attal. Mais face au peu d’enthousiasme de François Bayrou à succéder à Amélie Oudéa-Castéra et à être sous la surveillance du Premier Ministre il a demandé un autre portefeuille. À la suite d’un déjeuner mardi entre Gabriel Attal et Emmanuel Macron deux offres lui ont été faites : le ministère des Armées ou bien le Quai d’Orsay avec une rétrogradation de Stéphane Séjourné au seul périmètre des affaires européennes. Mais le maire de Pau a vite compris que ces deux ministères régaliens étaient en fait directement sous la coupe du Chef de l’État. D’où son coup d’éclat de mercredi dernier annonçant qu’il jetait l’éponge.
La comédie de François Bayrou
Dans la mesure où le Modem reste dans la majorité présidentielle, cette situation est encore la meilleure pour le couple exécutif qui craignait d’avoir un François Bayrou omniprésent s’il était à l’intérieur du gouvernement. Par ailleurs s’il a pu savourer sa relaxe quelques jours, dès jeudi, le parquet a fait appel de sa décision de justice. Ce qui remet devant lui une nouvelle échéance judiciaire.
Il reste que la majorité présidentielle (qui n’a pas la majorité) compte deux partis amis dont les dirigeants respectifs sont désormais clairement émancipés. Édouard Philippe, à la tête d’Horizons, ne perd pas une occasion de dire tout le mal qu’il pense de la manière dont le pays est gouverné. Quant à François Bayrou, on sait maintenant clairement ce qu’il pense du cap fixé par Emmanuel Macron, de la droitisation du gouvernement et du fossé – réel – qui s’accroît de jour en jour entre la France d’en-haut parisienne et la France d’en-bas rurale.
Le logement enfin érigé en priorité nationale
Toute la question est maintenant de savoir comment Gabriel Attal va mettre au travail le gouvernement qu’il a réuni hier en séminaire. Jeudi soir, sur France 2, il a répété que ses priorités s’appelaient le plein-emploi, la désmicardisation, le choc des savoirs et la crise du logement, comme il y a dix jours lors de sa déclaration de politique générale. Et toujours avec des accents libéraux agréables à entendre. Ainsi a-t-on pu l’entendre marteler que "la meilleure politique sociale, celle qui sort vraiment de la pauvreté, c’est le travail". Comme disait Talleyrand, cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant.
Pour atteindre le plein-emploi d’ici à la fin du quinquennat, le chef du gouvernement a donc encore une fois plaidé pour un meilleur accompagnement des bénéficiaires de revenu de solidarité active, qui devront effectuer 15 heures d’activité par semaine. Le dispositif, testé dans 18 territoires, va ainsi être généralisé à tous les départements. Gabriel Attal a aussi montré qu’en dépit du changement de locataire, rue de Grenelle, il gardait l’éducation nationale comme priorité nationale et personnelle et a qualifié l’école "d’assurance-vie de notre République".
C’est un libéral affirmé, Guillaume Kasbarian qui hérite du portefeuille du Logement. Un domaine où il n’est connu que pour avoir fait voter en juin 2023 une loi antisquatteur. Les professionnels du secteur attendent donc de juger sur pièces le programme d’action du nouveau ministre. Pour mémoire, le nombre de permis de construire délivrés l’an passé a chuté de 24 % à 373.100, alors que selon plusieurs fédérations professionnelles, il faudrait autour de 500.000 nouveaux logements par an pour résorber les besoins.
Des profits records et des dividendes en hausse
Au chapitre économique, l’actualité hexagonale a été marquée, comme chaque année à cette période, par les publications de résultats des grands groupes cotés. Après le résultat record de LVMH, Total a fait état d’un bénéfice inégalé qui n’a pas donné lieu à trop de critiques de la part des politiques. Au sein du secteur bancaire où les résultats sont tous assez élevés (à l’exception de BPCE) on a pu remarquer les très bons chiffres du Crédit Mutuel et ceux du Crédit Agricole. Au total les cinq principaux acteurs bancaires affichent un bénéfice cumulé de près de 29 milliards d’euros en progrès de 8 % par rapport à l’an passé.
À nouveau on assiste à l’annonce, parmi les entreprises cotées, de dividendes en nette hausse. C’est le cas chez LVMH, L’Oréal, Total ou Hermès - qui va même distribuer un dividende exceptionnel. Au risque de relancer le débat sur le partage de la valeur. Il est vrai qu’à la différence des marchés américains, tirés à la hausse par les valeurs technologiques, les marchés européens intègrent plus difficilement les performances opérationnelles de leurs groupes. Ce qui les oblige à rémunérer toujours mieux les actionnaires afin de conserver des investisseurs d’outre-Atlantique et ne pas faire l’objet d’arbitrages. C’est aussi ce qui justifie l’annonce de nouveaux programmes de rachats d’actions qui constituent pourtant le degré zéro du capitalisme.
Comment éviter une dérive du déficit public
Selon l’Insee le Produit intérieur brut du Pays devrait progresser en volume de 0,2 % durant chacun des deux premiers trimestres de 2024 (par rapport aux trois mois précédents). Comme on pouvait s’y attendre, cela rend difficilement atteignable l’objectif gouvernemental de 1,4 % de croissance en moyenne annuelle. Jean-Luc Tavernier, le patron de l’Insee, et même Bercy, commencent à avouer qu’il sera impossible d’atteindre le taux de croissance qui a servi d’Alpha et d’Omega à la construction de la loi de finances pour 2024. Même si la hausse du pouvoir d’achat liée à la baisse de l’inflation relance légèrement la consommation.
Tout cela amène à la conclusion que le déficit public sera bien plus élevé que le ratio de 4,4 % par rapport au Produit intérieur brut inscrit dans la loi de finances et dans la trajectoire pluriannuelle. La priorité à Bercy consiste donc à trouver des économies supplémentaires pour faire en sorte que la France respecte – pour une fois – ses engagements. D’où le fameux chiffre de 12 milliards d’euros lancé par Bruno Le Maire lors de ses vœux. Le locataire de Bercy doit reprendre la parole très prochainement. Peut-être saura-t-on alors si une loi de finances rectificative prendra place dans l’agenda parlementaire d’ici l’été ? Si c’est un sujet qui passionne peu de français, il est en revanche scruté de près par Standard & Poor’s qui menace de dégrader notre note au début du mois de juin… à une semaine des élections européennes.
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