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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Confusion générale
par Yves de Kerdrel

Le Président de la République persévère dans sa volonté de créer une escalade militaire avec la Russie. Peut-être parce qu’il est convaincu qu’après l’Ukraine, viendra le tour des pays baltes, membres de l’OTAN ? Peut-être aussi en raison de sujets de politiques intérieures ? Au risque de créer des confusions historiques, intellectuelles ou militaires qui ne peuvent qu’entretenir un climat d’inquiétude.

17/03/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

Que les lecteurs de cette chronique dominicale veuillent bien m’excuser. Mais je vais d’abord leur livrer quelques états d’âme personnels. Après avoir reçu de nombreux messages, à la suite des deux précédents éditoriaux, me qualifiant de "Munichois" ou m’invitant à ouvrir les yeux sur les visées expansionnistes de Vladimir Poutine, je m’étais juré de parler aujourd’hui d’autre chose que de l’Ukraine.

Je pourrais parler de cette délicieuse "École des Robinsons" de Jules Verne qui vient d’être publiée dans La Pléiade, des lectures de Victor Hugo par Fabrice Luchini au Théâtre des Mathurins ou de ce dernier album du génial Lang Lang avec l’Orchestre de Leipzig interprétant le deuxième Concerto de Saint-Saëns.

Cela serait infiniment plus distrayant et plus reposant pour vous comme pour l’auteur de ces lignes. Mais un minimum de conscience professionnelle m’incite juste à poser quelques questions susceptibles de tarauder l’esprit de tout honnête homme. En laissant mes valeureux lecteurs y répondre par eux-mêmes avec leur discernement, leur science et leur culture.

 

Dix questions sans passion

 

1°) Sommes nous vraiment comme en cette sombre année 1938 qui vit se produire l’Anschluss, c’est-à-dire l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie après que le 12 mars 1938 à 5 h 30 du matin, les troupes de la Wehrmacht aient franchi la frontière austro-allemande ?

2°) Peut-on faire un parallèle entre cette triste période où nos dirigeants de l’époque n’avaient pas jugé bon de faire construire les chars réclamés par celui qui était alors le colonel de Gaulle et notre époque où le pilier des forces armées s’appelle la dissuasion nucléaire sur laquelle veillent en permanence une poignée de sous-mariniers immergés dans des mers que même le Chef de l’État ignore ?

3°) Est-il judicieux lorsque l’on est une tête de liste sympathique, mais inconnue du français lambda comme Valérie Hayer, de lancer sa campagne pour les élections européennes en comparant Jordan Bardella à Édouard Daladier inventeur de la formule sur les "deux cents familles" et signataire à contrecœur des Accords de Munich ?

4°) Est-il juste d’affirmer comme l’a fait sur un ton grave le Président de la République que nous avons tout fait pour tenter de maintenir la paix alors que ni Berlin, ni Paris ni Kiev n’ont cherché à ce que les treize points des accords de Minsk II soient respectés ?

5°) Est-il opportun, de la part de Jordan Bardella et de Marine Le Pen, de donner des leçons d’histoire et de géopolitique à Emmanuel Macron lorsque l’on sait avec quelle ardeur le mouvement politique qu’ils incarnent a cherché à tisser des liens – pas seulement financiers – avec Vladimir Poutine et son entourage ?

6°) Est-il possible de dire qu’il est déraisonnable de parler d’envoi de troupes françaises en Ukraine quand tous nos alliés européens refusent d’envisager une telle éventualité ?

7°) Faut-il reprendre un milliard d’euros au budget de nos forces armées la même semaine où l’on n’exclut pas de les solliciter pour aller se battre sur le front de l’Est ?

8°) Est-il légitime de se demander si en agissant comme il le fait, Emmanuel Macron, qui avait parlé à juste titre de la mort cérébrale de l’OTAN, ne fait pas de la France, de facto, le réassureur en dernier ressort de toute l’Europe ? Surtout au moment où la perspective de l’élection de Donald Trump entraînerait un repli du parapluie américain ?

9°) Sait-on ce que pensent nos meilleurs experts militaires de l’envoi de troupes au sol en Ukraine, alors qu’aucune planification n’a été menée en ce sens parce que la fragilité et le faible nombre de nos chars Leclerc ne permettrait pas de stopper les Russes au cas où ils enfonceraient l’actuelle ligne de front ?

10°) Peut-on enfin rappeler que la guerre, à l’instar de la révolution, n’a rien d’un dîner de gala. Et que depuis le 8 mai 1945, aucune expédition militaire menée par la France n’a eu de suites positives. C’est vrai des guerres d’Indochine et d’Algérie. C’est vrai des expéditions de Suez ou de Libye. C’est encore plus vrai de Barkhane qui a entraîné notre perte d’influence dans toute l’Afrique subsaharienne ?

 

Les raisonnements binaires

 

Un grand auteur dont j’ai oublié le nom a écrit que la crainte de la guerre est pire que la guerre elle-même. C’est bien pour cela que les questions de défense ne doivent pas être rendues publiques. Outre le fait que la meilleure des ambiguïtés stratégiques consiste à laisser notre ennemi dans la plus totale incertitude. Certains me disent que si l’on veut la paix, il faut préparer la guerre. Peut-être cet adage cher aux romains à l’époque du passage des Alpes avec des convois d’Éléphant avait-il un sens ? Peut-être aussi qu’entre la Russie – puissance nucléaire – et la France – seule puissance nucléaire de l’Union Européenne – le meilleur discours n’est pas forcément le plus sonore et le plus velléitaire ? C’est en tout cas ce que pensent les principaux chefs militaires que nous avons interrogés.

Bien sûr Vladimir Poutine est un dictateur insupportable et criminel. Bien sûr il a bafoué les règles internationales en agressant l’Ukraine. Bien sûr il déstabilise, de fait, tous les pays d’Europe centrale qui cherchent à Berlin, à Paris ou à Washington de quoi les rassurer. On me dit qu’après l’Ukraine il visera les pays baltes, membres de l’OTAN, où nous disposons déjà de six avions de chasse qui attendent l’ennemi invisible depuis sept ou huit ans, sans jamais le voir comme dans le Désert des Tartares. Tout cela autorise en effet Emmanuel Macron à déclarer que "nous n’aurons plus de sécurité" si Vladimir Poutine gagne cette guerre. Nous n’en aurons pas davantage s’il la perd puisqu’on ne pourra pas le déloger du Donbass et d’autres territoires qu’il a gagnés et qui sont russophiles. C’est dire s’il faut se garder de tout raisonnement binaire et de toute invective à l’égard de ces deux tiers de Français qui n’adhèrent pas aux propos va-t’en guerre du Chef de l’État.

 

Le nerf de la paix

 

En conclusion il faut se méfier de toute similitude avec des modèles historiques. Nous savons tous que comparaison n’est pas raison. Et Karl Marx nous a appris que "l’histoire ne repasse jamais deux fois les mêmes plats. La première fois, c’est une tragédie. La seconde fois c’est une comédie." En revanche nous ne pouvons qu’applaudir au fait qu’Emmanuel Macron ait convoqué Winston Churchill lors de son interview de jeudi soir en parlant "du nerf de la paix". Cette expression, l’ancien premier ministre britannique l’avait utilisée le 5 mars 1946 dans son discours de Fulton aux États-Unis, en mettant un terme à l’euphorie qui avait un moment soudé les trois acteurs de Yalta après la victoire sur le nazisme.

Churchill, s’exprimant sur le sol américain, et parlant pour la première fois du "rideau de fer" avait souhaité, par cette expression, inviter l’Occident à rester uni et ferme face à un régime autocratique et totalitaire, donc dangereux pour l’ordre et la stabilité du monde. Depuis ce discours, "le nerf de la paix" est utilisé pour justifier une position ferme destinée à impressionner tout adversaire potentiel, et ne partageant pas notre corpus de valeurs. Il n’empêcha pas pour autant les chars soviétiques d’entrer à Budapest en 1956 puis de mater le printemps de Prague en 1968, sans que personne ne bouge le petit doigt. Fort de ces leçons il ne nous reste plus à souhaiter que l’Europe devienne autre chose que ce "barnum" technocratique que l’Allemagne et la France, tirent dans deux sens opposés. Et à espérer que les élections européennes soient pour chacun de nous l’occasion de se demander quelle Europe nous voulons. Notamment pour résoudre une crise comme celle-là. Un travail que n’a hélas mené aucune liste, aucun candidat ni aucun parti politique.

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