Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
La Géorgie, entre l’Europe et la Russie
par Jean-Baptiste Noé
Mardi 28 mai, le parlement géorgien a adopté la loi sur la lutte contre les ingérences étrangères. Une adoption qui ne met pas un terme aux manifestations massives qui secoue la capitale et la société géorgienne.
La Géorgie offre l’image d’un pays déchiré entre des mouvements contradictoires, pro-russes d’un côté, pro-européens de l’autre. Depuis deux mois, Tbilissi connaît des manifestations massives d’une partie de la population qui s’oppose à l’adoption d’une loi sur les ingérences étrangères, estimant que cette loi renforcera le contrôle de la Russie.
Le texte a été proposé par le parti au pouvoir Rêve géorgien. Celui-ci vise à établir la transparence sur les ingérences étrangères, notamment dans les soutiens financiers venus de l’étranger vers des associations et des médias géorgiens. Ce qui pose un problème aux opposants de cette loi, ce n’est pas tant le contenu du texte que son interprétation. En France, le Parlement discute aussi de la possibilité de contrôler les financements étrangers de certaines associations musulmanes afin de limiter les flux d’argent venant de pays du Golfe qui pourraient servir à financer des mouvements islamistes. De telles lois peuvent donc exister au sein des démocraties. Mais en Géorgie, cette loi ne vise pas tant à protéger le pays d’ingérences étrangères néfastes qu’à assurer un contrôle plus grand de Moscou. En effet, sous couvert de lutter contre les ingérences étrangères, ce sont les mouvements en faveur de l’Union européenne et de l’Occident qui sont visés. Il s’agit de tarir leurs financements afin de les affaiblir. Ce qui n’est pas sans rappeler le même principe de loi que Pékin avait fait adopter à Hong Kong afin de couper les mouvements de contestation de leurs soutiens occidentaux.
Voilà pourquoi des manifestations importantes se tiennent depuis deux mois dans la capitale Tbilissi. La présidente de la République de Géorgie a mis son veto contre cette loi, mais les députés ont pu le lever et adopter le texte. Ce qui a renforcé les actions menées par les opposants à la loi et aggraver la fracturation politique et sociale du pays.
Une société fracturée
Cette loi est symptomatique de la fracture de la société géorgienne, partagée entre des mouvements pro-russes et d’autres qui sont pro-Occident et pro-UE. Ce qui rappelle d’ailleurs la situation en Ukraine avant l’invasion de la Russie. Une part importante de la population aimerait entrer dans l’UE et l’OTAN, à la fois pour bénéficier de financements et aussi pour se protéger d’une attaque de la Russie. L’article 78 de la constitution géorgienne stipule d’ailleurs que "[les institutions du pays doivent prendre] toutes les mesures […] pour assurer la pleine intégration de la Géorgie dans l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord". Ce qui fait penser à bon nombre d’opposants à la loi que celle-ci est anticonstitutionnelle.
L’ombre de Moscou
Moscou a salué l’adoption de la loi et s’est montré favorable à celle-ci, ce qui ne rassure pas des opposants qui ont encore en mémoire la guerre de l’été 2008, qui rappelle beaucoup celle actuellement menée en Ukraine. Cet été-là, l’Ossétie-du-Sud, région autonomiste située au nord de la Géorgie, était entrée en rébellion contre Tbilissi et avait proclamé son indépendance. Les troupes russes avaient pénétré dans la région sécessionniste pour en protéger le détachement et empêcher toute action de la Géorgie. Région qui, en mars dernier, a évoqué l’organisation d’un référendum sur le rattachement à la Russie. Une autre région de Géorgie est occupée par l’armée russe : l’Abkhazie. Sécessionniste depuis 1992, la région qui borde la mer Noire est protégée par Moscou, qui y dispose d’une base terrestre et y construit une base maritime. De quoi assurer la présence en mer Noire de Moscou, mais aussi de mieux contrôler le Caucase. Les Géorgiens peuvent légitimement se sentir encerclés par la Russie, dont les troupes militaires sont désormais présentes en Ossétie-du-Sud et en Abkhazie, avec le risque d’une invasion future de la Géorgie, suivant en cela le même sort que l’Ukraine.
C’est pourquoi un courant populaire important souhaite entrer dans l’UE et l’OTAN afin d’être protégé de la Russie. Mais si la loi a été adoptée, c’est aussi parce que le parti au pouvoir, Rêve géorgien, dispose de la majorité, donc d’une solide base électorale, et a gagné les élections législatives. Preuve qu’une partie des Géorgiens n’est pas opposée à la présence russe. L’opposition entre l’Occident et la Russie se retrouve donc aussi parmi la société civile géorgienne, dont la loi actuellement en débat épouse les fractures et les dissensions.
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