éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Perte de crédibilité
par Yves de Kerdrel
À la dégradation de la note de la France par S&P en raison d’une augmentation prévisible de la dette va s’ajouter, dans quelques jours, le lancement par Bruxelles d’une procédure pour déficit excessif avec, à la clé, une amende de 3 milliards d’euros. Malgré tout ni Emmanuel Macron, ni Bruno Le Maire, n’entendent changer de cap et amplifier les réformes de structure nécessaires pour réduire les dépenses publiques.
Eugène Labiche avait eu cette phrase merveilleuse : "Les chanceux sont ceux qui arrivent à tout ; les malchanceux sont ceux à qui tout arrive". Après avoir longtemps donné le sentiment d'être doté d’une incroyable baraka, Emmanuel Macron est confronté depuis dix-huit mois à une série d’obstacles et de difficultés que sa parole ne suffit plus à faire disparaître. Il y a eu la réforme des retraites, imposée à défaut d’être négociée, les émeutes urbaines de juillet 2023, l’échec des Rencontres de Saint-Denis, le vote calamiteux de la loi sur l’immigration, la crise agricole, la multiplication des faits divers sanglants, l’insurrection en Nouvelle-Calédonie et maintenant la dégradation de la note de la France ; une première depuis 2013, lorsque François Hollande était à l’Élysée et Pierre Moscovici à Bercy.
La première réaction des politiques face à cette sanction financière consiste à dire qu’il s’agit d’une mesure symbolique sans grande conséquence. Et d’une certaine façon, c’est vrai. La note de la France passée de AA à AA — c’est comme si un très bon élève était noté 17 sur 20 au lieu de 18 sur 20. On peut d’ailleurs parier que le taux de rendement des OAT à 10 ans, qui s’était tendu récemment jusqu’à revenir autour de 3,15 %, ne bougera pas beaucoup demain sur les marchés. Enfin lors des prochaines adjudications d’obligations du Trésor, on constatera toujours une demande bien plus importante que l’offre de titres disponible. Ce qui permettra de mesurer le crédit de la France.
"Nous avons sauvé l’économie française"
Si le verdict de Standard & Poor’s ne remet pas en cause le crédit de la France, il enfonce une sacrée entaille dans la crédibilité d’Emmanuel Macron et celle de Bruno Le Maire qui ont fait des bons résultats économiques du pays depuis 2017, la principale marque de fabrique du "macronisme". Dans son commentaire, très pondéré, l’agence américaine de notation explique qu’elle ne croit ni aux prévisions de croissance rendues publiques par Bercy il y a un mois, ni aux prévisions de réduction du déficit budgétaire, ni à celle d’inflexion de la dette. "L’abaissement de la note reflète notre projection selon laquelle, contrairement à nos attentes précédentes, la dette des administrations publiques françaises en pourcentage du PIB augmentera en raison de déficits budgétaires plus importants que prévu au cours de la période 2023-2027". Avant de rappeler que "le ratio dette publique/PIB de la France est devenu le troisième le plus élevé de la zone euro, après ceux de la Grèce et de l’Italie". Fermez le ban.
Face à cette sanction, dont les résonances médiatiques et politiques sont amplifiées par la proximité des élections européennes de dimanche prochain et la déroute annoncée de la liste incarnant la "majorité présidentielle", le gouvernement n’a pas choisi de faire le dos rond. Il opte bizarrement pour le déni de réalité. Une forme de "même pas peur" ! Dans une interview donnée tardivement vendredi soir au Parisien et publiée dès samedi matin, Bruno Le Maire n’a pas annoncé la moindre mesure d’économie montrant qu’il tenait compte du verdict de Standard & Poor’s. Encore auréolé de l’ambiance festive qui animait le cocktail qu’il a donné à Bercy jeudi dernier pour fêter son septennat de "grand argentier" il a eu cette phrase malheureuse : "Et je vais vous dire, en réalité, la raison principale de cette dégradation, c’est que nous avons sauvé l’économie française" …(sic).
Le ministre de l’Économie entend indiquer, par cette curieuse sentence, qu’une grosse part de l’endettement du Pays provient de l’effort fourni pour venir en aide aux entreprises pendant la crise sanitaire. Soit ! Mais cela ne représente qu’un tiers de l’accroissement de la dette publique depuis l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron. Bruno Le Maire cite aussi l’effort budgétaire fait lors de la flambée des prix de l’énergie. Il s’agit là d’un très mauvais exemple. Car les 110 milliards d’euros (chiffre donné par Gabriel Attal) dépensés dans le cadre du bouclier énergétique ont été une faute contre l’esprit et le bon sens. D’une part ce n’est pas à l’état à prendre à sa charge les conséquences de l’inflation d’où qu’elle vienne. D’autre part cette aide n’a été aucunement fléchée. Si bien que le propriétaire d’un hôtel particulier du septième arrondissement pouvait en profiter alors que son artisan boulanger n’arrivait plus à faire face au triplement de sa facture d’électricité. Et l’état est tellement fier d’avoir théorisé le "quoi qu’il en coûte" qu’il l’a remis en œuvre il y a un an pour payer les dégâts liés aux émeutes urbaines (1 milliard d’euros) et qu’il s’apprête à l’utiliser de nouveau pour la Nouvelle-Calédonie (1 milliard à prévoir).
Responsabilité présidentielle
Il serait injuste d’accabler uniquement ce pauvre Bruno Le Maire, en dépit de cette phrase donnée dans la précipitation aux journalistes du Parisien et qui risque de lui coller à la peau comme le sparadrap du Capitaine Haddock. D’ailleurs de toutes parts il se murmure que le locataire de Bercy cherche à quitter sa citadelle avant la fin de l’été de manière à ne pas avoir à affronter une session budgétaire où les articles 49-3 vont être bien plus compliqués à gérer qu’au cours des deux années précédentes. Un poste où il serait remplacé par Gérald Darmanin qui affirme s'y préparer.
La responsabilité finale de cette situation revient bien sûr au Président de la République pour qui la solution au problème des finances publiques arrivera d’elle-même par un meilleur taux d’activité. Il a nié encore récemment, dans une interview à la Tribune Dimanche, la nécessité de procéder à des réformes structurelles estimant que nos dérapages budgétaires ne sont que la conséquence d’un choc conjoncturel. Standard & Poor’s explique pourtant que "sans mesures supplémentaires de réduction du déficit budgétaire, nous pensons que les réformes ne seront pas suffisantes pour que le pays atteigne ses objectifs budgétaires". Mais de la même manière qu’Emmanuel Macron a pris l’habitude de penser que l’esprit de notre constitution n’a pas d’importance, que le parlement n’est pas un pouvoir, que ce n'est pas un problème de ne pas avoir de majorité, que la culture française n’existe pas ou que les hommes et les femmes sont interchangeables à volonté, il ne voit pas pourquoi il devrait s’enfermer dans des contraintes budgétaires, tout inspecteur des finances qu’il est.
L’élection américaine au cœur des débats du Bilderberg
Ce changement de notation ne sera sûrement pas commenté ce week-end à Madrid où se tient à huis clos la soixante-dixième réunion annuelle du Bilderberg. Cette fameuse rencontre a été créée en 1954 par le prince Bernhard des Pays-Bas, époux de la Reine Juliana, afin de favoriser le dialogue entre l’Europe et l’Amérique du Nord, sur le modèle de la Trilatérale. Selon nos informations l’intelligence artificielle, le paysage géopolitique, l’avenir de la guerre et surtout l’élection présidentielle américaine sont au cœur des débats des 130 dirigeants politiques ou experts de l’industrie, de la finance, du monde universitaire et des médias invités à réfléchir et à discuter selon la règle de Chatham House.
La délégation française est menée par Patricia Barbizet, la présidente de l’AFEP qui fait partie du "steering committee" et par Henri de Castries, le président de l’Institut Montaigne qui a animé le Bilderberg pendant plusieurs années. Si l’an passé on comptait deux ministres dans les rangs français : Clément Beaune et Gabriel Attal, cette année ne figure qu’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministère de l’Agriculture. Édouard Philippe, maire du Havre et fondateur du parti Horizons est également de la partie. Du côté des dirigeants d’entreprises, on peut observer le nom de Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, habitué de ces réunions, Valérie Baudson, la directrice générale d’Amundi, le géant français de la gestion d’actifs, et Arthur Mensch cofondateur et patron de la licorne française de l’intelligence artificielle Mistral AI. Il a pu échanger avec l’un de ses actionnaires et alliés : Éric Schmidt, ancien patron de Google. À noter aussi la présence de l’écrivain italien Giuliano da Empoli, auteur du "Mage du Kremlin", et très bon connaisseur des mouvements d’extrême droite auxquels il a consacré un livre passionnant : "Les Ingénieurs du chaos".
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