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Yves de Kerdrel
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La poutre travaille
par Yves de Kerdrel
Éric Lombard, le ministre de l’Économie, a un poids politique bien supérieur aux quatre ministres d’État réunis. Puisqu’il a la capacité de détacher le Parti socialiste du Nouveau Front Populaire en lui accordant l’abandon de la référence à l’âge légal de 64 ans et un durcissement de la fiscalité sur les revenus financiers. Si tout cela figure dans la déclaration de politique générale de François Bayrou mardi, le Premier Ministre aura montré sa capacité à faire « travailler la poutre » et à s’assurer une certaine paix politique.
Six mois après être devenu Premier Ministre, Edouard Philippe avait déclaré devant les macronistes : "La poutre travaille encore, laissons-la travailler. Laisser travailler la poutre, c’est bien souvent le moyen de ne pas l’avoir dans l’œil." La phrase était bien trouvée. En revanche elle a montré le peu de clairvoyance politique du Maire du Havre qui croyait comme Emmanuel Macron à la disparition des clivages politiques et à la recomposition du paysage politique avec un centre très puissant.
La dissolution de l’Assemblée Nationale en juin dernier a mis fin au rêve macroniste, a fait réapparaître les archaïsmes idéologiques, notamment à gauche, et a redonné de l’importance aux partis politiques et à leurs "chefs à plume". L’erreur de Michel Barnier a été, face à cette situation, de chercher une issue par la droite de l’Assemblée, avec une allégeance au Rassemblement National et un gouvernement dominé par sa propre famille politique. François Bayrou, en dépit des moqueries dont il fait toujours l’objet de la part de l’Élysée, se montre à la fois plus astucieux et plus audacieux en pariant sur la bonne foi des socialistes. C’est tout l’enjeu de sa déclaration de politique générale de mardi.
Le "scalp" de la référence à l’âge légal de 64 ans
Si François Bayrou est resté discret au cours de la semaine passée, se contentant de participer aux commémorations du dixième anniversaire de l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, et de rencontrer les partenaires sociaux il a laissé la lumière s’abattre sur les nombreux entretiens que son ministre de l’Économie, Éric Lombard, a eus, en compagnie d’Amélie de Montchalin, avec les représentants des différents partis et groupes politiques. Puisque dès mardi dernier on comprenait que le locataire de Bercy avait proposé à Olivier Faure un abandon plus ou moins explicite de la référence à l’âge légal de 64 ans.
Moyennant cette concession importante – même si elle ne concerne que quatre salariés sur dix, et qu’elle sera sans doute compensée par un effet de décote afin de maintenir l’équilibre financier de la réforme Borne – les socialistes semblent d’accord pour ne pas faire obstacle au vote du projet de loi de finances. Ils ont participé tout au long de la semaine à plusieurs réunions techniques à Bercy pour pousser certaines mesures fiscales et notamment un relèvement du taux de la flat tax. Si bien qu’au bout d’une semaine d’un fort exercice d’assouplissement au ministère de l’Économie, sous la surveillance du ministre chargé des relations avec le parlement, Patrick Mignola - l’œil de François Bayrou - il apparaît aujourd’hui que le Premier Ministre a la quasi-assurance de faire voter un budget sans même l’opposition du Rassemblement National.
Attention à ne pas maltraiter le socle commun
C’est donc fort de ces premiers succès en termes de compromis que François Bayrou montera à la tribune mardi après-midi pour sa déclaration de politique générale. Bien sûr le jeu des postures fera que chacun trouvera de quoi critiquer le programme du Premier Ministre. Mais la motion de censure que les insoumis essaieront de faire voter jeudi 16 janvier sera un échec, fort heureusement. Toute la question est de savoir comment ce que l’on appelait jusqu’ici le socle commun, et notamment Ensemble pour la République et Les Républicains vont réagir à un début de détricotage de la réforme des retraites.
Ils ne peuvent pas voter la censure et sont obligés de voter le futur budget. Mais ils sauront faire connaître leur mécontentement. D’autant que du côté de LR, Bruno Retailleau a déjà pu constater qu’il aura beaucoup moins de liberté de manœuvre avec François Bayrou qu’il n’en avait avec Michel Barnier et que le ministère de l’Intérieur risque de redevenir un ministère de la parole. En revanche si les rumeurs de la réapparition d’un nouvel instrument de taxation des patrimoines se trouvent vérifiées dans le texte que lira François Bayrou, on peut penser que les macronistes et la droite républicaine feront bloc pour empêcher le retour d’une telle vieillerie.
Une CMP chargée d’ajuster le nouveau PLF
S’agissant du projet de loi de finances pour 2025, qui avait été rejeté par l’Assemblée, il se trouve toujours en première lecture au Sénat qui devrait reprendre ses débats mercredi. Si Éric Lombard et Amélie de Montchalin entendent respecter le travail des sénateurs, il n’est pas impossible qu’ils poussent pour que le PLF, une fois adopté par la Chambre Haute aille directement en Commission Mixte Paritaire pour des modifications à la marge avant que le texte final soit soumis au vote final des députés.
Bercy laisse à François Bayrou le privilège de l’arbitrage final concernant les principaux paramètres. Tout dépendra de la révision à la baisse de la perspective de croissance de l’économie française, chaque dixième de point en moins entraînant une perte de recettes de 3 milliards d’euros. Mais il ne serait pas illogique que la perspective soit alignée sur celle de la Banque de France soit 0,9 %. Quant au déficit budgétaire, il devrait se situer autour de 5,2 – 5,3 %, soit un peu supérieur aux 5 % anticipés par Michel Barnier.
Un cap de moyen terme pour les finances publiques
Lors de la cérémonie des vœux de la Banque de France, mercredi dernier, à laquelle assistait Éric Lombard, François Villeroy de Galhau a fait allusion à la "maladie chronique" des finances publiques de l’Hexagone en indiquant que notre pays devait se donner deux objectifs. D’une part, "revenir cette année à un déficit le plus proche possible de 5 % du PIB, et clairement inférieur à 5,5 %". D’autre part, "fixer un cap de moyen terme, celui de 3 % de déficit en 2029". Dans le plan structurel et budgétaire à moyen terme, document qui retrace la trajectoire budgétaire que le précédent exécutif s’est engagé à respecter auprès de l’Union européenne, il est inscrit que le déficit devrait s’afficher à 2,8 % du PIB en 2029. Le gouvernement de Michel Barnier prévoyait de réaliser plus d’un tiers de l’ajustement (en termes d’effort structurel primaire) sur la seule année 2025.
"La première étape pourra comporter pour partie certaines hausses d’impôts ciblées ; mais la seconde devra reposer essentiellement sur des dépenses mieux maîtrisées et plus efficaces, de l’État, mais aussi des collectivités locales et des administrations sociales qui représentent ensemble 64 % des dépenses totales", a jugé François Villeroy de Galhau. "Partout, la France dépense plus que ses voisins, de plus de 9 % du PIB au total", a-t-il ajouté. "Cet effort d’économies justes gagnera à être dès maintenant préparé, documenté, partagé". Se tournant vers Éric Lombard, le gouverneur de la Banque de France a conclu : "Je crois, Monsieur le ministre, que telles sont bien vos intentions, dans le dialogue ; et tel est l’intérêt national, qui doit transcender les intérêts particuliers ou partisans". Un message bien reçu par celui qui a beaucoup fait travailler la poutre en une semaine.
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