éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Cohabitation
par Yves de Kerdrel
En cherchant à éviter de nommer François Bayrou à Matignon avant de s’y résoudre, Emmanuel Macron a brûlé les derniers vaisseaux qui lui restaient. Le maire de Pau a non seulement gagné son pari d’apparaître comme le seul capable de sortir le pays de la crise. Mais surtout il a tordu le bras du Président de la République. Un gage de liberté pour constituer son gouvernement.
Cela fait six mois que le logiciel d’Emmanuel Macron est détraqué. Lui à qui tout réussissait et qui s’était habitué à faire de la transgression permanente une manière de gouverner, multiplie les revers, les fautes et les échecs. Il aurait pu profiter de la magnifique séquence de la réouverture de Notre-Dame de Paris pour se reconstruire une image présidentielle. Las. Deux jours plus tard il réunissait à l’Élysée les partis de "l’arc républicain" pour se replacer au centre du jeu. Une réunion de trois heures qui n’a débouché sur rien en dehors de pitoyables invectives entre Laurent Wauquiez et Marine Tondelier.
Et vendredi, poussé par Brigitte Macron, il s’apprêtait à nommer Sébastien Lecornu à Matignon – alors qu’Alexis Kohler militait pour Roland Lescure - lorsque François Bayrou l’a menacé de faire exploser le socle commun. Le maire de Pau, qui avait échangé à plusieurs reprises, au cours de la semaine avec le Chef de l’État de la composition d’un futur gouvernement, avait quelques raisons de se sentir "roulé dans la farine" ; mais aussi de douter la capacité d’Emmanuel Macron à regarder avec lucidité la situation du pays.
Trois atouts en main
Tout le monde connaît les défauts de François Bayrou, ses nombreuses trahisons, ses foucades, son piètre bilan lorsqu’il a été ministre de l’Éducation nationale de Jacques Chirac ou encore son vote en faveur de François Hollande en 2012. Tout le monde connaît aussi ses qualités, sa culture littéraire – qui lui permet de réciter les vingt-quatre strophes du "Cimetière Marin" de Paul Valéry – et historique, nourrie par son admiration pour Henri IV, son sens de l’amitié, qui l’a conduit vendredi après-midi à préférer assister à l’enterrement de son ami Jean-Pierre Rioux, plutôt qu’à préparer la passation de pouvoirs, et son obsession pour la question de la dette et de la restauration de nos équilibres budgétaires et commerciaux.
Le président du Modem a trois atouts dans sa main pour aborder sa nouvelle fonction de chef du gouvernement. D’abord, il s’est imposé à Emmanuel Macron et n’a pas été choisi par ce dernier. Ce qui lui donne une autonomie et une liberté pour la conduite des affaires. Il a déjà refusé la demande d’Emmanuel Macron de réunir, ensemble, les différents chefs de parti. Ensuite, il a la certitude que le Rassemblement National le laissera tranquille, compte tenu d’une histoire particulière qui le lie depuis longtemps à Marine Le Pen. C’est elle qu’il recevra en premier au début de la semaine. Enfin il a la capacité de faire venir des "poids lourds" à son gouvernement à la différence de Michel Barnier.
À la recherche des "poids lourds"
Si la répartition des portefeuilles ne sera sans doute pas connue avant une bonne semaine, François Bayrou va avoir à cœur de s’attacher la collaboration de personnalités importantes comme Xavier Bertrand, Jean-François Copé, François Rebsamen, Élisabeth Borne voire Bernard Cazeneuve. Il a tout de suite rencontré Bruno Retailleau, ayant compris à quel point le ministre de l’Intérieur avait su s’imposer rapidement dans l’opinion. Et alors que Laurent Wauquiez – qui ne supporte ni François Bayrou ni Marc Fesneau – avait laissé entendre que les LR n’avaient rien à faire dans un gouvernement Bayrou, il a été aussitôt contredit par plusieurs caciques de son parti.
Toute la question est de savoir qui sera nommé à Bercy. Le nouveau Premier Ministre a rencontré hier matin Pierre Moscovici, le premier Président de la Cour des comptes, bien trop paresseux pour s’attaquer à la rédaction d’un nouveau Projet de loi de Finances qui devra être menée dès le début de l’année. Il a aussi consulté François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, pour évoquer les conséquences de la dégradation de la note de la France par Moody’s survenue dans la nuit de vendredi à samedi et motivée par "la fragmentation politique du Pays". Ses relations avec Thierry Breton n’ont jamais été très fluides, mais le nouveau Premier Ministre n’excluait pas hier soir de le rencontrer rapidement. L’ancien commissaire européen a été le seul Ministre de l’économie à faire reculer la dette lorsqu’il était en poste à Bercy.
Des contacts très réduits avec l’Élysée
Demain l’Assemblée nationale examine en séance plénière la loi spéciale permettant à l’État de continuer à percevoir les impôts en 2025 en dépit de l’absence d’un projet de loi de finances. Éric Coquerel, le président de la commission des finances a fait adopter un amendement, jugé anticonstitutionnel par le Conseil d’État, permettant l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Mais juste avant le vote de la loi spéciale, Yaël Braun-Pivet aura la faculté d’évacuer cet amendement et de le juger irrecevable au nom de son inconstitutionnalité.
François Bayrou a prévu de limiter ses contacts avec l’Élysée au cours des prochains jours. Cela tombe bien : le chef de l’État participera mercredi à 17 h 30 au Sommet Union Européenne - Balkans occidentaux puis jeudi au Conseil européen. Puis dès vendredi il partira en direction de Djibouti avec Sébastien Lecornu afin de partager une soirée de Noël – par anticipation – avec les forces françaises basées dans cette petite république de l’Afrique de l’Est. Après quoi il se rendra à Addis-Abeba pour y rencontrer le nouveau Président éthiopien.
Henri IV pour la réconciliation et Sully pour la confiance
Si François Bayrou a utilisé comme premier mot, celui de réconciliation dans le sillage de son modèle, le roi Henri IV, un Bourbon baptisé comme catholique, mais élevé dans la religion réformée, revenu du Béarn à Paris pour recoller les morceaux d’un royaume de France déchiré par les guerres de religion et la médiocrité des Valois, il devra aussi se rappeler que le pays a besoin de confiance. Comme Sully, le célèbre ministre, l’avait fait comprendre au "Vert galant".
Les entrepreneurs n’ont jamais été confrontés à une telle incertitude ainsi que l’a montré la dernière note de conjoncture de la Banque de France. Les particuliers ont ralenti toutes leurs dépenses – malgré l’approche des fêtes – au point que l’on assiste à un nouveau recul de la consommation alimentaire. En dépit de la poursuite de la baisse des taux, les emprunteurs préfèrent se désister plutôt que de poursuivre des projets immobiliers. Le nombre de faillites va atteindre un record absolu à la fin de cette année. Les plans sociaux ont vu leur nombre doubler depuis le mois de juin.
Si Karl Marx avait décrit le fonctionnement du capitalisme et de l’économie de marché par l’alliance du capital et du travail, Max Weber y a rajouté cet élément essentiel qu’est la confiance. Cette confiance détruite par les décisions incompréhensibles d’Emmanuel Macron sera la clé du succès du gouvernement Bayrou. Un sondage Elabe commandé par Les Échos et l’Institut Montaigne a montré que 86 % des Français expriment une forte préoccupation concernant le niveau de la dette publique. Des décisions fortes en matière de finances publiques seront la clé du retour de la confiance en 2025. François Bayrou en est conscient. En sera-t-il capable ? En aura-t-il le temps ? Et enfin parviendra-t-il à échapper à la foire des ambitions présidentielles pour 2027 ?
P.-S. : Cet éditorial dominical prend quelques jours de repos. Je vous donne rendez-vous dimanche 5 janvier 2025 et d’ici là, je vous souhaite une très bonne fin d’année et de très belles fêtes.
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