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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Point de bascule
par Yves de Kerdrel

Si les derniers sondages publiés sont crédibles, alors la droite extrême et souverainiste va représenter environ 40 % du nombre de votants qui participent aujourd’hui aux élections européennes. Et ce n’est pas l’annonce par Emmanuel Macron de la cession de plusieurs Mirage 2000 à l’Ukraine qui est de nature à faire reculer le score du Rassemblement National et de Reconquête.

09/06/2024 - 06:30 Lecture 11 mn.

François Mitterrand avait, le premier, choisi de diaboliser ce qui s’appelait alors le Front National et son leader Jean-Marie Le Pen. S’il lui permettait d’avoir accès aux émissions de l’audiovisuel public, c’était pour gêner Jacques Chirac bien sûr. Et pourtant à la fin des années cinquante François Mitterrand et Jean-Marie Le Pen avaient beaucoup échangé dans les couloirs de l’Assemblée nationale et s’étaient retrouvés ensemble contre le retour du Général de Gaulle au pouvoir en mai 1958 comme le raconte l’excellent historien Michel Winock.

Jacques Chirac a toujours eu une attitude irréprochable face à Jean-Marie Le Pen, refusant de débattre avec lui en mai 2002. Nicolas Sarkozy a choisi, pour sa part d’affaiblir le Front National en ayant un discours régalien fort – malheureusement peu suivi d’effets. Ce qui lui a permis de faire reculer en 2007 le score de l’extrême droite. François Hollande a également eu une attitude scrupuleuse avec le parti désormais dirigé par Marine Le Pen. Mais son laxisme en matière de politique pénale et de lutte contre l’immigration illégale a, hélas, servi de carburant à ce qui est devenu le Rassemblement National.

 

Le vote de la loi sur l’immigration a institutionnalisé le RN

 

Emmanuel Macron a eu une posture bien plus ambiguë face à Marine Le Pen et à un Rassemblement National qui s’est progressivement dédiabolisé. Bien sûr il a battu la députée d’Hénin-Beaumont lors des deux débats de l’entre-deux tours (en 2017 et 2022). Bien sûr il a su pointer du doigt les incohérences du programme de l’extrême droite. Bien sûr il s’est appuyé sur Gérald Darmanin, issu de la droite populaire, pour combattre les idées du Rassemblement National.

Mais, en même temps, il a donné une crédibilité à ce parti comme jamais il n’en avait eu auparavant. En invitant Jordan Bardella lors de la fameuse rencontre de Saint-Denis. En incluant le Rassemblement National dans "l’Arc républicain", avant de changer d’avis. Et surtout en faisant voter au mois de décembre une loi sur l’immigration qui a représenté – même censurée par le Conseil Constitutionnel – une incroyable victoire idéologique de l’extrême droite. Ce geste-là a désinhibé de nombreux Français qui, jusque-là, s’interdisaient de voter RN.

Et à l’occasion de la campagne pour les élections européennes que nous venons de vivre, il a tout fait - nolens volens - pour hisser le score de l’extrême droite. En choisissant tardivement une tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, sympathique et courageuse, mais insipide. En poussant Gabriel Attal à affronter Jordan Bardella sur une chaîne du service public. Et en proposant un débat à Marine Le Pen. Le Rassemblement National n’a pas eu besoin de faire campagne. Emmanuel Macron lui a déroulé un tapis rouge et lui a fait une inattendue "courte échelle".

 

Une forme de cobelligérance ?

 

Il sera bien trop tard, ce soir, pour verser des larmes de crocodile sur le taux de participation aux élections européennes qui pourrait tout de même dépasser 50 %, sur le score très décevant de la liste menée par Valérie Hayer – qui n’a pas cessé de s’étioler -, et surtout sur le niveau aussi élevé de l’extrême droite (Rassemblement national, Reconquête, Liste Asselineau et Liste Philippot) qui pourrait dépasser la barre des 40 %. Même si Jordan Bardella n’aura sans doute pas le score triomphal de 33 % que certains lui attribuaient. À noter enfin que Manon Aubry (LFI) a connu une accélération de son score dans les "rollings" au cours des derniers jours. Certains experts estiment qu’elle pourrait tutoyer ce soir le score de 10 %, voire le dépasser. Ce qui validerait, hélas, sa stratégie visant à focaliser le débat sur le sort de Gaza en mettant en vedette la sulfureuse Rima Hassan. De quoi s’inquiéter pour le score de Jean-Luc Mélenchon en 2027.

Emmanuel Macron aura toutefois raison de dire qu’il ne faut pas tirer de leçons nationales de ces élections européennes. Mais il serait aussi bien inspiré de tirer des enseignements personnels de la manière dont il a, lui-même banalisé et institutionnalisé la droite de la droite. Y compris par son intervention télévisée de jeudi soir qui a suscité des cris d’orfraie de tous les partis, sauf du Rassemblement National. Et pour cause. Comme l’a laissé entendre Marine Le Pen : à chaque fois que le président parle aux Français, cela fait monter le score du Rassemblement National. Dans ce cas d’espèce, en annonçant la cession à l’Ukraine de plusieurs Mirage 2000, Emmanuel Macron a été un cran plus loin dans l’escalade vers une forme de "cobelligérance". Or les études d’opinion montrent que les Français sont de plus en plus opposés à un affrontement – même indirect - avec la Russie.

 

Aucune conséquence politique

 

Le calendrier politique ne va pas se trouver modifié par le résultat de ces élections. Gabriel Attal va conserver son poste de Premier Ministre. Gérard Larcher restera président du Sénat, comme il l’a lui-même réaffirmé cette semaine. Et Emmanuel Macron va compter sur la réussite des Jeux Olympiques et Paralympiques pour se refaire une petite santé politique. Si bien que le prochain grand rendez-vous sera la session parlementaire d’automne avec la discussion budgétaire qui s’annonce tendue et avec les motions de censure qui seront déposées dans le sillage de l’article 49-3.

Pour l’heure, à l’Élysée on ne pense pas que des députés LR puissent voter des motions de censure. Car un vote de défiance pourrait entraîner une dissolution de l’Assemblée nationale, déjà demandée à cor et à cri par le Rassemblement National. Et procéder à des élections législatives avec un RN aussi haut, consisterait à jouer à la roulette russe. Un député LR pourrait s’abstenir de voter la censure, non pas par soutien à la politique du gouvernement, mais simplement pour garder son siège de député encore trois ans.

 

Prudence de la BCE sur l’inflation

 

Dans une décision largement attendue, la Banque centrale européenne a annoncé jeudi une réduction de 0,25 point des principaux taux d’intérêt. Mais elle a immédiatement indiqué que "les pressions sur les prix intérieurs restent fortes, la croissance des salaires étant élevée" avant d’ajouter que "l’inflation devrait rester supérieure à l’objectif pendant une bonne partie de l’année prochaine". Christine Lagarde, n’a pas donné d’indications sur la trajectoire future des baisses de taux, rappelant simplement que le conseil des gouverneurs de la BCE suivra une approche dépendante des données.

Les marchés évaluent actuellement à 12 % la probabilité d’une nouvelle baisse des taux de la BCE lors de la réunion du 18 juillet et à 63,4 % la probabilité d’une baisse en septembre. La question de savoir s’il y aura une troisième baisse en 2024 fait l’objet d’un vif débat et les marchés n’envisagent plus que deux baisses. Les réactions des marchés d’actions, d’obligations et des devises ont été discrètes, car cette décision avait été largement anticipée.

 

Deux baisses de taux cette année pour la Fed ?

 

Pour la première fois, la banque européenne a devancé son homologue américaine dans la fixation des taux d’intérêt. Mais cette baisse a suivi les mesures similaires prises par d’autres grandes banques centrales occidentales. La Banque nationale suisse a été la première grande banque à annoncer une baisse de taux en mars, suivie par la banque suédoise Riksbank en mai. La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre annonceront leur décision de politique monétaire respectivement les 12 et 20 juin prochains.

Selon les sondages menés par Reuters auprès des économistes de marchés américains, la Réserve fédérale américaine devrait réduire ses taux directeurs à deux reprises cette année, avec une première baisse en septembre et une autre plus tard. Les responsables de la Fed ont toutefois clairement indiqué au cours des derniers mois qu’ils n’étaient pas pressés de réduire les taux directeurs. Certains économistes pensent que la prochaine projection économique trimestrielle de la Fed, attendue ce mois-ci, devrait impliquer deux baisses de taux ou moins pour cette année. Près des deux tiers des économistes estiment que la première baisse du taux des fonds fédéraux interviendrait en septembre. Ce pourcentage de réponses n’a pas varié par rapport à l’enquête de mai.

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