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éditorial / Yves de Kerdrel

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Malheur au Pays dont le prince est un enfant...
par Yves de Kerdrel

La décision absurde de dissoudre l’Assemblée nationale à un moment où les extrêmes n’ont jamais été aussi puissants dans le Pays reste incompréhensible pour beaucoup de Français et notamment de décideurs économiques. La probabilité est grande pour que le Rassemblement National rafle la mise des élections législatives dont le premier tour a lieu dans seulement deux semaines. Avec à la clé, au mieux la paralysie du Pays, et au pire sa ruine.

16/06/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

Il y a de très beaux versets dans l’Ecclésiaste. Celui sur le fait que tout est vanité. Celui qui rappelle qu’il existe un temps pour la guerre mais aussi un temps pour la paix. Et celui – du chapitre 10 – popularisé par Henry de Montherlant, dans une pièce de théâtre pleine d’ambiguïtés : "Malheur à toi, pays, dont le prince est un enfant". Car c’est le sentiment qu’ont eu les nombreux dirigeants d’entreprises, banquiers, avocats ou responsables de fonds d’investissement avec lesquels j’ai échangé tout au long de la semaine écoulée. La dissolution de l’Assemblée nationale prononcée dimanche dernier, à peine une heure après la fermeture des bureaux de votes, est vue par la plupart de mes interlocuteurs comme le geste d’un enfant gâté qui casse l’un de ces jouets comme il ferait une grosse colère.

Et les mêmes décideurs, responsables économiques, syndicalistes, mais aussi chefs militaires, de juger indécente l’attitude de ceux qui ont organisé leur propre publicité sur le fait d’avoir suggéré cette idée saugrenue au Chef de l’État. Pierre Charon, qui est au Père Joseph ce que la clairette-de-die est au champagne. Bruno Roger-Petit, conseiller élyséen, connu pour sa légendaire paresse et qui n’a jamais trouvé sa place dans le dispositif présidentiel. Jonathan Guémas, plume et communicant du président, dont le principal fait d’armes est l’oraison funèbre de Johnny Hallyday. Et enfin Clément Léonarduzzi, patron de Publicis Consultants qui se targue d’avoir fait réélire, à lui seul, Emmanuel Macron en 2022.

 

La Nupes ressuscitée en quatre jours

 

Bien sûr qu’il est toujours sain de redonner la parole au peuple dans une démocratie. Bien sûr que la situation d’une fausse majorité présidentielle qui laissait prospérer le désordre à l’Assemblée ne pouvait pas durer cinq ans. Bien sûr que le résultat des élections européennes est un désaveu personnel du Chef de l’État. La constitution, si bien rédigée par Michel Debré, donne au président de la République la possibilité de renverser la table quand il le juge nécessaire. Mais une telle décision se prend dès lors que l’on est sûr d’avoir le maximum d’atouts en mains. Comme le Général de Gaulle après son aller-retour à Baden-Baden à la fin du mois de mai 1968.

En agissant dans la précipitation – au point de consulter en quelques secondes les trois principaux personnages de l’État comme le demande l’article 12 de la Constitution – Emmanuel Macron a répondu à la demande formulée dimanche dernier dès 20 h 03 par Jordan Bardella qui n’en attendait pas tant. Et plus fort encore : il a réussi à reconstituer la Nupes que l’on croyait morte et enterrée depuis les propos indécents, imbéciles et infects tenus par un certain nombre de membres de La France Insoumise sur la journée du 7 octobre, sur Israël et sur le Hamas. Il a fallu seulement quatre jours pour qu’un "nouveau Front populaire" voie le jour avec des investitures, un programme commun de gouvernement et une logistique comme seuls les trotskistes en disposent.

 

Vers un nombre record de triangulaires

 

Mais le grand gagnant de cette décision imbécile, c’est bien sûr le Rassemblement National. Arrivé en tête dans 93 % des 36 000 communes françaises, le parti de la famille Le Pen, qui a construit au cours des quarante dernières années une implantation locale solide, est certain d’arriver en tête dès le dimanche 30 juin dans une majorité de circonscriptions. L’histoire électorale française, racontée par René Rémond, montre que jamais le peuple français n’a inversé en si peu de temps le résultat d’une élection.

Dans la mesure où le paysage politique s’est fragmenté en trois grands pôles : celui, très à droite du repli et de la fermeture, celui très à gauche du désordre et du chaos, et celui du centre droit et de la social-démocratie mais qui n’est pas fier de porter, nolens volens, les couleurs d’une "macronie" au bord du précipice, il faut s’attendre à nombre record de triangulaires où l’on trouvera en tête les candidats du Rassemblement National et ceux du Nouveau Front Populaire. Le parti présidé par Jordan Bardella pourrait même n’avoir aucunement besoin de faire alliance avec quelques députés LR, qui ne savent plus où ils habitent, pour disposer d’une majorité à l’Assemblée le 7 juillet au soir.

 

Flou sur le programme économique du RN

 

Outre l’abattement et la colère des patrons, dont certains pensent encore que l’appartenance à l’Europe – avec les règles qui en découlent – et à la zone Euro – avec ses contraintes – empêchera l’extrême droite de faire trop de bêtises, on a pu observer le CAC 40 "dévisser" avec en tête des baisses : les banques, les sociétés ayant des concessions d’autoroutes, les groupes énergétiques et les médias audiovisuels (TF1 et M6). Et ce n’est sans doute pas fini. Surtout le taux de rendement de l’OAT à dix ans qui n’avait pas bougé après la récente sanction de Standard & Poor’s est allé tutoyer les 3,3 % avant de consolider. Ce qui place notre dette au même degré de risque que celle du Portugal… Quant au spread avec les bunds allemands, il a atteint 80 points de base.

Très vite Jordan Bardella et d’autres caciques du mouvement à la flamme ont commencé à louvoyer sur les risques de dépenses excessives qu’on leur attribue. Avec notamment cette volonté de revenir en arrière sur la réforme des retraites votée il y a un an. Pour l’instant il n’est plus question, comme mesures urgentes, que de faire un audit des comptes de la nation, de préparer une baisse des prix du gaz et de l’électricité et de s’atteler à un collectif budgétaire que le jeune député de la Somme, Jean-Philippe Tanguy, ancien chef de cabinet de Clara Gaymard, serait en train de rédiger.

 

Le risque de violences urbaines

 

Un fameux adage affirme que les optimistes sont des imbéciles heureux et les pessimistes, des imbéciles malheureux. Les plus optimistes espèrent donc encore, qu’une fois parvenu au pouvoir, le Rassemblement National pourra copier l’attitude raisonnable et proeuropéenne qui est celle de Giorgia Meloni depuis deux ans en Italie. Ce n’est pas impossible. Mais cela n’empêchera sans doute pas les tensions très fortes qui risquent de naître dans les banlieues et dans les quartiers difficiles et qui amèneront le nouveau pouvoir à surréagir. Avec comme probable ministre de l’Intérieur, Éric Ciotti qui a tenté de vendre son parti, héritier du gaullisme, du chiraquisme et du sarkozysme, pour un minuscule plat de lentilles.

Car le résultat de tout ce gâchis, c’est qu’après la parenthèse de sept années de "En même temps" la politique française va renouer avec sa traditionnelle bipolarité. Mais au lieu d’avoir une droite, soit orléaniste, soit bonapartiste, et une gauche soit social-démocrate, soit profondément socialiste, le pays sera partagé entre deux blocs qui auront en commun, l’outrance, le radicalisme et le goût de la provocation. De quoi diviser un peu plus un pays qui a besoin d’être réconcilié avec lui-même, avec son passé et avec ses atouts. De quoi décourager les combattants de la nuance, de la modération et de la tempérance. De quoi rajouter des peurs à toutes celles qui nous entourent déjà à cause de la déstabilisation du Monde par la Russie, le Hamas (donc l’Iran), la Chine et peut-être bientôt l’élection de Donald Trump. Haut les cœurs !

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