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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Dos au mur
par Yves de Kerdrel

Pour exprimer leur mécontentement contre l’inflation, les électeurs américains ont choisi le candidat le plus inflationniste. La victoire de Donald Trump pose à l’Europe un triple défi géopolitique, économique et sociétal. Au moment où Olaf Scholz est affaibli par l’éclatement de sa coalition et où Emmanuel Macron s’est privé de toute marge de manœuvre.

10/11/2024 - 06:30 Lecture 9 mn.

"L’Europe, très bien, mais quel numéro de téléphone ?" ironisait en 1970 Henry Kissinger. Plus d’un demi-siècle plus tard le problème de l’Europe ce n’est plus que les États-Unis ne savent pas qui appeler pour discuter avec elle, mais plutôt qu’ils ont décidé de se passer d’elle. C’est le message que nous avons tous reçu en découvrant le score sans appel de Donald Trump. L’Europe, en guerre par procuration avec un Vladimir Poutine, soutenu tacitement par les BRICS qui représentent plus d’un tiers de la planète, voit donc son allié historique s’éloigner encore davantage.

À l’ouverture du sommet de la Communauté politique européenne Emmanuel Macron a voulu provoquer un sursaut chez ses partenaires européens en utilisant une métaphore tirée par les cheveux. "Le monde est fait d’herbivores et de carnivores" a-t-il déclaré d’emblée avant d’expliquer : "Si on décide de rester des herbivores, les carnivores gagneront. Je pense qu’au moins, ce serait pas mal de choisir d’être des omnivores". Traduction : l’Europe est trop naïve depuis trop de temps. Il est donc urgent de réagir. Mais le Président français n’a jamais été aussi affaibli en France et à Bruxelles. Quant à Olaf Scholz, dont nous évoquions les états d’âme dans ces colonnes il y a une semaine, il a choisi de faire éclater sa fragile coalition en limogeant son ministre des Finances, le libéral Christian Lindner. Cela va conduire à un vote de confiance le 15 janvier prochain au Bundestag qu’il risque de perdre, et donc à des élections législatives anticipées d’ici la fin mars.

 

Le repli du parapluie américain

 

Le premier défi posé à l’Europe par l’élection de Donald Trump est d’ordre géopolitique. Depuis Condoleezza Rice, nous avons bien compris que l’Europe n’était plus la priorité des Américains. Mais avec Trump nous savons que notre continent ne peut plus - ou en tout cas beaucoup moins - compter sur les États-Unis pour sa défense et sa sécurité. Il a menacé, pendant son premier mandat, de quitter l’Otan et a déclaré à plusieurs reprises pendant la campagne que Washington ne viendrait pas à la rescousse d’alliés qui n’investissent pas suffisamment dans leur armée.

Cela a conduit à de multiples conciliabules entre européens pour tenter de construire une initiative de défense, notamment sous l’impulsion d’Emmanuel Macron. Mais la défense, ce n’est pas un mot ou un concept. Cela implique une stratégie qui est souvent liée à une histoire nationale. Cela passe par une doctrine militaire qui est très différente d’un pays à l’autre. Cela concerne enfin des industries de défense qui ont montré leur difficulté à s’entendre au niveau européen. Il y a quelques jours, Guillaume Faury, le patron d’Airbus a très bien expliqué (sur le site Le Grand Continent) pourquoi l’Europe avait su devenir une championne sur le plan de l’aviation civile et comment ses initiatives en matière militaire avaient été désastreuses.

 

L’Europe en tenailles entre les États-Unis et la Chine

 

Le deuxième sujet posé par l’élection de Donald Trump est d’ordre économique. Curieusement pour protester contre l’inflation qu’ils ont subie depuis la crise sanitaire, les Américains ont choisi un candidat inflationniste car protectionniste et désireux d’élever des murs de droits de douane tout autour des États-Unis. Le président élu ne vise pas seulement la Chine mais aussi l’Europe avec laquelle le déficit commercial américain est de l’ordre de 160 milliards de dollars. Principalement à cause des achats d’avions et de médicaments.

Il faut donc s’attendre à des mesures coercitives contre certains secteurs d’activité, comme cela a déjà été le cas pour le vin lors de son premier mandat. Mais surtout la guerre commerciale sans ambiguïté qu’il va déclencher avec la Chine va contraindre cette dernière à faire de l’Europe, premier marché de consommateurs au monde, le grand déversoir de tous ses biens manufacturés. Et lorsque l’on connaît le délai de réaction de la Commission Européenne – qui n’est toujours pas entrée en fonction – et les divisions qui minent les vingt-sept, on peut craindre que la réponse européenne ne soit pas à la hauteur des enjeux. De la même manière que face à l’IRA de Joe Biden, on a pu constater la vacuité bruxelloise et la manière dont chaque pays a tenté de répondre par ses propres moyens à cette distorsion de concurrence.

 

Reconstruire un récit collectif autour de l’Europe

 

Enfin le troisième défi est d’ordre sociétal. C’est peut-être le plus important. Nous n’avons pas trouvé d’autre mot "ombrelle" pour regrouper les questions liées au climat – lorsque l’on connaît les positions de Trump sur ce sujet – aux phénomènes migratoires – même si l’immigration vers les États-Unis est très différente de celle qui touche l’Europe – et à tous ces symptômes du populisme qui ont facilité la victoire de Donald Trump.

L’Europe – actuellement présidée par le très illibéral Viktor Orbán – a bien du mal à rester le phare de l'esprit des Lumières avec le Rassemblement National, premier parti de France, avec Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, cornaquée par Matteo Salvini ou avec l’AFD de plus en plus puissante dans les régions de l’ex-Allemagne de l’Est. Longtemps nos philosophes, nos leaders d’opinion et nos dirigeants expliquaient avec conviction que la Liberté était la condition de la Puissance de nos nations. Et puis nous avons abandonné petit à petit beaucoup de nos libertés pour une prétendue sécurité. Si bien que les sondages d’opinion montrent, partout en Europe, un désir d’ordre. Une récente enquête menée par Ipsos pour le Conseil Économique et Social indiquait que pour 51 % de nos compatriotes, seul un pouvoir fort et centralisé pouvait garantir cet ordre tant souhaité. Nous avons globalement abandonné la Liberté et nos libertés au profit d’une sécurité dont nous pensons - à tort - qu’elle pourrait être une condition de la Puissance retrouvée.

Nous sommes donc bien désarmés pour le combat que nous devons mener contre le populisme. Car il va nous falloir rétablir la vérité face aux "faits alternatifs" (curieux oxymore). Lutter contre les simplismes qui remplacent le débat d’opinion. Écarter les marchands de peur qui distillent un poison dénommé méfiance. Et surtout recréer les conditions d’un récit collectif. Lors de sa célèbre conférence prononcée à la Sorbonne, le 11 mars 1882, Ernest Renan faisait de la Nation une "Conscience morale". Qu’est ce qui nous empêche encore d’avoir la même ambition pour l’Europe ? Même s’il est déjà minuit moins cinq …

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