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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Schizophrénie
par Yves de Kerdrel

La discussion budgétaire est compliquée par les enfantillages du Modem. Ce qui va obliger Michel Barnier à faire usage du 49-3 ou à demander au Sénat de corriger le texte. Et au moment où l’état exige d’être actionnaire d’Opella, la filiale de Sanofi dont la moitié du capital va être cédée à CD & R, un curieux débat se réouvre sur la cession des participations de l’état dans des entreprises cotées.

27/10/2024 - 06:30 Lecture 9 mn.

On savait que Michel Barnier n’était pas un apôtre du libéralisme économique. On se doutait que la composition bigarrée de son gouvernement l’obligerait à pratiquer une forme de "en-même-temps" dans la conception de son budget. On imaginait que le Rassemblement National ne lui faciliterait pas la tâche même s’il y a peu de chance qu’il appuie tout de suite sur le bouton "censure". Mais qui pouvait penser que la complication viendrait de l’attitude stupide du Modem qui a voté avec le Nouveau Front Populaire la pérennisation de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ?

Les amendements saugrenus, adoptés il y a dix jours en Commission des Finances à l’initiative du député Modem, Jean-Paul Mattei – pourtant notaire de profession – ont donné raison, une fois encore à Mark Twain qui avait écrit il y a plus d’un siècle que "les gens de gauche inventent de nouvelles idées. Puis, quand elles sont usées, les gens de droite les adoptent". Et ce n’est pas du côté de la Droite Républicaine de Laurent Wauquiez, que Michel Barnier a pu trouver une consolation. L’ancien président de la région Rhône-Alpes Auvergne a réussi à faire élire une députée LFI à la présidence de la Commission des Affaires Économiques. Quant au modem Marc Fesneau, il a fait élire un écologiste à la vice-présidence de l’Assemblée nationale à la place de la LR Annie Genevard, devenue ministre de l’Agriculture.

 

Les patrons entre irritation et abattement

 

Ces petites manœuvres témoignent, hélas, de la place infime laissée à l’intérêt général dans la préoccupation de certaines personnalités politiques. Ce qui aide peut-être à comprendre pourquoi les Français se détournent de plus en plus de la vie démocratique au point de n’avoir plus confiance en elle. Comme l’a montré, il y a quelques jours, un sondage réalisé à l’initiative du Conseil économique et social.

Elles expliquent surtout à la fois l’exaspération et la colère des acteurs économiques et notamment des chefs d’entreprise avec lesquels j’ai la chance d’échanger de manière quotidienne. Après plus de quatre décennies de journalisme économique, je crois n’avoir jamais perçu une telle irritation, un tel agacement, mais aussi une forme d’abattement chez des patrons dont la nature est pourtant d’être optimiste. Cela explique, en partie la dégradation du climat des affaires mesurée au mois d’octobre par l’Insee avec notamment un effondrement de cet indicateur dans l’industrie qui a enregistré sa plus forte baisse mensuelle depuis novembre 2008.

 

La bévue de Gérald Darmanin

 

Le feuilleton de la cession de l’activité "santé grand public" de Sanofi a pris fin comme c’était prévu avec le fonds américain CD & R – qui n’est pas plus étranger que PAI Partners – et qui avait dès le départ fourni toutes les garanties nécessaires en termes d’emplois ou de maintien des activités en France. Mais la surenchère de fantasmes autour de cette vente (qui a continué hier avec la tribune du député LR Olivier Marleix dans Le Monde) a contraint l’État à annoncer qu’il deviendrait actionnaire d’Opella en prenant une participation de 1 à 2 % via Bpifrance. Curieux signal envoyé aux investisseurs étrangers après toutes les entorses faites depuis un mois à la politique d’attractivité du territoire mise en place par Emmanuel Macron.

Au moment même où l’État est appelé, par des hommes et femmes politiques de tous bords, à entrer au capital d’une filiale de Sanofi (société elle-même issue de la fusion d’une filiale d’Elf Aquitaine et d’un Rhône Poulenc tous deux privatisés il y a plusieurs décennies) un débat a commencé à monter sur l’éventualité de la cession de certaines participations cotées détenues par l’État. Cette initiative aurait pu être intéressante si elle n’avait pas été gâchée d’emblée par une déclaration de Gérald Darmanin proposant de combler le trou du dérapage budgétaire de cette année avec la cession de tels actifs. Comme s’il était de bonne gestion de vendre l’argenterie de famille pour faire les fins de mois du Trésor.

 

Quelles participations publiques vendre ?

 

Les dix lignes qui composent le portefeuille de l’Agence des Participations de l’État représentent un actif de 54 milliards d’euros. Si l’on a du mal à justifier la nécessité pour la puissance publique de rester actionnaire de la Française des Jeux (une participation de 1,4 milliard) ou d’Orange (3,6 milliards), on a pu voir, il y a cinq ans, que l’éventualité de la privatisation d’ADP a soulevé un tollé et donné lieu à une pétition monumentale.

On a bien du mal, dans le contexte actuel d’une droite assez peu libérale et d’une gauche où les sociaux-démocrates ont du mal à se faire entendre, à imaginer la cession de 10,8 % d’Airbus, celle de 26,1 % de Thales ou encore la vente de 23,6 % d’Engie. D’autant que l’état-actionnaire de cet énergéticien ne cesse d’accroître ses prélèvements sur le groupe dirigé par Catherine MacGregor, soit par des taxes insolites (comme la CRIM) soit par un dividende très important.

 

Incapacité à réinventer un récit national

 

Cette schizophrénie française se traduit surtout dans la volonté de bénéficier d’un État providence toujours plus fort sans pour autant s’en donner les moyens en augmentant la durée de travail tout au long de la vie. Et les débats actuels autour du télétravail, relancés par le sociologue Jean Viard, pourraient bien se terminer en queue de poisson avec comme solution : du télétravail pour ceux qui peuvent en faire et la semaine de quatre jours pour les autres.

Autre exemple de cette schizophrénie : la volonté d’égalitarisme manifestée par certains éditorialistes à la lecture des derniers chiffres sur le patrimoine des Français bien souvent liés à des héritages et l’hostilité forte de nos compatriotes, y compris les moins aisés, à un relèvement de l’impôt sur les successions. Sans parler de la volonté de remonter l’impôt sur les sociétés. Ce qui freine les projets d’investissements de nombreux grands groupes à un moment où il faut déplorer l’existence de plus de 180 plans sociaux en France.

Il est trop tôt pour dire si l’initiative du Medef de lancer un "Front Économique" destiné à prendre toute sa part dans le débat d’idées va permettre de réduire ce "déni français" et cette redoutable schizophrénie. Ce qui est sûr, c’est que l’incapacité de la droite à travailler sur un projet de société, voire sur un nouveau récit national, va compliquer la tâche de Michel Barnier. Et l’inaptitude de la gauche à intégrer tout ce qui a trait à l’entreprise dans son corpus d’idées va permettre aux populistes de ce camp de conserver une forme de magistère idéologique. Dans ces conditions on voit mal comment les mois à venir pourraient réserver de bonnes surprises.

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