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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Dramaturgie
par Yves de Kerdrel

Avec une dizaine de jours de retard, le projet de budget pour 2025 reste hélas très peu documenté en matière d’économies. Et celles-ci touchent toujours davantage les dépenses de l’État que la sphère sociale. Reste l’inconnue de cette nécessaire cure d’austérité sur la croissance… et sur le rendement de l’Impôt sur les sociétés qui, depuis deux ans, est systématiquement plus faible qu’attendu.

13/10/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

 

La dramaturgie est devenue une composante indispensable de la vie politique. Cela consiste à noircir le tableau de la délinquance pour faire passer des mesures liberticides ; puisqu’un consensus s’est hélas formé sur le fait que l’on puisse sacrifier des libertés au nom d’une prétendue sécurité. Cela consiste à faire croire que la Russie va s’attaquer à l’OTAN pour évoquer l’envoi possible de troupes françaises en Ukraine en oubliant de rappeler que nous disposons de moins de missiles sol-air que de têtes nucléaires. Cela consiste aussi à laisser envisager une cure d’austérité dans le prochain budget avec des économies massives… que l’on peine à trouver à la lecture de ce projet de loi de finances.

Une fois digérées les dizaines de pages de ces deux exercices (Finances et Financement de la sécurité sociale), ceux qui comme l’auteur de ces lignes avaient cru – un moment – dans la volonté réelle du gouvernement de Michel Barnier de remettre un peu de rigueur dans nos comptes découvriront que les dépenses publiques vont augmenter de 41 milliards d’euros l’an prochain à 1699 milliards, alors que les dépenses de l’état (avant amendements) baissent de 3 milliards. Ils observeront que les effectifs de la fonction publique ne seront réduits que de 2200 postes. Ils s’inquiéteront que le déficit – s’il n’y a pas de dérive comme cette année – sera l’an prochain de près de 136 milliards, soit deux fois plus, en valeur absolue, qu’avant la crise sanitaire.

 

Une prévision de croissance… lunaire

 

Surtout, ce projet de budget reste bâti sur une hypothèse de croissance de 1,1 % dopée par une reprise de la consommation et une baisse du taux d’épargne. Or on assiste actuellement – selon les grands de la distribution – à un phénomène de déconsommation historique. De la même manière il n’est pas interdit d’avoir le sentiment que les prévisionnistes de Bercy ont fait une impasse sur la contraction économique qui secoue actuellement l’Allemagne. Enfin pas un mot sur l’impact macroéconomique des nécessaires mesures prises pour réduire le déficit budgétaire. Qu’il s’agisse des baisses de crédits ou de la ponction fiscale.

C’est le principal point soulevé par le Haut Conseil des Finances Publiques présidé par Pierre Moscovici. Pour lui, la prévision de croissance pour 2025 (1,1 %) apparaît un peu élevée "compte tenu de l’orientation restrictive du scénario de finances publiques associé, qui se traduit notamment par un repli de la demande publique et des mesures de hausse des prélèvements obligatoires atteignant un point de PIB… En dépit du soutien que peut apporter la baisse des taux d’intérêt, une telle accélération apparaît optimiste au regard des indications données par les enquêtes de conjoncture disponibles."

 

La note de Jean-Pascal Beaufret

 

À tout cela s’ajoute un contexte politique inédit. Puisque Michel Barnier - qui tient son mandat d’un socle parlementaire réduit - a voulu donner la plus large place possible au débat parlementaire et aux amendements. Au risque que la Commission des Finances, présidée par Éric Coquerel avec comme rapporteur général du budget, Charles de Courson, n’hésite pas à opérer de sanglantes modifications aussi bien sur le volet recettes que sur celui des dépenses. Tout cela risque donc de se terminer par l’usage répétitif de l’article 49-3 de manière à faire passer la version gouvernementale du projet de loi de finances.

Les investisseurs, pour l’instant, ne sont pas plus inquiets que cela. Le spread entre les emprunts d’État français et les Bunds allemands s’est même légèrement détendu en fin de semaine. Cela, malgré la confirmation que l’état sera contraint d’emprunter plus de 300 milliards d’euros l’an prochain, dont 136 milliards pour financer le déficit budgétaire. Et surtout – ce qui est dramatique – pour répartir 70 milliards d’euros auprès de nos retraités, comme l’a montré Jean-Pascal Beaufret, dans une excellente note. Ce qui prouve que le système par répartition est moribond, même après les réformes Sarkozy, Touraine et Macron.

 

Incapacité à créer plus de richesse collective

 

Le plus frappant dans tout ce que l’on a pu entendre au cours des derniers jours témoigne de la fascination des politiques, des fonctionnaires de Bercy et des parlementaires sur les numérateurs ; donc le chiffre qui figure au-dessus de la barre de fraction. Alors que le plus important reste le dénominateur, c’est-à-dire le produit intérieur brut et donc notre capacité à créer collectivement de la richesse. Or depuis cinq ans, le PIB par habitant ne progresse plus que de 0,2 % par an au lieu de 2 % par an dans les années 1980. Et surtout, depuis 2019 ou plus précisément depuis le Covid, la productivité des Français ne cesse de décliner. Cela témoigne de notre incapacité à créer plus de richesse alors même que davantage de Français sont au travail.

Il y a un sujet lié au temps de travail – non pas hebdomadaire comme feint de le découvrir Gérald Darmanin après sept années passées au gouvernement – sur la durée de la vie des Français. Il y a un sujet lié à la valeur de ce travail. Quelle est la contribution des livreurs à vélo d’Uber Eats ou des monteurs de meubles Ikea à la richesse nationale ? Ce qui revient à se poser la question du manque de qualification et de ce système français d’empilement de mesures favorisant le travail peu qualifié. Ce qu’a très bien fait le rapport Bozio-Wasmer.

 

Sortir des discours décroissants

 

Mais une fois que l’on aura réduit les exonérations de charge sur les bas salaires – qui créent, en outre, des trappes à pauvreté – il faudra aussi relancer les processus de recherche, de création et d’innovation qui permettront de redonner au pays des chances de recréer de la richesse collective. Dans le phénomène de mondialisation qui a suivi la chute du mur de Berlin et l’entrée de la Chine dans l’OMC, on estimait judicieux de délocaliser les tâches peu qualifiées en Asie, en Europe centrale ou au Maghreb. Comme les États-Unis l’avaient fait au Mexique.

La différence c’est que les Américains ont gardé la Californie, dopé leurs universités et favorisé le Venture-Capital. Pendant ce temps nous nous sommes laissé envoûter par les homélies ennuyeuses des chanoines de la décroissance. Nous avons mis en place des règles absurdes contre l’artificialisation des sols qui sont les mêmes dans la Creuse et sur le plateau de Saclay. Et nous avons vanté le slogan selon lequel la meilleure énergie c’est celle que l’on ne consomme pas. En oubliant que le travail et l’énergie ont la même unité de mesure : le joule.

 

Au fond de la Boîte de Pandore

 

Bien sûr, ce n’est pas un Président de la République - que l’on décrit actuellement comme préoccupé par d’autres questions que ce fichu PIB - un Premier Ministre qui explique chaque jour qu’il est en sursis, ou une assemblée nationale aux mains de partis qui ne cherchent qu’à se nuire - même lorsqu’ils sont dans le même socle (comme on l’a vu il y a quelques jours entre Laurent Wauquiez et Gabriel Attal) – qui vont trouver la solution à tous ces sujets.

C’est pourquoi il ne reste plus qu’à considérer ce projet de loi de finances comme une sorte de "Encore un instant monsieur le bourreau !" en attendant soit une élection présidentielle anticipée, soit une nouvelle dissolution. Personne ne veut penser à ce que sera l’ouverture d’une telle boîte de Pandore qui laisserait s’échapper ces démons que sont l’extrême droite et l’extrême gauche. Mais la mythologie grecque nous rappelle qu’au fond cette jarre, se trouvait finalement l’espérance. Une espérance dont Paul Claudel nous dit qu’elle est un risque à courir.

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