éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Désordre
par Yves de Kerdrel
C’est jeudi prochain que le projet de loi de finances pour 2025 devrait être présenté en conseil des ministres. Un budget qui comporte des économies pour un montant de 40 milliards d’euros, mais dont on ignore encore presque tout, et un effort fiscal à hauteur de 20 milliards. Celui-ci tend déjà les relations au sein du « socle commun » et complique la tâche du Premier Ministre.
Drôle d’ambiance au sein de la classe gouvernementale, deux semaines seulement après que Michel Barnier a réussi à répartir les portefeuilles au sein des différentes tendances de ce qu’il est convenu d’appeler le "socle commun". Tout cela a été assez bien résumé par Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement, issue du camp macroniste après avoir été, pendant quelques années, une sarkozyste dévouée.
Invitée de BFM TV au milieu de la semaine, elle a reconnu, dans un élan de sincérité, que "la colocation" entre les macronistes et leurs nouveaux alliés de droite n’était ni évidente ni limpide. Elle a estimé qu’il s’agit d’une équation politique inédite nouvelle sous la Cinquième République qui exige un temps de rodage. "On a besoin d’apprendre à s’apprivoiser", a-t-elle ajouté après avoir rappelé que cela fait sept ans que des personnalités qui se retrouvent dans le même gouvernement s’affrontent lors des élections, ont des divergences, et ne sont pas toujours d’accord sur tout à l’Assemblée nationale. Ambiance !
Darmanin veut voir le gouvernement tomber
Le même jour Laurent Wauquiez, président du groupe parlementaire Droite Républicaine qui compte 47 députés à l’Assemblée nationale a enfin écrit à Yaël Braun-Pivet, la Présidente de l’Assemblée nationale pour indiquer que son parti soutenait le gouvernement et que ses députés ne pouvaient donc plus être considérés comme faisant partie de l’opposition au sein du Palais Bourbon. Il était le dernier à ne pas avoir encore accompli cette formalité. A contrario, le groupe LIOT auquel appartient Charles de Courson, le rapporteur général du budget, se réclame officiellement comme faisant partie de l’opposition parlementaire.
Au même moment, Gérald Darmanin, ex-LR, devenu plus macroniste que le Président lui-même, s’est invité sur France Info pour y déclarer que le projet de budget – que l’on ne connaît pas encore – était inacceptable parce qu’il comprend des hausses d’impôts qui concerneront 65 000 foyers fiscaux, soit 0,3 % des contribuables. Il a justifié cette position radicale par des engagements qu’il a pris auprès de ses électeurs. Sa circonscription de Tourcoing est pourtant connue pour être assez populaire et ne pas abriter des membres isolés de la famille Mulliez. Cette déclaration n’étant pas rationnelle, elle a été interprétée soit comme une aigreur à l’égard de Michel Barnier qui a refusé de lui confier le Quai d’Orsay, soit comme une volonté – bénie par l’Élysée – de commencer à fracturer "le socle commun".
Guérilla macroniste à l’Assemblée
Pourtant Michel Barnier, lors de sa déclaration de politique générale – pour le moins très ennuyeuse et chuchotée sur un ton monocorde – a essayé de satisfaire un petit peu tout le monde. Depuis François Bayrou, dont le Commissariat au plan se verrait reprendre France Stratégie, jusqu’à Marine Le Pen, avec la volonté d’ouvrir le dossier de la Proportionnelle, en passant par les écologistes et même par un échange courtois avec Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée.
Mais dès le lendemain, les choses se sont corsées lors des habituelles questions au gouvernement, durant lesquelles Michel Barnier, a répondu à l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou, mais pas au loyaliste et macroniste Nicolas Metzdorf, très mécontent d’avoir appris, la veille, le report des élections provinciales à la fin 2025 et l’abandon du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral de Nouvelle-Calédonie. Mauvais calcul : si Tjibaou a refusé de mettre son nom en bas de la motion de censure, les macronistes semblent prêts à mener une forme de guérilla permanente à l’Assemblée, comme dans les médias
La parabole de Bernard Cazeneuve
Il ne faut pas accorder plus d’importance que cela à quelques grippages de début de session parlementaire. Ces petits déchirements ou agacements témoignent simplement de la situation incongrue dans laquelle se trouve le Premier Ministre, qui n’a été salué à la fin de sa déclaration politique générale que par les bancs des députés LR (rebaptisés Droite Républicaine) et par moins d’une dizaine de macronistes dont Éric Woerth. Ce qui montre la faiblesse de ce fameux "socle commun" ou de sa base parlementaire.
Comme l’a très joliment expliqué Bernard Cazeneuve dans une interview au Monde, la France est comme une entreprise où on aurait laissé "les actionnaires activistes minoritaires, qui ne représentent que 5 % du capital (les députés LR) faire une OPA sur le gouvernement, au moment de l’assemblée générale des actionnaires". Et dans cette configuration, toujours selon Bernard Cazeneuve - aujourd’hui avocat chez August & Debouzy aux côtés d’Emmanuelle Mignon, de Bernard Attali et de Nicolas Baverez - "Michel Barnier a été nommé président du directoire de la start-up nation et Marine Le Pen présidente du conseil de surveillance."
Un effort budgétaire volontairement gonflé
Les vraies hostilités pourraient, en fait, démarrer en fin de semaine prochaine. Puisque c’est jeudi soir que le projet de loi de finances sera présenté lors d’un conseil des ministres retardé d’une journée. Si bien qu’Antoine Armand, le ministre de l’Économie et Laurent Saint-Martin, celui des comptes publics, devraient être auditionnés par la Commission des Finances de l’Assemblée nationale vendredi prochain dès 8 h 30.
De ce que l’on sait déjà, ce projet de budget serait basé sur une croissance du produit intérieur brut de 1,1 % et une inflation revenue à 1,8 %. Il comprendrait un effort de 60 milliards d’euros au total, réparti en 40 milliards d’euros sur les dépenses publiques et à hauteur de 20 milliards d’euros en mesures fiscales. Ce chiffre de 60 milliards est en fait exagéré, dans la mesure où il représente l’écart du déficit pour 2025 en tendanciel (7 % du PIB) et le but que s’est fixé le gouvernement, soit 5 % du PIB. S’agissant des économies, 15 milliards d’euros proviendraient du simple gel des crédits auxquels s’ajouteraient 5 milliards demandés à certaines missions. La sphère sociale serait mise à contribution à hauteur de 15 milliards d’euros, y compris les 3 milliards d’euros liés au décalage de six mois de l’indexation des retraites. Quant aux collectivités locales elles participeraient à l’effort national à hauteur de 5 à 7 milliards d’euros. Ce dernier point reste toutefois très hypothétique.
Contributions exceptionnelles et provisoires
Mais ce qui a suscité le plus de commentaires et de supputations, jusqu’ici, ce sont les mesures fiscales dans la mesure où elles viennent fracasser un totem porté en étendard par Emmanuel Macron, et des lignes rouges fixées par Laurent Wauquiez. Il y a la mesure exceptionnelle et temporaire – mais qui pourrait durer deux ans - concernant les contribuables les plus aisés et qui rapporterait entre 2 et 3 milliards d’euros. Bref, pas de quoi fouetter un chat, surtout au moment où le pays emprunte à des conditions plus difficiles que la Grèce. Mais certains lobbys patronaux font valoir que 70 à 80 % environ de ces 65 000 contribuables visés sont des entrepreneurs. Ce qui reste à démontrer.
À cela s’ajoutent les mesures concernant les sociétés. Il s’agit d’une surtaxe de 10 % de l’impôt sur les sociétés pour les groupes réalisant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et de 20 % pour ceux dépassant les 3 milliards d’euros de facturations. Le gouvernement inscrit aussi dans l'effort demandé aux entreprises la "non-baisse" de la CVAE et une contribution des armateurs à hauteur de 1 milliard d’euros, qui n’est pas grand-chose au regard de la niche fiscale que représente leur taxe au tonnage. Si l’on tient compte aussi d'un durcissement de la taxe sur les billets d’avion, la contribution des entreprises à l’effort fiscal représenterait un peu plus de 10 milliards d’euros. La principale inconnue est la répercussion de cette nécessaire politique de rigueur sur la croissance économique compte tenu d’un effet multiplicateur de plus en plus difficile à apprécier. Et compte tenu d’une éventuelle baisse de rendement de l’impôt. Comme nous l’a appris Arthur Laffer.
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