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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Laborieux
par Yves de Kerdrel

Il aura fallu plus de quinze jours à Michel Barnier pour établir une liste pléthorique de ministres qui reçoive l’agrément du Président de la République. Au bout du compte, un gouvernement moins siglé LR qu’on pouvait le craindre, où ne figurent ni Laurent Wauquiez ni Gérald Darmanin qui n’auraient pas facilité la tâche du Premier Ministre, et un pôle économique qui reste en mains sûres.

22/09/2024 - 06:30 Lecture 12 mn.

Le microcosme parisien s’est bien agité cette semaine en suivant au jour le jour la constitution du gouvernement, les déclarations tonitruantes de tel ministre, les claquages de portes ou les rendez-vous discrets jusqu’à cette fameuse réunion de jeudi à 15 heures où, pour la première fois depuis le début de la Cinquième République, on a vu un Premier Ministre soumettre aux partis politiques de sa base parlementaire le nombre, voire les titulaires, des portefeuilles de plein exercice attribués à chaque camp.

Michel Barnier s’est toujours défini comme un gaulliste "pur sucre". Il a rappelé, lors de la passation de pouvoirs avec Gabriel Attal, qu’il revendiquait sa part d’héritage en matière de gaullisme. Cela ne l’a pas empêché d’oublier cette célèbre phrase dite par le Général de Gaulle à Alain Peyrefitte pour dénoncer le régime des partis : "chacun va donc maintenant faire chauffer sa petite soupe, sur son petit feu, dans sa petite marmite, et dans son petit coin, en s’imaginant vivre des jours tranquilles. Eh bien soit ! Mais que cela se fasse donc en dehors de moi !"

 

La fin de la récréation

 

S’il a été nécessaire à Michel Barnier de convoquer cette réunion des représentants de LR, du Modem, d’Horizons, de l’UDI et de Renaissance, à Matignon, jeudi dernier après-midi, c’est parce que le parti de François Bayrou et celui d’Edouard Philippe cherchaient à bloquer la formation du gouvernement en ergotant sur les portefeuilles qui leur étaient attribués ou sur les personnalités sélectionnées. Il a donc fallu que Michel Barnier mette sa démission dans la balance lors d’un appel téléphonique à Alexis Kohler. De manière que ce dernier siffle "la fin de la récréation" auprès des caciques de l’ex-majorité parlementaire.

Mais Michel Barnier a aussi sa part de responsabilité dans les accrocs qui ont entaché la constitution de ce gouvernement. D’abord il a voulu confier sept ou huit portefeuilles importants à sa famille politique (les LR). Ce qui a été refusé – heureusement - par Emmanuel Macron lors d’une rencontre entre les deux têtes de l’exécutif. Ensuite, il a mis la charrue avant les bœufs en sollicitant les uns ou les autres sans jamais parler du programme de gouvernement. Jusqu’à ce que l’état calamiteux des finances publiques amène certains à parler d’une éventuelle hausse d'impôts. Un sujet qui fâche, notamment chez LR, mais aussi chez les macronistes qui ne voulaient pas que l’on "détricote" le travail fait depuis 2017.

 

Darmanin et la zizanie

 

Au même moment François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, qui avait appelé dans les colonnes du Parisien à "lever le tabou sur les hausses d’impôts, sans toucher, si possible, les classes moyennes ni les PME" et à ne pas exclure de demander "un effort exceptionnel et raisonnable à certaines grosses entreprises et à certains gros contribuables", appelait les responsables politiques à ne pas rejouer le scénario du célèbre album "Astérix et la zizanie" d’Uderzo et Goscinny.

Chacun se souvient de cette bande dessinée où Jules César ne parvenant pas à venir à bout du village gaulois décide d’y envoyer un fauteur de troubles dénommé Tullius Détritus. Pour beaucoup ce dernier pourrait bien s’appeler Gérald Darmanin. Reçu il y a huit jours à Matignon, avant la parade des athlètes sur les Champs-Élysées, il était venu demander le Quai d’Orsay. C’était avant que Stéphane Séjourné soit nommé subitement à Bruxelles pour remplacer un Thierry Breton lâché par Emmanuel Macron. Il s’est fait éconduire par Michel Barnier qui lui a fait comprendre qu’il ne ferait pas partie du gouvernement. Après une dernière vaine tentative de repêchage, mardi soir, il est allé expliquer mercredi matin sur France 2 – avec l’aval de l’Élysée - qu’il était "hors de question" que sa formation politique participe à un gouvernement "qui augmente les impôts". Une phrase qui a rapidement allumé la mèche de la zizanie à l’intérieur de Renaissance, puis au sein de la base parlementaire de Michel Barnier et même à la Présidence de la République.

 

L’agenda personnel de Wauquiez

 

Mais Laurent Wauquiez pourrait aussi revêtir les habits de ce Tullius Detritus. Après avoir bloqué l’envoi d’un membre de son parti à Matignon, il a fini par voler au secours de la victoire de Michel Barnier. Puis il s’est empressé de demander un nombre ahurissant de postes pour LR et surtout le ministère de l’Intérieur pour lui-même, estimant, comme Nicolas Sarkozy entre 2005 et 2007, que ce serait le meilleur moyen de préparer l’élection présidentielle de 2027.

La ficelle était un peu grosse. Michel Barnier ne voulait pas, à son gouvernement, de personnalités ayant un agenda personnel. Lors de son rendez-vous de mardi dernier avec Emmanuel Macron, ils sont donc convenus de nommer Place Beauvau Bruno Retailleau, à l’origine du durcissement de la loi sur l’immigration de décembre 2023. Ce qui n’a pas empêché Laurent Wauquiez de revenir à la charge par l’intermédiaire d’Alexis Kohler avec lequel il a d’excellentes relations. Et jusqu’à jeudi après-midi il s’est vu en "premier flic de France" avant d’abandonner finalement la partie.

 

Bonne surprise à Bercy

 

La bonne surprise de ce futur gouvernement, c’est l’arrivée à Bercy du très jeune député de Haute-Savoie Antoine Armand (il a eu 33 ans le 10 septembre). Normalien, énarque et inspecteur des finances ce proche de Gabriel Attal coche toutes les cases pour ce portefeuille. D’autant plus qu’il est passionné par les questions industrielles et énergétiques. Il est de surcroît l’arrière-petit-fils du résistant Louis Armand, qui fut patron de la SNCF et d’Euratom et surtout le corédacteur avec Jacques Rueff du plan Rueff-Armand préfigurant le marché commun et recommandant l’ouverture à la concurrence et la suppression des obstacles à l’expansion économique. Député depuis juin 2022, il a été réélu en juillet dernier et a accédé à la présidence de la commission des Affaires économiques.

Il travaillera sur le projet de loi de finances avec Laurent Saint-Martin (38 ans) pourtant rattaché directement à Michel Barnier. Issu du premier cercle macroniste, passé par Euronext, candidat malheureux contre Valérie Pécresse pour la présidence de la Région île de France, il était depuis un an directeur général de Business France après avoir été battu aux législatives de 2022 par l’insoumis Louis Boyard. Il a été rapporteur général du budget à partir de 2020. Une occasion pour lui d’affirmer qu’il était favorable à un débat annuel sur la dette au Parlement.

 

Inconstance gauloise

 

Comme Pierre Moscovici l’a déclaré cette semaine devant la Commission des Finances le prochain budget sera le plus difficile à établir depuis le début de la Cinquième République. La perspective de voir le déficit budgétaire ramené sous la barre fatidique des 3 % a été reportée à 2029, alors qu’en avril dernier il était question de 2027. Et encore cela nécessite une réduction des dépenses publiques à hauteur d’au moins 100 milliards d’euros sur cinq ans.

La question reste à savoir quelles dépenses budgétaires couper dans une "sphère étatique" qui est "à l’os" et avec un effet multiplicateur récemment estimé par Éric Heyer et Xavier Timbeau autour de 0,75. Ce qui aurait donc un impact négatif sur la croissance économique en considérant que l’on parvient à réaliser un effort budgétaire de l’ordre de 20 milliards chaque année. La question urgente repose aussi sur la manière de faire maigrir la sphère sociale sans toutefois procéder à une désindexation des retraites.

Il semble désormais certain que le prochain projet de loi de finances comportera des hausses d’impôt et une coupe claire dans les exonérations de charges. Jérôme Fournel, le directeur de cabinet de Michel Barnier, l’a laissé entendre à Patrick Martin, le président du Medef en début de semaine. Et Gabriel Attal l’a confirmé en sortant de l’explication de textes qui a eu lieu à Matignon jeudi dernier. Le problème n’est plus tant de savoir dans quelles proportions aura lieu ce durcissement fiscal et qui sera affecté, mais si cela permettra enfin d’arrêter le dérapage et le désordre de nos finances publiques qui commencent à irriter fortement nos voisins européens. En espérant, surtout, que les marchés fassent encore preuve de patience face à notre inguérissable inconstance gauloise.

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