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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Déraison
par Yves de Kerdrel

Un mois après la formation du gouvernement Barnier, on commence à observer les premières tensions entre l’Élysée et Matignon. Le Premier Ministre se montre très soucieux de son indépendance. Au risque de verser dans une forme de populisme comme il le fait en soutenant la commission d’enquête sur la dérive des finances publiques ou en laissant diffuser les propos les plus absurdes sur le dossier Sanofi-Opella.

20/10/2024 - 06:30 Lecture 10 mn.

La lune de miel entre Emmanuel Macron et Michel Barnier – si elle a eu lieu – semble déjà terminée comme on a pu le voir en fin de semaine à Bruxelles où les deux hommes s’évitaient tout en se surveillant et en essayant de montrer à la presse qui était capable de serrer le plus de mains possibles. Le couple exécutif a tout de même été à l’unisson pour dénoncer l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Mais, si le blocage français sur le sujet impressionnait, il y a encore quelques mois, tous nos partenaires européens, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui témoigne de notre perte d’influence en Europe.

Emmanuel Macron a donc tenu à faire savoir qu’il était très énervé par les ministres qui ont répété à la presse une phrase qu’il aurait tenue en conseil des ministres sur le fait que l’État d’Israël devait, selon lui, sa création à une résolution de l’ONU. Une phrase qui est venue s’ajouter à sa déclaration malheureuse sur la nécessité d’un embargo sur les ventes d’armes à Israël. Tout cela a donné lieu à une sérieuse explication de la part de Benyamin Netanyahou à l’occasion d’une remarquable interview accordée à notre confrère Renaud Girard dans Le Figaro.

 

Désinhibition en matière fiscale

 

Dans l’entourage du chef de l’État, on ne cherche même plus à cacher que le Président de la République, qui aimait tant s’occuper de tout, s’ennuie profondément. Surtout, en cette période de discussion budgétaire, le voilà condamné à être le spectateur impuissant du détricotage de toute la politique fiscale accommodante qu’il avait mise en œuvre lors du premier quinquennat. Et cela a été notamment le cas la semaine passée avec une "foire à la saucisse" d’amendements durcissant les hausses d’impôts pour les particuliers déposés par le Modem et souvent votés à la fois par le Rassemblement National et le Nouveau Front Populaire. Avant que la Commission des finances vote hier soir le rejet du volet recettes - y compris les amendements qu’elle avait adoptés - grâce à une réunion des voix du Rassemblement national et du "socle commun". Si bien que le texte va arriver en séance plénière à l’Assemblée dans sa version initiale.

Le sapeur Camember avait dit : "quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites". On constate à quel point cet adage est vrai en matière de fiscalité. Michel Barnier a fait tomber le tabou présidentiel qui interdisait jusque-là que l’on augmente certains impôts pour boucler le budget. Lorsque le premier ministre avait parlé de "justice fiscale" tout le monde avait compris qu’il était question d’un effort partagé. Mais, après les surenchères d’amendements adoptés en commission on a le sentiment que les députés de tous bords sont désormais désinhibés en matière de créativité fiscale. À tel point que certains jugent utile que Michel Barnier utilise l’article 47 de la constitution afin d’accélérer la discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée.

 

Le RN en a rêvé, Retailleau le fait

 

Cette déraison qui s’installe depuis que Les Républicains ont le sentiment de revenir au pouvoir avec un groupe parlementaire qui représente pourtant moins de 8 % de l’Assemblée nationale, on le constate notamment dans l’escalade qui caractérise les propos du ministre de l’Intérieur. À tel point que celui-ci ne cache plus sa volonté de créer dans un pays tiers, un hub où seraient reconduits des immigrés en situation irrégulière, moyennant le paiement par la France d’une grosse somme à ce pays.

Il y a six mois il était de bon ton de se moquer des projets similaires du britannique Rishi Sunak avec le Rwanda. Ces derniers jours on a eu le droit à des propos dithyrambiques sur les accords passés par Giorgia Meloni avec l’Albanie. Vendredi, lors d’un déplacement commun avec le ministre de l’Intérieur à Menton, tout près de la frontière italienne, Michel Barnier a expliqué que cela ne correspondait pas aux valeurs d’accueil de la France. Il n’empêche que ce sujet sera sans doute au menu d’un déjeuner en tête-à-tête qui aura lieu demain à l’Élysée entre Emmanuel Macron et Bruno Retailleau. Ce dernier est le signe vivant de la victoire idéologique du Rassemblement National, qui était apparue, en décembre dernier, lors du vote de la loi Darmanin. Une victoire qui se transforme, avec l’agitation du locataire de la Place Beauvau, en une marche triomphale inquiétante.

 

Le retour des boucs émissaires

 

Tout cela donne le sentiment que le populisme imprègne désormais toutes les strates de l’élite dirigeante et que les digues sautent les unes après les autres. Avec comme toujours la recherche d’un bouc émissaire ainsi que l’avait montré le remarquable anthropologue René Girard dans ses différents livres écrits sur certains moments de notre histoire depuis l’autre rive de l’Atlantique. Prenons l’exemple de la dérive des comptes publics. Nous n’avons jamais mâché nos mots dans ces colonnes sur le caractère incompréhensible de ces dérapages qui vont conduire à un surplus de 60 milliards d’euros en fin d’année sur le déficit budgétaire.

Certains ont donc sauté sur l’occasion pour demander une commission d’enquête afin de comprendre ce qui s’est passé avec en ligne de mire la volonté, à peine cachée, de pointer du doigt la responsabilité de Bruno Le Maire, de Thomas Cazenave, voire de Gabriel Attal et d’Emmanuel Macron. Et finalement la Commission des Finances, présidée par l’insoumis Éric Coquerel va pouvoir bénéficier du statut de commission d’enquête. Ce qui risque de faire d’elle une sorte de tribunal public destiné à cibler quelques personnalités politiques mais aussi la politique de l’offre menée depuis 2014. Il est étonnant de constater que Michel Barnier, que l’on présentait comme un sage, un modéré, voire un "mou", se laisse séduire par ces sirènes populistes dont le seul but est de discréditer la Politique avec un grand "P" et les politiques. Au risque de faire le jeu des deux extrêmes.

 

Souveraineté et sous-vérité

 

Si l’on veut encore un exemple de cette confusion des genres et de cette déraison qui enflamme le débat public, il suffit de se pencher sur toutes les aberrations qui ont été dites, écrites, et proclamées au sujet du projet de rachat d’une grosse moitié du capital d’Opella, filiale de Sanofi qui réunit ses médicaments vendus sans ordonnance. En quelques jours il ne s’agissait plus de la cession d’une activité sans valeur ajoutée initiée par une société privée, mais du rachat du Doliprane par les Américains. Ce médicament, qui n’est rien d’autre que le paracétamol, a été synthétisé il y a 164 ans, et est disponible en générique sur toute la planète. De surcroît le principe actif du Doliprane provient toujours d’Inde.

À droite comme à gauche on a assisté à une surenchère de propos stupides sur les conséquences d’une telle transaction. Certains allant jusqu’à réclamer une nationalisation de Sanofi (qui pèse 128 milliards d’euros) ou une intervention de l’état au capital d’Opella (ce qui était prévu à travers Bpifrance). Si la souveraineté industrielle est un combat justifié qui peut être mené, notamment en matière de défense, de numérique ou de spatial, l’affaire Sanofi nous a ramenés vingt ans en arrière lorsqu’un décret a permis de faire figurer Danone (cible de Pepsi-Cola) parmi les entreprises stratégiques.

Il serait tellement plus stimulant de se démener pour faire éclore les champions technologiques des années 2050 et de se demander comment Ariane va pouvoir rivaliser avec SpaceX. Au lieu de cela on se focalise sur un médicament inventé bien avant les vaccins de Pasteur. C’est bien l’une des facettes du mal français. Les quarante sociétés qui composent l’indice CAC 40 ont toutes été créées il y a plus d’un demi-siècle. Alors que 80 % de la capitalisation boursière américaine repose sur des groupes nés il y a moins de cinquante ans.

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