éditorial / Yves de Kerdrel
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Yves de Kerdrel
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Au boulot !
par Yves de Kerdrel
La discussion budgétaire, aussi incohérente qu’elle a pu être, a au moins permis de relancer le débat sur le nombre d’heures travaillées par les Français, sur la quantité de travail exercée et, de facto, sur la productivité. À un moment où le travail n’est plus un facteur d’ascenseur social et où ceux qui ne travaillent pas, notamment les retraités, vivent désormais mieux que ceux qui travaillent.
Si les députés n’avaient pas caché, au début du mois d’octobre, leur hâte d’attaquer la discussion budgétaire, on ne peut pas dire qu’ils se sont illustrés par le sérieux de leurs travaux. Le travail en commission des finances a donné lieu à une créativité incroyable en matière de recettes fiscales, avec le Nouveau Front populaire à la manœuvre. Avant que les débats en séance plénière débouchent sur le vote d’amendements farfelus comme la création d’une taxe sur le patrimoine des 147 Français les plus fortunés.
Michel Barnier, pour se démarquer de la discussion budgétaire de l’an passé menée par Élisabeth Borne, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, avait choisi de laisser le temps aux parlementaires de corriger le projet de loi de finances et d’en débattre. Mais jeudi dernier il a expliqué dans les colonnes d’Ouest-France, que la mise en œuvre d’un 49-3 était désormais très probable, une fois la navette revenue du Sénat. Peut-être aurait-il mieux fait "d’appuyer sur le bouton" plus rapidement. Cela aurait évité que s’installe dans beaucoup d’esprits l’idée que l’impôt était le moyen le plus sûr pour mettre fin aux désordres budgétaires. Cela aurait aussi permis au Premier Ministre d’asseoir son autorité, mise à mal notamment par ceux qui doivent le soutenir. Comme Laurent Wauquiez qui s’est arrogé le droit d’aller faire une annonce sur l’indexation des retraites au journal de 20 heures. Et comme le groupe Ensemble Pour la République qui a aussitôt dit le plus grand mal qu’il pensait de cette mesure.
Faire travailler les Français sept heures de plus
Les Sénateurs qui sont plus soucieux des débats de fond que des éclats de voix ont profité de l’examen en commission du projet loi de financement de la Sécurité Sociale pour suggérer la création d’une "contribution de solidarité par le travail", sur le même principe que la "journée de solidarité" mise en place par Jean-Pierre Raffarin, il y a vingt ans, après la canicule de 2023. Présenté par la centriste Élisabeth Doineau, rapporteure du budget de la Sécurité sociale, un amendement propose donc de faire passer cette contribution de 0,3 à 0,6 %, tout en augmentant la durée annuelle de travail de 7 heures dans le secteur public comme dans le privé. Ce qui permettrait de dégager 2,5 milliards d’euros pour la Sécurité sociale.
Tout cela intervenant après la déclaration tonitruante de Jean-François Copé sur le fait que la France compte trop de jours fériés, les sénateurs ont pris des gants afin de ne brusquer personne. Philippe Mouiller, le président LR de la commission des affaires sociales, a aussitôt indiqué que le sujet était mis sur la table afin qu’il soit repris et retravaillé par les partenaires sociaux. Charge à eux de définir les modalités de ces sept heures de travail supplémentaire par an. Cette prudence est aussi justifiée par le fait que Michel Barnier n’est pas favorable à la mise en place d’une nouvelle journée de solidarité. Mais dans le camp macroniste on a accueilli cette idée avec bienveillance. Surtout pour éviter de rogner les exonérations de charges sociales à un moment où le sujet de l’emploi revient sur le devant de l’actualité.
Une condition du financement de notre modèle social
Au début du mois de novembre, Antoine Armand, le ministre de l’Économie avait été l’un des premiers à remettre le sujet du temps de travail sur la table. Étant macroniste et donc peu favorable à ce que l’on rogne certaines exonérations de charge sur les bas salaires, il avait expliqué qu’il faudrait trouver d’autres solutions. "Cela peut prendre plusieurs formes, avait-il expliqué dans une interview au quotidien Les Échos, notamment une augmentation de la durée du travail - qui reste insuffisante en France." Avant d’ajouter que "l’objectif doit être d’accroître le nombre d’heures travaillées sur l’année, pour pouvoir financer notre modèle de protection sociale".
Si l’on se réfère à un précieux document édité en juin dernier par Rexecode, la durée effective annuelle moyenne du travail des salariés à temps complet demeure en France l’une des plus faibles des pays de l’Union européenne. Elle est de 1 668 heures, pour une moyenne européenne de 1 792 heures. Les Français travaillent 65 heures de moins que les Espagnols, 122 heures de moins que les Allemands et 162 heures de moins que les Italiens. Conclusion de l’institut économique dirigé par Denis Ferrand : "combinée à un taux d’emploi plus faible que dans les autres pays, cela conduit à un volume de travail global plus faible, même si cet effet est quelque peu réduit en tenant compte des salariés à temps partiel et des travailleurs indépendants. Car ces derniers ont – naturellement - des durées du travail supérieures à celles des salariés à temps complet.
Bismarck puis Beveridge et enfin Ponzi
Il n’est pas certain que les efforts faits par les Sénateurs pour rallonger de… sept heures la durée annuelle du travail permette de sauver ce fameux "modèle-social-que-le-monde-entier-nous-envie". Au moins les locataires de la Haute Assemblée mettent le doigt là où cela fait mal. Car ce modèle social – effectivement très généreux – survit en étant financé par de la dette. La note de Jean-Pascal Beaufret sur l’état dramatique de nos finances publiques - dont nous avions fait état dans ces colonnes à la mi-septembre – montrait que chaque année l’état finançait à hauteur de 70 milliards d’euros environ les retraites des fonctionnaires. Ce qui représente près de la moitié du déficit budgétaire.
De son côté, François Villeroy de Galhau, le Gouverneur de la Banque de France, dans sa dernière lettre annuelle au Président de la République, avait sorti un graphique étonnant montrant que c’était en France que le pouvoir d’achat disponible par habitant avait le plus progressé depuis 1999. Avec une hausse de 26 % sur la période contre seulement 17 % pour l’ensemble de la zone Euro. Constat pour le moins contre-intuitif dans la mesure où nous travaillons moins que nos voisins. Explication du Gouverneur : "Cette croissance du pouvoir d’achat a été portée par des transferts sociaux – et donc des déficits publics – qui restent plus importants que chez nos voisins, et par des salaires réels dynamiques".
Que notre modèle social soit bâti sur des retraites avantageuses et sur des transferts sociaux financés par le déficit montre à quel point notre État-providence conçu initialement sur un schéma bismarckien – c’est-à-dire assurantiel – a dérivé vers un schéma beveridgien – avec une logique assistancielle – avant d’aboutir à un système dont le financement pourrait être signé par le sinistre Charles Ponzi. Avec pour conséquence le fait que pour la première fois dans notre histoire, comme le montre Antoine Foucher dans son ouvrage "Sortir du travail qui ne paie plus", les retraités ont un niveau de vie supérieur aux actifs. Tout cela avec des pensions supérieures de 30 à 50 % aux cotisations acquittées pendant la vie. Un système qui n’est pas tenable, même en supprimant tous les jours fériés…
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